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Les « steaks de soja » culpabilisent les amateurs de viande

Frédéric Mesguich est auteur militant et docteur ès sciences. Marie-Claude Marsolier (CEA/Muséum National d’Histoire Naturelle) est l’auteur de Mépris de « bêtes « . Un glossaire de la ségrégation animale(Presses universitaires de France, 2020).


Le 10 avril, le Conseil d’État a suspendu, pour la deuxième fois, un décret visant à interdire l’utilisation, pour les produits végétaux, de termes habituellement liés aux produits animaux, comme celui de «  steak »de «  lard » ou «  lard » végétal.

Suspendu à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, qui doit encore se prononcer sur la conformité au droit européen des restrictions décrétées par le gouvernement français, le Conseil d’État a donc reporté l’application d’une loi votée le 10 juin 2020 relative à la transparence des informations sur les produits agricoles et alimentaires.

Sur le fond, l’institution souligne que les raisons d’intérêt public qui ont conduit à l’adoption de cette loi sont insuffisamment démontrées, puisqu’elle s’applique à des noms parfois utilisés depuis longtemps par les consommateurs et qui figurent également sur les cartes des restaurants.

Ainsi, le nom «  steak de soja » est utilisée commercialement en France depuis plus de vingt ans. On se demande donc si le problème posé ici n’est pas plus une question de conscience que de terminologie.

LE «  lait de soja » reste préféré à un « boisson au soja »

La manière dont les pouvoirs économiques et législatifs interviennent dans notre langage a en réalité peu d’impact sur la façon dont les gens se réfèrent à ces aliments. Après tout, nommer de nouveaux produits par rapport à des aliments ayant la même forme ou la même fonction est trivial. Et cette interdiction serait de toute façon très limitée, car elle ne s’appliquerait pas aux produits importés et, en dehors d’un contexte de vente, la liberté d’expression primera toujours.

Ceux qui voudraient retrouver certains avantages des produits d’origine animale – goût, texture, modes de préparation – sans leurs inconvénients pour les animaux et l’environnement cuisineront toujours. «  bacon aux légumes » et je les nommerai ainsi. Après six ans d’interdiction commerciale, l’appellation «  lait de soja » a trente fois plus de chances d’être trouvé par Google que le plus poli «  boisson au soja »que ce soit sur Internet ou dans des ressources imprimées indexées par le moteur de recherche.

Et pour cause : si ces appellations sont appréciées des vendeurs de produits végétaux, c’est avant tout parce qu’elles «  parler » au consommateur, qui sait d’emblée comment utiliser le produit, quelle texture et quel goût attendre.

Pas ou très peu de confusion chez les consommateurs

Tous les noms en débat reposent sur le même principe : pour nommer un nouveau produit, on prend le nom d’un aliment connu auquel on ajoute un adjectif pour expliciter l’innovation.

La raison pour laquelle cela fonctionne est que le nom d’un produit ne vient souvent pas de sa composition, mais de sa fonction et de son apparence. Les exemples sont particulièrement nombreux dans le domaine de l’innovation technologique : pensez à «  souris d’ordinateur », «  e-mails », «  livres numériques » ou «  Cigarettes électroniques ».


Le nom «  steak de soja » est utilisé commercialement en France depuis plus de vingt ans.
Pxici/CC0/Eduardo Vettorato

Dans le secteur alimentaire, des désignations relativement récentes selon le même procédé n’avaient jusqu’à présent suscité aucune opposition, que ce soit «  faux sucre »de «  pain sans gluten »de la «  chips de légumes » ou même «  caviar d’aubergine ». Malgré un processus de dénomination parfaitement courant, des désignations telles que «  steak de légumes » suscitera donc une réaction d’opposition sans précédent.

Bien entendu, la bataille économique entre deux secteurs en concurrence directe, celui des protéines animales et celui des protéines végétales, n’y est pour rien. Des entreprises établies ont également pu propager leur principal argument de désinformation présumée des consommateurs, repris par le champ politique et certains médias. Cependant, aucune étude ne conforte une telle idée, certaines, réalisées aux États-Unis et en Australie, la contredisent même.

Le premier, de l’Université de Louisville, confirme que des mots tels que «  bœuf » Ou «  Bolognese » sur les produits végétaux n’induisent pas de confusion, mais permettent au contraire aux consommateurs de mieux comprendre le goût et la manière d’utiliser les produits.

La seconde, réalisée à l’Université de Technologie de Sydney, montre que seulement 4 % des consommateurs ont déjà acheté par erreur des spécialités végétales, tandis que 57 % considèrent des termes comme «  poulet aux légumes » Ou «  façon bacon » pour différencier les produits végétaliens de leurs homologues animaux.

Un cas de culpabilité ?

La psychologie sociale nous offre une explication complémentaire intéressante en considérant un effet de « dénigrement des bonnes actions » : le comportement moralement motivé d’une personne conduit à ce qu’elle soit perçue négativement par les autres.

Ainsi, le refus de certains de consommer des produits d’origine animale, par bienveillance envers les animaux ou pour le climat, entraînerait un rejet des aliments étiquetés végétariens ou végétaliens.

On peut émettre l’hypothèse que les appellations «  lait de soja » Ou «  aiguilles de légumes » Certains se hérissent en rappelant que manger ou non des animaux est un choix éthique qui ne nécessite pas forcément de renoncer aux goûts et aux textures que l’on aime.

Lire aussi : Le régime végétalien, jusqu’à 100 fois moins polluant que la viande

Tout auteur de pratiques guidées par des convictions morales risque donc d’être perçu comme une menace par ceux qui ne partagent pas ses convictions et/ou les comportements associés, car il les place en situation d’infériorité morale et provoque un sentiment de culpabilité. Cette menace déclenche des réactions de défense.

La levée de boucliers contre les appellations de spécialités végétariennes ou végétaliennes pourrait donc s’expliquer, outre des intérêts économiques, par une attitude de méfiance à l’égard de modes de vie prétendument plus éthiques que par de prétendues ambiguïtés sur la nature des produits.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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