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qu’est-ce qui pousse Emmanuel Macron à multiplier les cérémonies et les hommages tout au long de l’année ?

Le Chef de l’Etat poursuit les célébrations et les discours relatifs à la Seconde Guerre mondiale. L’occasion de véhiculer nombre de messages politiques, avec le risque d’une inflation mémorielle contreproductive.

Avant un été qui sera écrasé par les Jeux olympiques et paralympiques, le printemps offre déjà à Emmanuel Macron une intense période de commémorations. Le chef de l’État préside de multiples cérémonies, dont le point culminant est le 80e anniversaire du Débarquement allié en Normandie, le 6 juin. Après l’hommage aux enfants juifs d’Izieu et aux résistants du plateau des Glières (Haute-Savoie), ce voyage mémoriel se poursuit mardi 16 avril à Vassieux-en-Vercors (Drôme), pour honorer la mémoire des résistants et habitants réprimés, massacrés par les nazis et les miliciens de Vichy.

Pour son deuxième mandat, Emmanuel Macron semble accorder à la Seconde Guerre mondiale une place toute particulière dans sa politique mémorielle. « Il remplit beaucoup son emploi du temps », observe Thibaut Poirot, professeur d’histoire à l’académie de Reims. Ce qui ne manque pas de rappeler à l’historien « itinérance mémorielle pour le centenaire de la Première Guerre mondiale, en 2018″.

Souvent saluée par Emmanuel Macron, la Résistance occupe dans ce contexte une place majeure. « Il y avait déjà ces hommages à Georges Clemenceau, à Charles de Gaulle ou encore les panthéonisations de Joséphine Baker, Maurice Genevoix et Missak Manouchian »note l’historien Jean Garrigues.

Ces nombreux hommages sont loin d’être totalement désintéressés. « Le secteur mémoriel est une variable d’ajustement politique ; les gestes ne mangent pas de pain et peuvent s’avérer payants”estime l’historien Patrick Garcia, qui voit « une zone où il est facile de réaliser l’unité » du pays, exaltant le courage du passé face aux défis du présent. « La Résistance rassemble tout le spectre politique. C’est un idéal, de la politique intérieure à la scène internationale. »poursuit Olivier Le Trocquer, professeur d’histoire contemporaine.

Hommages en « réponse au populisme »

Quant au Débarquement, pour Denis Peschanski c’est un « événement mondial ». « C’est le lieu de rencontre de tous les chefs d’Etat, le lieu où l’on discute du présent et de l’avenir, depuis 1984 et François Mitterrand », retrace le président du Conseil scientifique et d’orientation de la mission des commémorations du 80e anniversaire. La Résistance et la Libération trouvent même un écho très actuel, lorsque les propos du président mélangent passé et présent. Aux Glières, le 7 avril, Emmanuel Macron ne s’est pas retenu : « Les assaillants doivent arrêter, (…) ils doivent être sûrs de notre détermination, pour que nous puissions vivre libres ou mourir »» déclara-t-il en reprenant la devise du maquis des Glières. « On voit clairement sa référence à l’Europe de l’Est, avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine »analyse Thibaut Poirot.

Emmanuel Macron en déplacement sur le plateau des Glières, à Thônes (Haute-Savoie), le 7 avril 2024. (PIERRE ALBOUY/POOL/AFP)

L’enjeu est aussi national, même si l’Elysée jure de ne pas faire « politique » mais traite « le politicien ». « Plus Emmanuel Macron abandonne la défense des questions sociales, plus il compense par une surinflation mémorielle »relève Olivier Le Trocquer, membre du Comité de vigilance contre les usages publics de l’histoire (CVUH), en référence aux récentes réformes des retraites ou de l’assurance chômage.

Multiplier les commémorations de la Résistance permet aussi au chef de l’État de continue ton combat face à l’extrême droite, qu’il n’a pas abandonnée depuis 2017 et qu’il compte porter avant les élections européennes du 9 juin. « Il est clair que tous ces hommages sont une réponse à tout populisme »insiste Denis Peschanski, même si leur résultat dans ce domaine est incertain.

« Ce n’est pas une politique mémorielle qui empêchera l’extrême droite de se soulever. »

Denis Peschanski, historien

sur franceinfo

« ÔOn peut se poser la question de l’efficacité de ces commémorations, car le Rassemblement national (RN) tente de nous faire oublier ses origines et ses revendications d’appartenance à la Résistance.se souvient Patrick Garcia. « J’ai répertorié 42 résistants qui ont été à la fondation du parti »par exemple, Marine Le Pen a déclaré : sur France 3en juin 2023.

« Le calendrier mémoriel s’impose »

Le parcours et la personnalité d’Emmanuel Macron le pousseraient également à attacher une importance fondamentale à la Résistance et à l’aspect mémoriel en général. «Cette question l’intéressait avant son électionassure Denis Peschanski. Ayant été l’assistant du philosophe Paul Ricœur (auteur de Mémoire, Histoire, Oubli) beaucoup joué. » « Il a le goût de la théâtralité du moment mémoriel »acquiesce Jean Garrigues.

