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un peuple par-delà le « Mur des sables »

Le désert est un tombeau qui ne livre pas ses secrets. Vous pouvez y mourir tranquillement, ou y cacher ce qui vous est le plus cher. Personne n’oublie la sagesse populaire à Rabouni, chef-lieu administratif des camps où sont réfugiés les indépendantistes sahraouis, dans le Grand Sud algérien. Rien ne pousse ici. Seul un château d’eau ponctue l’horizon, à l’approche de ce lieu dont le nom vient du français « robinet », laissé par l’ancien colonisateur. La ville oasis à 20 km au sud de Tindouf rappelle l’hostilité d’un environnement qui n’avait pas besoin d’une guerre.

Depuis maintenant quarante-huit ans, le Maroc et le Front Polisario, mouvement politique et armé pour l’indépendance du Sahara occidental, créé en 1973 sous occupation espagnole, se battent pour le contrôle du Sahara occidental. « territoire non autonome » selon l’ONU, du fait qu’elle n’a plus de statut légal depuis le départ des Espagnols en 1976. Une histoire qui ne disparaît pas, et dans laquelle les Sahraouis sont restés coincés. Rabat contrôle 80%, la partie côtière riche en poisson et en phosphate. Soutenue par l’Algérie, la République arabe sahraouie démocratique, État en exil qui revendique l’autodétermination, contrôle les 20 % restants, balayés par le vent et la poussière.

L’autre « mur de la honte »

Directeur du Musée national de la Résistance du Front Polisario, Mohamed Atik a vu la terre aride prendre les formes les plus hostiles, lui qui s’est approché d’un peu trop près du colossal « Mur des Sables », ou « Berkem ». complexe de digues qui a gelé le front sur une longueur de 2 700 kilomètres. L’édifice, bordé d’un fossé, gardé par 100 000 soldats marocains, protégé par une émeute de 10 millions de mines antipersonnel, a littéralement fissuré l’espace et le temps, séparant le destin de milliers de familles.

Le vétéran n’a jamais enlevé son treillis. Il a participé aux derniers raids éclair qui ont mis à mal la solidité de cette extraordinaire ligne de défense, dès sa réalisation en 1987. L’homme de 65 ans boite encore : « Trois balles dans la hanche. Cela m’oblige à marcher avec une tête de fémur artificielle soignée à Cuba. »

Au début de l’offensive, son unité avait réussi à ouvrir une brèche dans le bâtiment. Le canon de 155 millimètres pris ce jour-là aux forces armées royales marocaines figure dans la collection du musée. Mais le mur, dont la maquette est exposée ci-dessous, a fini par imposer sa loi. Mohamed Atik, parti combattre à l’âge de 17 ans en 1975, fait l’amer constat : « Ma tête est devenue blanche, mon père resté en territoire occupé est mort : je ne l’ai plus jamais revu. »

Destins brisés

A ce jour, quelque 200 000 Sahraouis sont contraints à l’exil dans le désert algérien, tandis que 600 000 autres vivent dans le territoire contrôlé par le Maroc. Pendant des décennies, le seul moyen d’avoir des nouvelles – pour quelques privilégiés – était de se rendre aux îles Canaries, seule destination reliée par des vols réguliers depuis Tindouf, ou à la Mauritanie par voie terrestre, à condition de pouvoir s’en payer le prix. voiture et essence. Le trajet peut prendre plus de huit heures. Fatimatou, veuve de guerre qui laisse un tasbihle chapelet musulman, raconte la jeune génération. « Il est possible d’entreprendre ce voyage, mais il comporte un grand risque, surtout pour les personnes âgées. » témoigne ce réfugié de Smara, le plus peuplé des camps de réfugiés, avec 60 000 habitants. Les anciens sont impatients de tenter une dernière opération de retrouvailles, avant qu’il ne soit trop tard.

Dans le passé, d’autres familles triées sur le volet ont été réunies grâce aux « mesures de confiance » organisées par la communauté internationale. Des charters ont été affrétés par l’ONU (1) du côté dominé par le Maroc depuis Laâyoune, « ville de sable » situé aux portes du désert, vers les camps en Algérie. Bachir Mohamed, un vétéran qui sert du thé à la menthe à toute personne se trouvant au centre du camp de Smara, en a profité. Il a pu voir son frère aîné de 75 ans qui habite de l’autre côté du mur. «Je l’ai vu une fois tous les quarante-huit ans, il y a quatre ans. Il a réussi à venir ici cinq jours pour nous rapporter de l’argent. »

« Je ne pouvais pas la reconnaître »

En 2019, une révolution y a eu lieu. L’Algérie a décidé d’ériger des poteaux électriques aux cinq camps sahraouis portant le même nom que les « villes occupées », de l’autre côté, par Rabat : Laâyoune, Smara, Aousserd, Rabouni et Boujdour. Avant cela, il fallait attendre 19 heures pour qu’un générateur allume les lumières des maisons. Et il fallait faire la queue pour accéder au téléphone public. Ce saut technologique a permis de recharger les smartphones partout, y compris dans les poches des Bédouins.

