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« J’aime ma ville et je ne veux pas la quitter »

CONTREC’est déjà la troisième alerte anti-aérienne de la journée mais, dans l’ancienne rue Pouchkine, le flux des passants ne se tarit pas. Cette artère centrale de Kharkiv, autrefois l’une des plus dynamiques, constituée de vieux bâtiments classiques d’architecture constructiviste des années 1920, est parsemée de dents creuses à la place d’immeubles détruits par les bombes aéroportées russes. Plus de la moitié des fenêtres sont désormais recouvertes de tristes feuilles de contreplaqué ocre. Le 29 janvier, un missile pulvérise l’Académie des sciences juridiques, un joli petit palais dans la rue. Alors la municipalité…

CONTREC’est déjà la troisième alerte anti-aérienne de la journée mais, dans l’ancienne rue Pouchkine, le flux des passants ne se tarit pas. Cette artère centrale de Kharkiv, autrefois l’une des plus dynamiques, constituée de vieux bâtiments classiques d’architecture constructiviste des années 1920, est parsemée de dents creuses à la place d’immeubles détruits par les bombes aéroportées russes. Plus de la moitié des fenêtres sont désormais recouvertes de tristes feuilles de contreplaqué ocre. Le 29 janvier, un missile pulvérise l’Académie des sciences juridiques, un joli petit palais dans la rue. La municipalité a donc décidé de rayer Pouchkine d’un trait de crayon et a donné à la rue le nom de Hryhorii Skovoroda, le Socrate ukrainien du XVIIIe siècle.e siècle.

Le soir du 29 janvier, Dmytro Kabanets, à peine 30 ans, sentit le vent. A 22h05, le missile qui a détruit l’académie de droit s’abat à l’extrémité de son bâtiment de 1908, où il a ouvert en 2023 un petit café-restaurant branché appelé Makers. « Avec les serveurs, nous sommes tous arrivés en courant : il n’y avait plus de fenêtres, l’intérieur était dévasté, les meubles étaient chers, mais heureusement, les lourdes machines à café étaient intactes », raconte-t-il. Il faisait moins dix degrés dehors, tout était ouvert à l’air frais, mais nous avons immédiatement rouvert le bar et servi toute la nuit du café aux secouristes et aux policiers qui travaillaient sur place. »

Les affaires sont de retour

Le lendemain, à 8 heures, les lieux sont libérés, le café ouvre « comme d’habitude ». Désormais, les fenêtres sont remplacées par du bois sur lequel sont peints en calligraphie les vers du jeune poète Maksym Kryvtsov, Apollinaire ukrainien tué sur le front le 7 janvier. Les travailleurs indépendants de Kharkiv s’abritent derrière ses paroles et s’affairent à boire un cappuccino. « Oui, la situation se détériore, mais nous espérons des jours meilleurs », a-t-il déclaré. C’est particulièrement difficile pour les personnes qui ne disposent pas de générateurs électriques ; pour d’autres, cela reste sous contrôle. »

Paradoxalement, Dmytro constate que l’entrepreneuriat et les petites entreprises ont repris du poil de la bête : « Nous assistons à un boom des ouvertures de commerces, de cafés, de fleuristes, alors qu’en 2022, il ne restait que trois cafés ouverts. Beaucoup de gens sont revenus et cherchent à s’occuper. Ils vivent le moment présent et bénéficient de la baisse des loyers commerciaux. » Depuis février 2022, plus de 60 000 structures et établissements professionnels ont été endommagés par les bombardements. Ainsi, début 2024, le ministère de l’Économie a débloqué un fonds d’urgence de 35 millions d’euros pour soutenir l’emploi à Kharkiv.

«Nous nous sommes adaptés»

Rien qu’en janvier dernier, 1 064 entrepreneurs individuels ont créé une nouvelle entreprise à Kharkiv, compensant ainsi les pertes d’emplois dans l’industrie locale. « C’est positif, ça veut dire que la ville continue de se développer, elle reste debout malgré tout », estime Dmytro. Avant l’invasion, la ville comptait 2 millions d’habitants, dont 300 000 étudiants. « Il fut un temps en 2022 où il ne restait plus que 300 000 habitants – la ville était vide et cela ressemblait à une apocalypse », explique Ihor Terekhov, le maire de Kharkiv. Beaucoup sont revenus et nous sommes aujourd’hui 1,3 million. »

Pourquoi nos soldats devraient-ils mourir si la ville était vide et sans personne à protéger ?

C’est au marché central de Kharkiv qu’Anna Zori, une jeune entrepreneuse, a installé son atelier de fabrication de sacs à main originaux en cellulose imperméabilisée. Depuis que les bombardements se sont intensifiés, tout a été perturbé. « Au début, nous n’avions pas d’électricité pendant deux jours, même si j’avais beaucoup de commandes », raconte Anna. Mais nous nous sommes adaptés : nous travaillons quand nous avons une heure de courant le matin et deux heures le soir. Nous dessinons et découpons à la lumière du jour et faisons fonctionner les machines à coudre manuellement. Mais tout devient difficile, la moindre tâche se multiplie en quinze gestes. »

«Ma façon de protester»

Jusqu’à présent, les clients sont aimables et accordent une valeur sentimentale aux sacs à main d’Anna. « Je ne souhaite cela à personne, mais je me suis habituée aux missiles, ils font désormais partie de ma vie », raconte la jeune femme, diplômée en relations internationales. Je ne peux pas dire que je l’aime, mais j’aime ma ville et je ne veux pas la quitter. Je veux que mes sacs soient fabriqués ici, pas à Kiev. » La seule chose qui la ferait tressaillir, « voir la ville occupée et le drapeau ukrainien remplacé par le drapeau russe : mon cœur ne résisterait pas à ça… » Alors, pour Anna et beaucoup de ses amis, vivre à Kharkiv, c’est résister. .

« J’ai l’impression que, quand j’habite ici, je travaille, on se promène, on va au café, au restaurant, on aide d’autres entrepreneurs qui ont décidé de faire fonctionner la ville, qui continue de vivre », explique Anna. Si nous abandonnons Kharkiv, ce sera psychologiquement plus difficile pour nos défenseurs. Pourquoi nos soldats devraient-ils mourir si la ville était vide et sans personne à protéger ? Nous aussi, nous protégeons la ville. Nous restons debout et nous mourons aussi, malheureusement. » Comme des boucliers humains volontaires ? Cette idée fait sourire Anna. «C’est ma façon de protester contre les Russes et de leur dire qu’ils n’ont rien à faire ici. »

Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr
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