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le mandat de Patrick Pouyanné sous la pression de certains de ses actionnaires

Ce n’est évidemment pas une coïncidence temporelle. A la veille de son assemblée générale, qui s’annonce une nouvelle fois chahuté par les ONG fustigeant sa politique climatique et environnementale, TotalEnergies officialise aujourd’hui avoir franchi le cap des 2 gigawatts (GW) de capacité d’énergie renouvelable installée dans l’Hexagone. La quatrième major pétrolière mondiale, qui fête cette année son centenaire, affirme être devenue une  » leader de la transition énergétique en France », avec quelque 400 millions de dollars investis dans ce domaine en 2023 à l’échelle nationale. Au niveau mondial, ses capacités déployées dans l’éolien et le solaire ont franchi la barre des 22 GW. Un niveau dont peu de joueurs peuvent se vanter.

Mais pas de quoi convaincre les militants du climat, loin de là. La préfecture de police de Paris a dû annoncer jeudi soir l’interdiction de toute manifestation « non déclarée » vendredi autour du siège de TotalEnergies à La Défense, où le géant pétrolier doit tenir son assemblée générale visée par la contestation écologiste.  » La stratégie climatique de TotalEnergies reste imparfaite. Les deux tiers de ses investissements continueront d’être orientés vers le pétrole et le gaz d’ici 2028 », souligne Antoine Bouhey, spécialiste TotalEnergies chez Reclaim Finance. Le groupe a d’ailleurs annoncé en septembre dernier vouloir augmenter sa production de pétrole et de gaz de 2 à 3 % par an jusqu’en 2028. » Cela va à l’encontre des recommandations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui préconise une réduction d’environ 20 % de la production pétrolière et gazière d’ici 2030 pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré. », souligne Louis-Maxence Delaporte, analyste énergie à l’ONG Reclaim Finance. Sur ce point, la major pétrolière et gazière se démarque même des autres mastodontes du secteur.  » BP s’est engagé à réduire sa production de pétrole et de gaz tandis que Shell entend maintenir sa production de pétrole », constate Louis-Maxence Delaporte.

Changement de tactique chez les militants du climat

D’autres acteurs considèrent en revanche que TotalEnergies est en avance sur les questions climatiques par rapport à ses concurrents, comme Shell, BP ou encore Eni et Repsol.  » En termes relatifs, nous avons un avis ‘Best in class’ pour TotalEnergies. L’argument qui prévaut est la part des investissements orientée vers les énergies propres et notamment vers l’électricité. Ses concurrents se tournent davantage vers les biocarburants, plus controversés en raison des conflits d’usage des sols ou de leur impact sur la biodiversité.explique Marc Lavaud, analyste ESG chez Oddo BHF. 34 % des investissements de TotalEnergies étaient orientés vers les énergies propres en 2023, contre moins de 30 % pour la plupart de ses pairs »il continue.

Il n’en reste pas moins que la major française inclut dans sa vaste catégorie « énergies propres » aussi bien les investissements dans les énergies renouvelables que ceux dans les centrales électriques fonctionnant au gaz, une énergie fossile dont les émissions contribuent directement au réchauffement climatique ! Et ce, sans donner de détails très détaillés. Par exemple, l’acquisition de trois centrales à cycle combiné gaz au Texas fin 2023, pour quelque 635 millions de dollars, fait partie des investissements « verts » de l’entreprise.

Alors que les militants du climat apparaissent depuis plusieurs années aux assemblées générales de TotalEnergies, sans que cela n’entraîne un changement majeur dans la stratégie du groupe, les actionnaires les plus engagés maintiennent leur pression… tout en changeant de position. ‘approche. Désormais, ils n’invitent plus d’autres investisseurs à s’exprimer contre la stratégie climatique de l’entreprise, lors d’un « Say on climat » (une résolution sur la stratégie climatique de l’entreprise) lors de l’Assemblée Générale, mais de s’opposer directement à la direction du groupe en votant contre la réélection de Patrick Pouyanné, le tonitruant PDG de TotalEnergies.

