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Un nouveau Front populaire contre les discriminations racistes

Le programme du Nouveau Front Populaire sur les questions antiracistes présente des mesures qui vont dans le bon sens et qui, pour une grande partie d’entre elles, font partie des mesures que nous avons présentées aux candidats aux élections présidentielle et législatives de 2022.

Naturellement, l’écriture rapide du programme rend certaines mesures imprécises ou mal écrites. Mais ils sont globalement salvateurs dans un pays où l’extrême droite, accompagnée d’une partie importante de la droite LR et de fractions de la majorité présidentielle, a rendu l’air irrespirable sur nos sujets.

En matière de lutte contre les discriminations racistes, l’annonce d’un plan de réduction de ce fléau que nous avons rendu visible à travers la méthode des tests est cruciale, ainsi que le renforcement des sanctions encourues par les auteurs de tels actes. Cela nécessite cependant des moyens et une réflexion précise sur les architectures institutionnelles à repenser, points sur lesquels le programme gagnerait à gagner en densité, en précision et en pertinence.

Au-delà de cette partie du programme réservée aux questions de discrimination, d’autres propositions devraient agir vers une réduction des pratiques discriminatoires. Par exemple, l’objectif d’une augmentation vigoureuse de la construction du nombre annuel de logements est de nature à réduire les phénomènes d’attente dont on sait qu’ils sont propices au déclenchement de pratiques discriminatoires car, plus on a de choix entre les différents candidats, plus il est facile de sélectionner, malheureusement sur des critères parfois interdits par la loi. De la même manière, conditionner les aides publiques aux entreprises au respect de critères de non-discrimination pourrait contribuer à réduire les discriminations à l’embauche et dans l’évolution de carrière.

Dans la mesure où les haines sont multiples, il est intéressant de les prendre toutes de front, car c’est la cohérence d’un engagement pour une dignité égale entre les individus qui est ici en jeu. A cet égard, la prise en compte de l’ampleur des actes ou propos antisémites et antimusulmans est essentielle. Il faut cependant se garder de tomber dans une forme de spécialisation caricaturale : les juifs sont attaqués à l’école, les musulmans sont insultés dans les médias et les noirs sont discriminés dans l’emploi et le logement. La haine ne se limite jamais à un secteur particulier même si, selon qu’elle s’adresse à telle ou telle personne, elle se déploiera à sa manière et dans des lieux précis.

C’est pourquoi la question des médias est ici importante car certains d’entre eux – et on peut évidemment penser aux médias de Bolloré mais pas seulement – ​​ont électrisé le débat, l’ont fébrile, l’ont brutalisé, en ciblant de nombreuses populations. Des immigrés et leurs enfants, des Arabes, des noirs, des musulmans bien sûr. Les Juifs aussi, de manière plus insidieuse (laisser Zemmour râler sur le fait que Pétain avait sauvé les Juifs français en est un exemple). Sans parler des groupes qui ne sont pas victimes de racisme mais d’autres formes de haine : les femmes, les personnes LGBT, etc. Vouloir, comme le propose le programme NFP, lutter contre la concentration dans les médias (même si c’est un serpent de mer car cette volonté vient aux réalités économiques) et conditionner les aides publiques aux médias qui seraient exemptées de condamnation pour incitation à la haine sont des mesures qui vont dans le bon sens et dont on peut espérer apaiser le débat médiatique et mettre fin à la promotion de stéréotypes haineux contre les groupes susmentionnés. Le débat, oui. La haine, non ! Mais ne soyons pas naïfs : la haine ne peut être combattue uniquement en luttant contre les médias qui la surfent et la propagent. Le combat est plus large. Elle est aussi – et peut-être avant tout – politique et culturelle.

C’est aussi très positif, car cela change les conditions du débat, que cette émission affirme ou réaffirme des idées fondamentales qui concernent des sujets antiracistes mais vont aussi bien au-delà :

– la réforme de la police – avec le retour de la police de proximité, le démantèlement de la Brav M, l’instauration d’un récépissé de contrôle et la mise en place d’une autorité indépendante à la place de l’IGPN et de l’IGGN – est cruciale. Alors que nous nous apprêtons à commémorer le terrible anniversaire de l’assassinat de Nahel, nous voyons à quel point ce projet doit être pris de front par une majorité de gauche. On ne peut éviter une action vigoureuse pour lutter contre le racisme qui règne au sein de cette institution, quel que soit le délit de quelques syndicats extrémistes qui ont eu beaucoup trop libre cours ces dernières décennies, au point que deux d’entre eux – sans aucune sanction – des positions quasi factieuses exprimées publiquement en juillet dernier.

– sur l’immigration, le changement de logiciel est également appréciable, avec l’abrogation de la loi Immigration, symbole d’une course sans fin derrière l’extrême droite, et la réaffirmation de réformes « positives » qui rompraient avec cette tendance, quand on parle d’immigration, il faut expliquer qu’on va lutter contre l’immigration et réduire les droits des immigrés. Vouloir faire du titre de séjour de 10 ans le titre de séjour de référence est l’affirmation d’une sympathie depuis longtemps disparue du débat au profit d’une agressivité envers les immigrés réduits à la fonction de boucs émissaires.

– enfin, sur la jeunesse, la suppression du SNU au profit d’un réinvestissement dans l’éducation populaire s’impose. Quel est le rapport avec les problèmes de racisme ? Le fait que je sens que ce SNU – dans la lignée des questions d’uniforme scolaire par exemple – sent le ralliement des jeunes. Et notamment d’une jeunesse issue de l’immigration ou d’outre-mer dont la loyauté et le niveau d’adhésion à la civilisation sont sans cesse remis en question, avec le fantasme de devoir les redresser.

– enfin, sur les territoires d’outre-mer, au-delà des mesures générales en faveur de ces territoires, l’annonce de l’abandon du dégel du corps électoral est évidemment une mesure de justice et d’apaisement, après les tensions générées par la brutalité de la méthode utilisée par Emmanuel Macron, une brutalité qui aura largement marqué sa pratique du pouvoir. Au-delà de ces annonces, il faudra réaffirmer, pour la Nouvelle-Calédonie, que nous sommes face à un processus de décolonisation et non à un problème de sécurité. Et, pour les autres territoires d’outre-mer, il serait peut-être bien aussi que les partis de gauche aient une approche qui aille au-delà de l’aide à y apporter. La question de la dynamique de ces territoires, parfois encore très marqués par le « pacte colonial » dans leur fonctionnement et dans leur économie, doit être posée avec plus d’audace.

Au-delà de ces mesures – dans leurs aspects positifs et parfois dans leurs limites ou imprécisions – les partis ne doivent pas non plus se contenter de paroles. Agir sur les questions de racisme et d’antisémitisme nécessite deux choses autres qu’un programme, aussi convaincant soit-il :

– que les partis montrent l’exemple. Être contre la discrimination, c’est bien. Montrer que nous sommes capables de nous ouvrir à toute la diversité de la société, ce n’est pas mal non plus. Quand je vois la photo des acteurs du Nouveau Front Populaire prise ce vendredi, je me demande comment il est encore possible aujourd’hui de prendre en photo autant de monde sans voir qu’il n’y a pas un seul noir par exemple. