Divertissement

comment les « brouteurs » escroquent leurs victimes sur internet

La commissaire Sophie Robert, chef de la brigade de répression de la délinquance intelligente à la direction de la police judiciaire de Paris, détaille pour franceinfo le phénomène des « brouteurs », ces escrocs qui exploitent la crédulité des internautes.

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La commissaire divisionnaire Sophie Robert, dans les locaux de la brigade de répression de la délinquance astucieuse, à Paris.  Avril 2024 (GAËLE JOLY / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Il y a quelques semaines, un homme du Pas-de-Calais a tué sa compagne, pour rejoindre sa maîtresse rencontrée sur Facebook. Il a en fait été manipulé pour devenir un « brouteur ». Qui sont ces escrocs d’Afrique de l’Ouest qui tentent de soutirer de l’argent sur Internet, et comment opèrent-ils ? Explications de la commissaire divisionnaire Sophie Robert, chef de la brigade de répression de la délinquance intelligente à la direction de la police judiciaire de Paris.

franceinfo : Pouvez-vous nous dire ce qu’est un « brouteur » ? ?

Sophie Robert : Un « brouteur » est un escroc. C’est une personne qui va contacter une victime souvent via les réseaux sociaux, les sites de rencontres, qui va la séduire, la faire tomber amoureuse de lui afin de lui soutirer de l’argent. La particularité est que l’escroc et la victime ne se rencontreront jamais réellement, car l’escroc n’est pas en France. Tout se passera sur Internet ou sur les réseaux sociaux. La victime croira réellement à une véritable relation amoureuse entre elle et l’escroc ; et pour lui soutirer de l’argent, il inventera à chaque fois des raisons telles que la maladie, l’héritage bloqué, l’argent bloqué, l’éducation des enfants et le besoin d’argent. La victime lui enverra donc de l’argent.

Ces « brouteurs », ils vivent tous à l’étranger ?

Surtout oui. Ils se trouvent souvent dans des pays africains : Côte d’Ivoire, Nigeria, Bénin… mais ne sont jamais sur le territoire français.

Avons-nous un profil type de victime ?

Ces arnaques peuvent toucher tout type de classe sociale. La plupart d’entre nous ont encore des personnes isolées, seules, après une rupture par exemple. Ils se retrouvent assez isolés et sont donc plus enclins à se laisser approcher par une personne qui s’intéressera à eux. Il s’agit avant tout d’un profil psychologique d’une seule personne.

Cela peut surprendre, parfois on a un cas où on se dit que c’est impossible de se laisser berner comme ça. Mais en réalité, les escrocs ont un discours extrêmement bien répété. Ce qu’on appelle « le déballer », c’est-à-dire un discours qui s’adapte à la personne qu’il a en face, car derrière il y a de la manipulation, il y a de la mise sous contrôle. Et on a une victime qui croit vraiment en cette relation amoureuse et qui est vraiment très amoureuse d’une personne qu’elle n’a jamais vue.

« C’est une arnaque qui existe depuis très longtemps, mais qui s’est développée lors des différents confinements pendant le Covid. Beaucoup de gens se sont retrouvés isolés à cette époque, seuls chez eux.

Commissaire Sophie Robert

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C’est pendant la crise que l’on a vu émerger et s’accélérer les arnaques via Internet. Ainsi, les escroqueries, les escroqueries amoureuses, se sont également développées à cette occasion.

Quelle est l’ampleur des dégâts ? ?

Les dégâts peuvent être très élevés : des dizaines de milliers d’euros, voire des centaines, voire plus d’un million d’euros. Cela peut être très, très élevé. Le brouteur, lorsqu’il accroche la victime, va lui soutirer autant d’argent qu’il peut. Certaines victimes contractent des crédits à la consommation pour rembourser la personne en face d’elles, elles y mettent toutes leurs économies. Cela peut conduire à des situations très difficiles, lorsque la victime se rend compte qu’elle a été fraudée. Et on a même vu que certaines victimes tombaient par la suite dans la dépression. Certains se sont suicidés.

Comment lutter contre cette forme de criminalité ? ?

C’est très difficile. Il faut passer par la prévention car en effet les escrocs utilisent des techniques de dissimulation, même sur Internet : ils utilisent des VPN pour cacher leur adresse IP, ils utilisent des numéros de téléphone dits « on-off » pour afficher des numéros de téléphone d’origine française pour le paiement de fonds. Ils passent par des « mules », c’est-à-dire des individus qui leur transfèrent ensuite les fonds, ou parfois même par d’autres victimes qui leur transfèrent les fonds pour cacher le parcours de l’argent. Donc techniquement, c’est difficile de les identifier et si on arrive à suivre ces flux ou à identifier une adresse IP, c’est souvent à l’étranger. Il faut passer par une coopération judiciaire internationale qui, parfois avec ces pays, est longue ou difficile.

Les escrocs en Côte d’Ivoire sont très difficiles à arrêter. En France, il y a toujours le risque d’être identifiés et arrêtés, alors qu’à l’étranger, ils sont un peu plus à l’abri. Il y a une communauté qui s’est créée, notamment en Côte d’Ivoire. On assiste même à des escroqueries excessives, où une victime escroquée au travers d’une escroquerie amoureuse, par exemple, sera contactée par un autre groupe d’escrocs qui se feront passer pour des policiers et qui, pour mener des investigations ou ouvrir une enquête, demanderont argent. La victime est ainsi escroquée à deux reprises par deux équipes différentes.

Quels conseils pour éviter ces arnaques ?

Méfiez-vous des rencontres sur Internet, essayez autant que possible de vous rencontrer physiquement. Sensibiliser également l’entourage de ces personnes. Car en effet, dans la majorité des cas d’escroquerie, ce sont les proches qui préviennent la police.

« Souvent, les victimes, même lorsqu’elles se rendent compte qu’elles ont été fraudées, ne portent pas plainte parce qu’elles ont honte de ce qui s’est passé, d’avoir été trompées. Il faut immédiatement porter plainte pour avoir une chance de récupérer les fonds. »

Commissaire Sophie Robert

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Parce que l’une de nos priorités en matière d’escroquerie, même lorsque nous ne pouvons pas identifier ou arrêter les fraudeurs, est de récupérer l’argent. Cela est possible si nous parvenons à intervenir très peu de temps après le décaissement des fonds. Ce n’est pas toujours possible, mais en contactant la banque dans les 24 heures, il y a une chance de récupérer les fonds.

Il existe également la possibilité de déposer une plainte en ligne. ?

Oui, depuis mars 2022 vous pouvez déposer une réclamation en ligne sur la plateforme Thésée. Il s’agit du premier système de plainte en ligne mis en place par la Direction nationale de la police judiciaire et la Direction générale de la police nationale. Il y a un côté arnaque dans la romance. Après avoir déposé plainte, la victime sera contactée par un opérateur. Derrière cela, il y a un logiciel qui permet de faire des liens entre les différentes plaintes pour savoir si vous n’avez pas affaire au même arnaqueur, à la même équipe. Nous pouvons collecter et rapprocher toutes les plaintes, pour les transmettre à un service de police.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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