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quelles solutions pour mettre fin à la violence des gangs ?

Plus de trois semaines après la démission du Premier ministre haïtien, Ariel Henry, aucun Conseil présidentiel de transition n’a été mis en place, alors que le pays est toujours l’otage de gangs de plus en plus violents. Dans ce contexte, CNEWS s’est entretenu avec Monique Clesca, ancienne responsable de l’ONU et experte de la crise en Haïti.

Un mois s’est écoulé depuis l’évasion des détenus du pénitencier national de Port-au-Prince, pris d’assaut par des bandes armées. Depuis, le pays est plongé dans une profonde crise sécuritaire et humanitaire. Il y a cependant plusieurs issues, c’est ce que nous explique Monique Clesca, auteure, ancienne responsable de l’ONU et membre de la Commission de recherche d’une solution haïtienne à la crise.

L’ONU a qualifié la situation en Haïti de « cataclysmique », déplorant que les frontières « poreuses » facilitent l’approvisionnement en armes et en munitions des gangs. D’où viennent ces armes ? Comment sont-ils transportés ?

La majorité des armes, sinon la totalité, proviennent des États-Unis. Il faut se demander comment ces armes américaines arrivent ici, principalement par avion ou par bateau. Certains sont également cachés dans des conteneurs parmi des vêtements ou des produits destinés à Haïti. Une petite quantité d’armes transite également par la République dominicaine.

Avec le groupe Akó Montana (Commission de recherche d’une solution à la crise haïtienne créée en 2021, ndlr) dont je fais partie, nous avons demandé fin 2021 aux autorités américaines de stopper ce trafic illicite d’armes et de prendre mesures. Ils ont commencé à le faire tard. Mais nous n’avons pas constaté de progrès majeurs hormis d’importantes saisies d’armes par les douanes haïtiennes au cours des deux dernières années.

Le futur Conseil présidentiel haïtien, qui doit prendre les rênes du pays, s’engage à rétablir « l’ordre public et démocratique ». Par quels moyens peut-il le faire ?

Ce Conseil présidentiel doit exercer les pouvoirs du président. L’ancien Premier ministre Ariel Henry a rempli ce rôle. Donc l’idée d’un Conseil présidentiel, c’est d’être une instance qui pourrait représenter la présidence de la République. Le problème, c’est qu’il n’y a pas eu d’élection présidentielle depuis 2016. Javelle Moïse (ancien président assassiné en 2021 ndlr) était censé organiser un vote bien avant sa mort et il ne l’avait pas fait tout comme son prédécesseur Michel Martelly.

Evidemment, les tâches prioritaires seraient de rétablir l’ordre public et seulement en second lieu, d’organiser des élections présidentielles. Il faut au minimum 18 mois dans ce genre de circonstances pour les organiser. Cela s’explique par le fait qu’il n’y a pas eu de recensement de la population depuis près de 10 ans et qu’il y a également eu une émigration massive. Il est évident qu’il faut d’une part revoir le fichier électoral, et mettre en marche la machine pour rétablir un minimum de sécurité permettant aux gens d’aller voter. Je vous rappelle qu’actuellement nous ne pouvons pas sortir de chez nous, les enfants ne peuvent plus aller à l’école.

Ont-ils les moyens de rétablir la sécurité ? L’intervention militaire de puissances extérieures est-elle inévitable ? Si oui, pourquoi cela ne se produit-il pas ?

Haïti devrait-il avoir une intervention militaire ? Je n’en suis pas convaincu. Je pense qu’il n’y a jamais eu de volonté de rétablir la sécurité. Pour quoi ? Parce que les gouvernements en place ont travaillé avec des gangs armés. L’insécurité a été créée de toutes pièces par ces hommes au pouvoir pour contrôler la population, afin qu’ils ne puissent pas manifester contre ce gouvernement.

