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Le biologiste marin Matthieu Juncker tente l’aventure de Robinson Crusoé sur un atoll polynésien

Le scientifique calédonien vient de mettre le cap sur un atoll des Tuamotu pour une mission de huit mois. Son défi : vivre en totale autonomie sur une île inhabitée, tout en étudiant la faune et les enjeux climatiques de cet écosystème particulièrement vulnérable.

C’est un pari un peu fou, mais surtout « un rêve de garçon », réalisé par Matthieu Juncker. Le 17 avril, ce biologiste marin partait pour une expédition scientifique aux Tuamotu, un archipel à l’est de la Polynésie française. Durant huit mois, le Calédonien d’adoption va tenter de vivre de manière autosuffisante sur un îlot désert. « Une aventure »qui veut aussi être « scientifique » puisqu’il s’agit de« observer cet environnement très préservé avec une faune et une flore extraordinaires qui, aujourd’hui, est menacée par beaucoup de pressions »précise Matthieu Juncker.

C’est un atoll très peu convoité, je suis curieux de voir comment le comportement des requins va évoluer en ma présence.

L’objet principal de sa mission sera d’étudier le « Titi », aussi appelé « chevalier des Tuamotu », un oiseau terrestre unique en danger d’extinction. « Tous les oiseaux de cette espèce ont disparu. Aujourd’hui, le « Titi » ne survit que sur cinq atolls des Tuamotu et nulle part ailleurs dans le monde. »précise le scientifique. Etudier le Titi et peut-être le sauver, c’est aussi sauver un peu l’atoll ».

Son expédition est aussi l’occasion de réaliser d’autres suivis, notamment sur le milieu marin, et plus particulièrement sur les requins. « Comme c’est un atoll très indésirable, je suis curieux de voir comment va évoluer le comportement des requins en ma présence, que ce soit avec les palmes, le masque et le tuba ou en chasse. »

Le biologiste marin envisage également d’étudier l’état de santé du récif, l’érosion côtière, la nidification des tortues, etc. Et s’il a le temps, la présence de plastiques charriés par l’océan sur ces îlots quasi vierges.


Autrefois, les « Titi » occupaient en grande partie l’archipel des Tuamotu.


Baptisée « À contre-courant », cette expédition, soutenue financièrement par plusieurs programmes et organismes dédiés à la préservation de la biodiversité, a pour principale originalité d’être menée en solo. « Je veux rester humble car la priorité sera toujours de vivre et de survivre avant tout : boire, manger, se loger, soigner… Ce sont les besoins les plus essentiels. Si elles ne sont pas respectées, cela peut vite tourner court. »

Soixante ans avant lui, le journaliste Georges de Caunes en a fait l’amère expérience. En 1962, il décide de se rendre sur l’îlot d’Eiao, au nord de l’archipel des Marquises, sans eau et sans nourriture, mais avec un chien pour compagnon et « une naïveté considérable »il l’admettra à son retour.

Cette expédition s’avérera très difficile à retarder. Il devait y rester un an. Il est parti au bout de quatre mois, un médecin lui ordonnant de quitter l’île.

Pour éviter que le rêve ne vire au cauchemar, Matthieu Juncker a passé près de deux ans à préparer cette mission. Pour s’abreuver, il compte sur les nombreux cocotiers de l’atoll, qui peuvent lui fournir de l’eau, mais pas seulement. Le scientifique a également utilisé un dessalinisateur pour transformer l’eau de mer en eau potable. « J’ai pris du matériel électrique pour le dessaler. Parce que l’objectif n’est pas du tout d’amener des énergies fossiles au motu (îlots de sable de corail blanc). J’ai aussi une grande bâche de 16m2 pour récupérer l’eau de pluie.

Il le raconte au micro de Charlotte Mestre

Côté alimentation, Matthieu Juncker sait qu’il peut s’appuyer sur le lagon, riche en protéines, avec des poissons et crustacés présents en abondance. Et sur terre, il peut aussi se nourrir de noix de coco. « J’ai pris des compléments alimentaires, comme du riz, des pâtes et de la farine, car je vais manquer de glucides. »

En cas d’accident majeur, les choses pourraient mal tourner. Car je suis à plusieurs heures de navigation du village le plus proche.