Pour l’auteur de La République incarnée, de Léon Gambetta à Emmanuel Macronil y a aussi une attitude générationnelle envers la Résistance. Les trois derniers présidents de la République n’ont pas du tout connu la Seconde Guerre mondiale.. « On dit que les Français pourront plus facilement se reconnaître en Charles de Gaulle ou en Missak Manouchian pour reconstruire une nation »explique Jean Garrigues, qui évoque un « incarnation par délégation » à travers ces chiffres.

Emmanuel Macron lors de la cérémonie d'entrée au Panthéon de Missak Manouchian, à Paris, le 21 février 2024. (CHRISTOPHE PETIT TESSON/POOL/AFP)

De ce fait, le nombre de commémorations s’est accru au fil des années et des présidences. Au risque d’alimenter ce qu’on pourrait appeler l’inflation mémorielle ? « La référence à la Résistance est une constante croissanteassure Patrick Garcia. Dans ce domaine, Emmanuel Macron ne ferait donc que reprendre le flambeau de ses prédécesseurs. « Le calendrier mémoriel s’impose », évacue Bruno Roger-Petit, conseiller mémoire du chef de l’Etat. Mais le danger de cette accumulation ne doit pas être sous-estimé, selon Thibaut Poirot.

« Comme il veut combiner les commémorations, Emmanuel Macron combine les styles. Le déroulement des événements n’est pas forcément très lisible du point de vue d’un discours présidentiel.»

Thibaut Poirot, professeur d’histoire

sur franceinfo

Pour améliorer la lisibilité de ces hommages, une commission présidée par l’historien André Kaspi préconisait en 2009 (PDF) limiter les commémorations nationales à trois dates : le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre. L’idée était de faire d’autres dates « commémorations locales ou régionales »mais « le rapport a été abandonné avant même d’être soumis à l’Elysée », rappelle Patrick Garcia. Il n’y a pas de retour en arrière, à ses yeux : « Si Emmanuel Macron ne va pas aux Glières et ne panthéonise pas, que dira-t-on ? Il s’agit d’un mouvement quasiment irréversible, à moins qu’il ne suscite des polémiques inutiles.»

« Le pouvoir politique a toujours tendance à exploiter l’histoire »

Il y a un autre risque à multiplier les moments d’hommage à la Résistance : celui d’apparaître comme un président qui utiliserait cette période à des fins politiques, sans respecter toutes les vérités du passé. Une critique formulée dès le lancement, au printemps 2022, du Conseil national de la Refondation, qui a emprunté son nom au Conseil national de la Résistance, mais pas son idéologie. « On peut effectivement parler d’un détournement de l’histoire, mais ce défaut n’est pas propre à Emmanuel Macron. Le pouvoir politique a toujours tendance à exploiter l’histoire et à en abuser. »analyse l’historien Olivier Wieviorka, selon qui « il n’y a pas de distorsion majeure ni de vision biaisée de l’histoire » au chef de l’Etat.

« La mission du président de la République est d’évoquer des figures exemplaires, il n’est pas là pour faire du travail scientifique », se défend Bruno Roger-Petit. Pour sa part, « l’historien doit analyser ce que dit le discours présidentiel sur la sensibilité collective au passé et la position que le président entend prendre »explique Patrick Garcia.

« On ne lit pas les discours au stylo rouge, on n’est pas là pour corriger. »

Patrick Garcia, historien

sur franceinfo

« En France, le pouvoir politique n’écrit pas l’histoire. Reste qu’il y a des silences et des paroles qu’il faut relever. On ne les corrige pas, mais il faut s’attarder sur d’éventuelles simplifications au nom du message politique que veut faire passer le président. passer derrière »ombre Thibaut Poirot. Le professeur prend l’exemple des 150 ans de la République, célébrés par Emmanuel Macron en septembre 2020. « Même s’il n’est pas historien, ne pas évoquer la Première et la Deuxième République me semble gommer la complexité de l’histoire »il croit.

Fichiers mémoire concurrents ?

Ces « messages politiques » se lit aussi à travers les périodes et dossiers mis en avant par Emmanuel Macron. « Plus que l’Occupation ou la Résistance, Emmanuel Macron fait référence à la Libération, considérée comme un acte fondateur »estimé en Le monde en 2017 Olivier Wieviorka. Sept ans plus tard, l’historien estime que la donne a changé : « L’accent est davantage mis sur la Résistance et le Débarquement. »

De plus, « Les grandes affaires d’Emmanuel Macron restent l’Algérie et le Rwanda, plus que la Seconde Guerre mondiale« , dit aujourd’hui l’historien. Au sujet de l’Algérie, le chef de l’État a qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité » avant d’être élu en 2017, et a annoncé en 2022 la création d’une commission d’historiens français et algériens sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Quant au Rwanda, il avait « reconnu » en 2021, le « responsabilités » de la France lors du génocide des Tutsis en 1994.

Mais là encore, la situation n’est pas simple pour ceux qui, quoi qu’il arrive, quitteront l’Elysée au printemps 2027. Comme en témoigne un polémique sur le Rwanda, née le jour d’un double hommage présidentiel aux enfants juifs d’Izieu et aux résistants du plateau des Glières. « En voulant être présent dans de nombreux endroits, Emmanuel Macron prend le risque de mettre des choses différentes sur le même plan et de provoquer une collision entre les agendas mémoriels. » prévient Thibaut Poirot.

Cammile Bussière

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