Bob Dylan, en majesté à Paris
Ne jamais être là où on l’attend. Et surtout pas sur le même terrain que la fois précédente… Hier soir à Paris, Bob Dylan n’a pas renoncé à ses principes. A 83 ans, il en est à la dernière étape de son « Rough and Rowdy World Tour », qui doit se terminer en novembre à Londres. Il y a deux ans, l’Américain avait impressionné le Grand Rex avec un show centré sur son dernier disque, faisant l’impasse sur tous ses classiques. Mais l’été dernier, Bob Dylan a accepté de participer à une tournée commune avec Willie Nelson, dont il était la première partie, dans des arènes en plein air. Étonnement chez les puristes lorsque leur Bob recommença à reprendre ses chansons les plus connues avec un nouveau groupe, débarrassé du violoniste Donnie Herron et comprenant l’emblématique batteur Jim Keltner.
Allait-il conserver cette formule pour l’Europe ? Le 4 octobre à Prague, Dylan a opté pour un savant mélange des deux : neuf titres de « Rough and Rowdy Ways » et une dizaine de classiques. Mais avant de pouvoir vivre l’expérience à Paris, il fallait encore laisser son téléphone dans une pochette scellée, Dylan ne tolérant pas la présence de caméras dans ses shows. Hugues Aufray est évidemment présent, comme à chacune des apparitions parisiennes du chanteur, et à 20h05 la salle est plongée dans le noir.
Dylan sait encore surprendre
Bob Dylan s’assoit derrière son piano et attrape… une guitare électrique ! Le groupe commence à jammer brièvement avant qu’on se rende compte qu’il s’agit de la longue introduction de « All Along The Watchtower » écrite par l’intéressé en 67, et popularisée un an plus tard par Jimi Hendrix. La voix est claire, Dylan s’efforce de faire entendre sa parole, plus concerné que jamais. Paris jubile quand résonne « It Ain’t Me Babe » retravaillé aux couleurs rock. Car oui il y a trois guitares sur scène, Dylan alternant entre sa six cordes et son piano. Tony Garnier abandonne la contrebasse pour une basse électrique qui fait vibrer les murs de la pièce. Tout semble réuni pour passer une excellente soirée. D’autant que le « I Contain Multitudes » qui suit est lui aussi boosté. La chanson n’a peut-être que trois ans, mais Dylan, qui a posé son instrument pour s’emparer d’un micro, réussit à la transfigurer. Paris écoute religieusement, ovationnant les musiciens entre chaque morceau, mais sans sombrer dans l’hystérie.
Les dylanophiles sont polis, attentifs et savent ce qu’ils sont venus voir. Après « When I Paint my master » interprété sur un ton blues/rock, le concert s’installe dans un bourdonnement agréable, mais pas forcément excitant. Heureusement Dylan sait encore surprendre « son » public lorsqu’il revisite « Desolation Row » après une heure de show. La chanson qui clôt l’album « Highway 61 revisitée » a perdu son riff magique, mais devient une montagne à gravir pour l’équipe du soir, vouée à la transfigurer.
Pendant dix minutes, Dylan évoque son statut d’auteur-compositeur emblématique, évoquant en 1965 l’apocalypse qui nous attendait alors… Après un long détour par « Key West », le deuxième temps fort de la soirée s’intitule « It’s All Over Now, Baby Blue » que Dylan reprend en 2024 avec des artifices empruntés à la pop Mais on ressent dans son chant, un plaisir et une malice vivifiants. Il joue alors le petit crooner amoureux en interprétant « I’ve Made up My Mind to Give Myself to You ». A qui Bob s’adresse-t-il dans cette complainte amoureuse ? Une femme ? Le ciel A chacun de voir ce qu’il veut, Dylan n’a pas de messages à transmettre, juste des images à chanter avec la grâce d’un vaillant octogénaire, marchant lentement. Paris a même droit à plusieurs « Merci », dont il profite à chaque fois pour présenter un de ses musiciens.
Un mythe entretenu
Le dernier quart d’heure sera plus routinier : un groovy « Watching the River Flows » puis le duo final « Mother of Muses », « Goodbye Jimmy Reed » et le toujours magique « Every Grain of Sand ». Dylan reste immobile pendant 10 secondes – sa façon de saluer – avant de disparaître dans l’obscurité. A la sortie de la salle, deux fourgons noirs passent devant la foule. Où se trouve le chanteur ? Quiconque a l’idée de les suivre est vite découragé : au premier feu rouge, les véhicules prennent deux directions opposées. Hier soir à Paris, Bob Dylan entretenait son mythe… jusque dans les moindres détails.
Setlist du 24 octobre, Paris, La Seine Musicale
1/ Tout le long de la tour de guet
2/ Ce n’est pas moi bébé
3/ Je contient des multitudes
4/ Faux Prophète
5/ Quand je peins mon chef-d’œuvre
6/ Cavalier Noir
7/ Ma propre version de toi
8/ Être seul avec toi
9/ Franchir le Rubicon
10 / Rangée de Désolation
11/ Key West (Pirate philosophe)
12/ C’est fini maintenant, Baby Blue
13/ J’ai décidé de me donner à toi
14/ Observer le débit de la rivière
15/ Mère des Muses
16 / Au revoir Jimmy Reed
17/ Chaque grain de sable