Je pense qu’il est important de comprendre tout cela, imaginez : c’est comme si Emmanuel Macron avait sa propre milice armée et la mettait dans la rue justement pour détruire des biens publics et atteindre la population. C’est ce que nous vivons. Nous avons besoin d’un gouvernement qui n’est pas favorable à la violence. Les gouvernements corrompus précédents ont tellement laissé la situation se détériorer qu’aujourd’hui, il ne suffit plus de le dire. Il faut aussi un gouvernement qui mette en place un plan de sécurité, ce qui n’a jamais été fait sous Ariel Henry. Grâce à ce plan de sécurité, nous pourrons déterminer si nous avons besoin ou non d’une aide extérieure.

Vous évoquez un plan de sécurité, faut-il attendre les élections présidentielles pour le mettre en place ?

Le volet sécurité arrive bien avant une élection présidentielle. On est loin de se demander qui sera le prochain président, cela doit se faire dans le cadre d’une transition qui n’interviendra pas avant fin 2025 voire 2026. Il faudra surtout rétablir cet ordre public et un minimum de de calme bien avant. L’aéroport de Port-au-Prince est fermé depuis au moins un mois. Nous ne pouvons pas attendre qu’il y ait des élections pour cela.

La deuxième priorité sera de commencer à répondre aux besoins humanitaires. Rien qu’en 2023, plus de 360 ​​000 personnes* ont été déplacées par des gangs. Il y a des gens qui sont maintenant dans les écoles, certains dans les rues, dans les stades, dans les bureaux… Tous ces gens pourront-ils un jour rentrer chez eux ? Plusieurs millions de personnes sont au bord de la famine et il existe une crise humanitaire aiguë.

Comment ramener la sécurité en Haïti ? Comment faire face aux gangs immédiatement ?

Je ne pense pas que la seule solution soit la force. Pour quoi ? Une des choses que nous constatons en Haïti depuis presque deux ans, c’est qu’il n’y a plus d’enfants dans les rues, car ils ont été enrôlés dans des gangs. D’une certaine manière, il faudra voir comment gérer cela, et cela ne peut pas passer uniquement par la répression. Pourquoi même les jeunes rejoignent-ils ces gangs, pourquoi les rejoignent-ils ? Aujourd’hui, il y a une telle misère, une telle pauvreté. Si vous venez vers eux et leur offrez une arme, alors qu’ils n’ont rien à manger, vous leur offrez un certain pouvoir. Je l’ai vu. Il faudra aussi voir comment résoudre ce problème de profondes inégalités et ce problème de pauvreté pour que les jeunes puissent avoir la santé, l’éducation et la formation professionnelle.

C’est pour ces raisons que la répression seule ne suffira pas. Il existe des exemples partout dans le monde. La plupart des gangs sont basés dans des bidonvilles et il existe un grave problème de densité de population. Nous sommes dans des espaces tellement exigus que tout le monde ne peut pas y dormir la nuit, car il n’y a pas assez de lits pour eux. Il y a donc des gens qui dorment pendant la journée pour compenser. On ne peut pas réprimer dans les quartiers, car il y a trop de gens qui vont mourir. Il faudra trouver d’autres solutions en Haïti et c’est possible.

Est-il possible d’entamer des négociations avec les gangs ? Quelles seraient leurs revendications ?

Que veulent les gangs aujourd’hui ? Ils veulent la mort. Quand on attaque une école d’art, quand on essaie de mettre le feu à la plus vieille bibliothèque du pays, il me paraît évident que ce qu’on veut, c’est la terreur, ce qu’on veut, c’est tuer. L’ordre du jour est clair. Ce que veulent les gangs, ils le démontrent chaque jour en tuant, en violant, en détruisant et en incendiant. Je pense que ce sera le nouveau gouvernement en place qui devra, en fonction des stratégies adoptées, voir si à un moment donné il va s’asseoir avec les gangs et négocier, c’est la seule chose que je peux dire.

*Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 360 ​​000 personnes ont été déplacées dans le pays, certaines à plusieurs reprises.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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