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Un réserviste israélien témoigne des dérives au sein de Tsahal: «En tirant, les soldats deviennent des héros. Voilà la règle du jeu aujourd’hui»

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« L’implosion de vos valeurs »

Il connaît déjà les tortures et les mauvais traitements que les militaires ont pu infliger aux détenus palestiniens lors de ses différentes missions, actions qu’il a pu éviter en n’étant soumis qu’à de simples remarques de ses collègues : « Quand j’étais il y a 20 ans, quand j’étais jeune, officier, j’avais déjà pu observer la manière dont les soldats menottaient les prisonniers (palestiniens). Je leur ai dit : « Si vous serrez les menottes trop fort pour revenir sur ce que vous pensez qu’ils ont fait, alors vous n’êtes pas opérationnel. » Cela ne me dérangeait pas de rester les bras croisés et d’accepter les critiques. Mais dans la guerre qui se déroule aujourd’hui, j’ai découvert que je n’avais plus aucune autorité sur mes soldats.

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Il continue en énumérant certaines atrocités dont il a été témoin dans la bande de Gaza, notamment en étant témoin des passages à tabac presque à mort de certains Gazaouis, sans réagir à « cela » : « Cela » est une violence si évidente et si féroce que vous n’avez aucune capacité à résister au implosion de vos valeurs. Dans cette violence effrénée, totalement et uniquement motivée par la vengeance, un commandant de brigade était en première ligne. Ce type, surnommé « TikTok Brigade », nous a tous mis en danger, sans aucune nécessité opérationnelle. Quant au passe-temps de son lieutenant, il s’agissait de pénétrer dans les maisons palestiniennes et d’y mettre le feu ou de les faire exploser. Juste pour le fun. »

Des jeunes qui tirent sur tout ce qui bouge

Autre constat qu’il fait : l’impossibilité de se faire entendre au sein de Tsahal si l’on dérive d’un certain mode de pensée, où les Gazaouis ne sont même plus vus comme des ennemis mais comme des parasites, au point de pouvoir massacrer des civils et raser des maisons en l’enclave palestinienne : « Aujourd’hui, dans la bande de Gaza, si nous n’adhérons pas au discours extrémiste et politiquement frelaté qui s’est emparé de l’ensemble de la société israélienne, nous perdons tout crédit. J’ai été témoin de scènes aberrantes, où des soldats ont lancé des grenades, sans aucune raison, dans des maisons palestiniennes encore habitées par des civils ordinaires. »

Le psychologue refuse cependant le terme de génocide. Les violences et les atrocités sont, selon lui, motivées par la panique qui règne du côté de l’Etat juif : « Ce qui est en jeu, ce sont plutôt ces jeunes Israéliens de 25 ans, terrorisés, assis sur un balcon ou cachés dans un grenier. , et qui, même s’il y a un cessez-le-feu, tirent sur tout ce qui bouge, surtout si cela ressemble à une arme. En tirant, ils deviennent des héros. C’est la règle du jeu aujourd’hui. Une peur que les officiers supérieurs raillent et amplifient au sein de leurs propres troupes, poursuit-il : « Une fois, (…) un camarade a eu une crise de panique. Ce que nous avons compris, c’est qu’il avait juré à ses parents et à ses proches qu’il reviendrait entier et vivant. (Un) policier est arrivé et a crié : « Si je t’entends parler encore une fois de ta peur, je te baiserai. Et si vous ressentez vraiment cela, alors partez, car vous ruinez le moral de tout le monde avec vos pleurnicheries. »

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Une fracture au sein de sa famille et dans tout le pays

De retour chez lui en Galilée, l’horreur le poursuit jusque dans sa propre maison. Impossible de faire comme si de rien n’était devant sa femme et ses enfants : « Je suis coincé. Je ne peux pas retourner (dans la bande de Gaza) mais je ne peux pas rester ici, dans mon village, en gardant le silence sur ce que j’ai vu et surtout sur ce que j’ai fait. Les deux mois que l’homme du Moshav, dans le nord du pays, a passé à combattre dans la bande de Gaza l’ont profondément changé, connaissant désormais « des crises de tristesse et des troubles dépressifs ». Il ressent également une division au sein de sa propre famille, ses parents ne comprenant pas son « malaise existentiel », alors que son père a combattu lors de la guerre du Kippour, dans laquelle « il fallait frapper, simplement frapper et frapper encore. Il n’a jamais douté de notre droit et de notre culture guerrière.

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Cette guerre post-7 octobre l’a peut-être bouleversé en tant qu’individu, mais il estime qu’elle a également transformé la société israélienne dans son ensemble : « Cette guerre nous changera à jamais. Vous êtes à Gaza, un drone survole vous et lâche une ogive RPG à quelques encablures de vous, tandis que des rivières de sang coulent autour de vous. Cela s’appelle un massacre. Avant de voir ce que j’ai vu, je n’aurais jamais cru que les êtres humains soient capables de telles choses. Et puis les questions existentielles israéliennes reviennent sans cesse. Par exemple : sera-t-il possible pour nous de vivre encore dans ce pays ? Nos âmes absorbent la violence, une violence qui ne mène nulle part sauf à notre chute.

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Les horreurs qu’il a vécues et potentiellement commises sur le champ de bataille ne font cependant pas de lui un partisan du pacifisme ou de la cause palestinienne. Résigné, il estime que son rôle est malgré tout dans l’armée : « Je crois que je dois me battre, même si cette guerre me paraît improbable, à moi comme à bien d’autres frères d’armes. Nous, Israéliens, sommes brisés.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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