Divertissement

Taylor Swift ou l’art de faire de la tristesse un carton planétaire

2010. Taylor Swift remporte son premier Grammy, celui du meilleur album de l’année pour le deuxième album de sa jeune carrière, Intrépide. Dans cet opus, la chanson Pour toujours a parlé de sa rupture avec son petit ami à l’époque. Quatorze ans et huit albums plus tard, la superstar désormais planétaire vient de sortir son nouveau mastodonte, Le département des poètes torturésdont le titre et au moins trois chansons semblent, selon l’analyse minutieuse du rapidesétant des références directes à un autre de ses ex.

Réglez vos comptes avec vos aînés petits amis est devenu une tradition pour « Tay Tay ». Plus de 30 chansons sur ce thème ont déjà été répertoriées dans les albums précédant celui sorti ce vendredi. Des déceptions amoureuses qui l’ont finalement aidée à bâtir son empire musical : 170 millions d’albums vendus, une tournée La tournée des époques disque, et la première artiste à devenir milliardaire uniquement grâce à ses revenus musicaux. Il semble que la tristesse se vende.

« On s’identifiera à une vie sombre et difficile »

« Nous ne sommes plus dans la glorification du bonheur, comme dans les décennies 1960 à 1980. Désormais, ce qui vend et résonne chez les consommateurs, c’est la tristesse et la nostalgie », confirme Pierre-Louis Desprez, spécialiste du marketing au sein du cabinet Kaos. « Aujourd’hui, on démarre une carrière directement avec ‘tristesse' », en prenant l’exemple de Billie Eilish, dont le premier album contenait des singles aux titres explicites comme Quand la fête est finie Ou Enterrez un ami.

« Taylor Swift parvient à être en phase avec ce qui se passe dans le monde. Nous assistons à la résurgence d’un esprit romantique datant du XIXe siècle », explique la compositrice et musicologue Béatrice Thiriet. « Avec les multiples crises de notre époque, on se projette plus facilement dans le drame, l’héroïsme, la tragédie sociale, car cela ressemble à notre monde. On n’imagine pas une histoire se terminer bien et on ne s’identifiera plus à un personnage qui a une vie sombre et difficile. »

« Les femmes acceptent la tristesse »

Syndrome de l’époque, le Batman torturé est bien plus populaire que Superman, le super-héros plus que parfait. Décliné au féminin, le concept porte même son petit nom, « sad girl fall », dont Taylor Swift est devenue l’incarnation la plus marquante. Lancé par la rappeuse américaine Megan Thee Stallion, « sad girl fall » nous invite à s’éloigner du cliché de la femme joyeuse, ensoleillée, aux émotions toujours positives et à accepter la mélancolie et le chagrin. La dépression saisonnière, bien sûr. Celle qui nous pousse à boire du chocolat chaud en chemise à carreaux sous une couverture. Ainsi « Tay Tay », mais aussi Billie Elish, Miley Cyrus et autres spécialistes de la rupture qui finit mal se permettent de chanter leurs chagrins autant, sinon plus, que leur joie.

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Alors évidemment, Hier des Beatles à toute la discographie de Ben Mazué, Dinos et Lewis Capaldi, fredonner le désespoir de l’amour ne semble pas particulièrement original. Mais phénomène nouveau, « les femmes embrassent la tristesse, un sentiment qui leur était quasiment interdit », s’enthousiasme Béatrice Thiriet. Ou, très schématiquement, « La vie en rose » pour Edith Piaf et Ne me quitte pas pour Jacques Brel. Bien consciente d’être l’égérie de ce nouveau mouvement, Taylor Swift a même sorti l’un de ses propres tubes, Trop bienremasterisé en version « Sad girl automne ».

« C’est une émancipation pour les femmes de pouvoir s’approprier et s’exprimer sur le côté tragique de la vie et de la société, car dans la tristesse, il y a une liberté, un côté sauvage, rebelle, qui a longtemps été réservé aux hommes, poursuit Béatrice. Thiriet. S’il est important de célébrer ses propres triomphes – « Je peux acheter mes propres fleurs » chante Miley Cyrus dans son tube fleurs –, il reste tout aussi libérateur de s’accorder le droit au chagrin.

Du confort et « une béquille »

Cette captation de la tristesse permet aussi une plus grande générosité des mots.  » LE Paroles par Taylor Swift, c’est de la poésie, elle prétend l’être, poursuit Pierre-Louis Desprez. Et poète heureux, on s’y est vite fait, ça sent le pin… Il faut de la tristesse pour être poète. » Et pas n’importe quelle tristesse, développe le spécialiste : « en écoutant Taylor Swift, on n’a pas envie de se suicider, on n’en ressort pas plus triste qu’avant, c’est une nostalgie presque réconfortante. C’est une béquille pour le fan, qui se dit qu’il n’est pas seul dans sa douleur et dans sa morosité. »

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Car même en chantant sa tristesse, la superstar « n’est pas faible et reste une héroïne », affirme Pierre-Louis Drespez. La société peut évoluer, mais la narration du rêve américain reste forte. « L’histoire racontée à travers sa discographie n’est pas celle d’un être brisé par la vie, mais d’une ascension irrésistible pour devenir ce poète, un accomplissement. » « C’est d’autant plus important que ce sont des femmes puissantes qui sont des ‘filles tristes’ », conclut Béatrice Thiriet. Taylor Swift peut chanter à la fois sur son ex et sur sa vie amoureuse compliquée en tant que personne de l’année selon Le magazine Time ou (peut-être) faire basculer la prochaine élection présidentielle américaine en une seule phrase. Fille triste Et femme forte à la fois.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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