Cette mission n’est pas sans risques sanitaires. « S’il y a un accident majeur, ça pourrait mal tourner, il admet. Car je suis à plusieurs heures de navigation du village le plus proche et même si un hélicoptère venait me chercher à Tahiti, ce serait un vol de quatre à cinq heures. »

Matthieu Juncker a emporté avec lui du matériel médical pour intervenir dans un premier temps. Il peut également compter sur les pêcheurs de l’atoll voisin et sur le centre de secours polynésien pour le secourir.

S’il n’a pas prévu de communication quotidienne, il enverra néanmoins un message « tout va bien » à quelques personnes clés une fois par semaine. « Si le message n’arrive pas dans les 24 heures, ils pourraient commencer à s’inquiéter. J’aurai également une balise de détresse et un téléphone satellite pour parler à un médecin si je me blesse. »

Bien qu’il vive en Calédonie depuis une vingtaine d’années, c’est la Polynésie que le biologiste marin a choisi comme « laboratoire » pour cette mission. Une destination qu’il avait déjà visitée en 2001 lors de son master, et pour laquelle il avait « Un coup de coeur ». « J’avais une passion pour la population et la chance de découvrir les Tuamotu ».

Les conditions climatiques y sont également pour beaucoup. « Ce n’est pas du tout les mêmes précipitations en Nouvelle-Calédonie. Les îlots sont extrêmement arides et remplis de tiques. Ce sont des milieux plus difficiles à vivre et qui peuvent devenir un enfer. »

C’est aussi pour préserver ce petit paradis polynésien que Matthieu Juncker souhaite garder secret le nom de l’atoll où il a élu domicile. « Il faut éviter qu’il soit attaqué et dégradé par l’introduction de graines ou d’espèces envahissantes. »

Avant de partir en expédition, le scientifique s’est rapproché des populations locales. « J’ai eu la chance d’être très bien accueilli par l’atoll voisin, qui est habité, et par le maire. J’ai également reçu le soutien de différentes associations.

L’atoll sur lequel Matthieu Juncker a jeté son dévolu compte une soixantaine de motu. C’est sur l’un de ces îlots qu’il installera un faré pré-construit « pour ne pas couper les cocotiers sur place ». « Ce faré sera ma base de vie, avec le matériel médical et le dessalinisateur. C’est un faré sur pilotis car il arrive que le motu soit submergé. De là, je partirai plusieurs jours sur ce vaste lagon avec un kayak naviguant dans mode bivouac. »


Croquis de faré sur échasses


S’il reconnaît que l’enjeu immédiat sera avant tout de survivre, la solitude devrait aussi vite s’imposer à lui : « 240 jours seul, je n’ai jamais vécu ça. Je vivrai loin de ma femme et de mes filles. Je sais déjà que je vais vivre des moments de grande souffrance.

Le scientifique aborde cette expédition comme « une quête personnelle ». Il emporta avec lui des livres d’aventures, qui se déroulent dans des terres glacées, mais aussi des essais plus philosophiques et des recueils de poésie.

J’ai l’impression que les atolls sont les écosystèmes les plus vulnérables au changement climatique, un peu comme les glaciers.

De cette expédition hors du commun, Matthieu Juncker entend réaliser un film documentaire, avec le soutien de la société Galatea films, qui a produit des joyaux comme Microcosme, Océans ou Le peuple migrateur. Sa sortie est prévue pour 2025 sur France Télévisions.

« J’aimerais beaucoup parler de ces atolls moins connus au niveau international. Car j’ai l’impression que ce sont les écosystèmes les plus vulnérables face au changement climatique, un peu comme les glaciers. Un atoll se trouve à trois mètres au-dessus de la surface, porté par une barrière de corail. » À tout moment, cet habitat fragile pourrait se retrouver rayé de la carte.

Matthieu Juncker envisage également d’écrire un livre, « peut-être un peu plus introspectif, sur la dimension humaine et scientifique de cette aventure ».

Une expédition que le public peut également suivre sur les réseaux sociaux (Facebook et Instagram), ainsi que sur le site internet matthieujuncker.comgrâce au relais assuré par une poignée de proches, qui se font appeler « Radio motu », avec qui il communiquera deux à trois fois par mois.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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