Pour rappel, le conseil d’administration a approuvé en septembre dernier le renouvellement du mandat de Patrick Pouyanné, pour trois années supplémentaires. Mais cet agrément doit encore être validé par les actionnaires qui se réuniront demain à 14 heures à La Défense pour l’assemblée générale annuelle.

Une expulsion improbable mais inquiétante

Un vote majoritaire contre cette résolution est-il un scénario plausible ? « Nous pensons que cela est peu probable » estimé Marc Lavaud, alors que d’autres observateurs estiment cette probabilité entre 20 et 30 %. Une telle issue n’est donc pas totalement nulle. Et, preuve que le sujet inquiète : « le directeur général Jacques Aschenbroich a adressé un message aux investisseurs les invitant à soutenir le renouvellement de Patrick Pouyanné en tant que PDG », note Marc Lavaud, pour qui « l’ampleur de cette préoccupation reste difficile à évaluer « .

Un groupe de 16 investisseurs, coordonné par Ofi Invest Asset Management et représentant 780 milliards de dollars d’actifs sous gestion, a déjà annoncé qu’il voterait contre la réélection de Patrick Pouyanné et du conseil d’administration. La fondation Ethos et plusieurs investisseurs (représentant seulement 0,9% du capital de TotalEnergies) a également réclamé en avril dernier une séparation des fonctions, avec pour objectif sous-jacent d’améliorer le dialogue actionnarial sur les enjeux climatiques. Un projet de résolution consultative que le conseil d’administration de la major n’a pas souhaité inscrire à l’ordre du jour de l’AGA. Le tribunal de Nanterre, saisi de cette affaire, lui a donné raison.

Certains actionnaires individuels et salariés pourraient rejoindre ce cercle restreint d’actionnaires protestataires. Et d’autres investisseurs pourraient également s’opposer sur des questions de gouvernance.  » La réalité est peut-être plus nuancée, mais dans l’esprit général des actionnaires, la combinaison des fonctions de président et de directeur général revient à être juge et partie. C’est ce qui explique que nombre d’entre eux voteront systématiquement contre la reconduction d’un président du conseil d’administration alors qu’il est également directeur général. », explique Marc Lavaud.

Toutefois, les principaux actionnaires du géant pétrolier, dont le Crédit agricole (qui détient quelque 14,5 milliards d’actions et obligations), devraient voter en faveur de la réélection de Patrick Pouyanné.  » On ne voit pas le Crédit Agricole ou BNP Paribas adopter une stratégie à la hauteur des enjeux climatiques », admet Antoine Bouhey de Reclaim Finance.

Une « fuite » vers Wall Street ?

Mais cet activisme n’est pas sans effet. Alors que la major étudie la possibilité de quitter la Bourse de Paris pour celle de New York, de nombreux observateurs estiment que la pression des actionnaires du Vieux Continent n’est pas étrangère à cette réflexion.  » TotalEnergies a également reconnu lors de son audition au Sénat que le poids des critères ESG en Europe a été un des éléments qui ont conduit à une réduction de l’actionnariat européen », constate Marc Lavaud. Un possible  » fuir » ce que regrette l’ONG Reclaim Finance.  » Ce n’est pas la solution que nous recommandons », concède Louis-Maxence Delaporte.

Rien ne garantit cependant que la major sera plus sereine outre-Atlantique. Aux Etats-Unis, Calpers, le plus grand fonds de pension américain, envisagerait de voter contre la réélection de Darren Woods, le PDG d’Exxon. Raison invoquée ? Le procès intenté par Exxon contre deux de ses actionnaires, Follow This et Arjuna Capital, parce qu’ils avaient déposé une résolution climatique qui n’a pas plu au conseil d’administration… Une certitude demeure : les relations entre les majors pétrolières et leurs actionnaires ne sont pas prêt à céder.