Grâce à la messagerie en ligne WhatsApp, des milliers de familles qui ne s’étaient pas reconnectées depuis des décennies ont eu la surprise de découvrir la photo de profil de leur proche. Noira, 65 ans, ancienne directrice d’école de Smara, a eu la brève opportunité de voir une image du visage âgé de sa sœur: « Je ne pouvais pas la reconnaître » se lamente-t-elle.

Sahara occidental : un peuple au-delà du « Mur des Sables »

Meriem Salek Hmada, wali (préfet) de Smara, ne crie pas non plus à la libération totale. « C’est vrai que des ponts ont été construits entre les familles grâce aux télécommunications.Mais les téléphones, très surveillés côté marocain, sont systématiquement passés à la loupe. Certains peuvent être saisis comme éléments à charge. »

« Le contre-espionnage marocain sait tout »

La Direction générale des études et de la documentation (DGED) plane au-dessus de chaque smartphone sahraoui. Les services de renseignement extérieur et de contre-espionnage marocains excellaient déjà dans le filtrage du commerce saharien. Pour cela, le Mur des Sables a montré son utilité, même entre le cessez-le-feu de 1991 et la reprise des combats en 2020. Durant cette période, l’activité des grands commerçants ne s’est jamais arrêtée. Leur point de passage était négocié, en échange d’informations au-delà du travail défensif.

L’espionnage moderne a pris le relais. Noira ne cache pas sa frustration. « Ma sœur est restée occupée, mais je ne peux pas l’appeler, la communication est bloquée. Une fois, elle a été invitée dans un de nos groupes familiaux où nous interagissons avec ceux qui sont partis en Espagne, mais elle est immédiatement partie, elle devait avoir trop peur. »

Pour avoir les dernières nouvelles, l’ancien système prévaut toujours : « Des contacts en Mauritanie nous envoient des informations. » Ils sont parfois désastreux. Noira a appris la mort de son frère peu après sa sortie de prison : « Il a tenté de rentrer au Maroc avec de faux papiers mauritaniens, mais il s’est fait prendre : la DGED sait tout. »

Une identité à préserver

Établir des contacts au-delà du Mur de Sable constitue un enjeu existentiel pour la cohésion des Sahraouis, dont le projet politique est de s’affirmer en tant que peuple. Trois générations se sont succédées depuis le début du conflit avec le Maroc. Saïd Banahi, de l’Union de la jeunesse sahraouie, est chargé de préserver le lien avec ses camarades qui doivent obéir à la loi du royaume chérifien. WhatsApp est d’une grande aide pour cela. « Un membre du bureau caché là-bas nous tient au courant, nous essayons de briser le black-out médiatique en laissantun maximum de canaux ouverts, mais cela reste insuffisant. »

L’organisation tente d’alimenter une contre-culture pour saper le travail d’assimilation dans le monde. «province du sud» du Maroc. « Il n’y a pas une seule université du côté sahraoui, la composition de la population évolue. Petit à petit, le but est de les arracher à leur identité, et d’en faire de jeunes Marocains. » déplore le jeune militant du Polisario.

Par précaution, ce sont parfois des membres de la diaspora qui servent de relais : on estime que 26 000 Sahraouis vivent en Mauritanie, et 100 000 autres en Espagne. Les parents d’Ali, basés à Nantes, se tiennent informés par WhatsApp du sort de la famille restée côté marocain. « Ils n’ont pas le droit de dire que ce territoire appartient aux Sahraouis, ni de dire qu’ils sont sahraouis, ni de brandir un drapeau sahraoui, au risque de finir en prison, comme beaucoup. » Nous n’en saurons pas plus sur la teneur réelle des échanges. Par mesure de sécurité, les familles n’aiment pas donner trop de détails. Le désert est un tombeau qui ne livre pas ses secrets.

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Un Mur de Sable qui fait des émules

Construit entre 1980 et 1987, le « Mur des Sables » marocain, Long de 2 700 km, ponctué de casemates et surveillé par radar, a servi de modèle aux autres pays de la région, partageant le Sahara, au grand désarroi de la culture nomade.

La Tunisie et l’Egypte ont utilisé les mêmes méthodes, bien que moins fortifiée, pour se protéger des incursions armées depuis l’effondrement de la Libye après 2011, selon le géographe Laurent Gagnol.

Sahara occidental : un peuple au-delà du « Mur des Sables »

Les frontières de l’Algérie sont presque entièrement bordées de ce système de remblais et de tranchées, par endroits renforcés par des clôtures et des murs en béton, sur 6 700 kilomètres.

A l’est du Sahara, d’autres murs de sable moins imposants existent, non pas pour matérialiser une frontière, mais pour en contrôler l’accès. C’est le cas par exemple au sud de la Libye et au nord du Tchad, autour des sites aurifères. Ces murs peuvent atteindre jusqu’à une centaine de kilomètres.

(1) Sous l’égide de la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum en Sahara Occidental (Minurso).

Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr
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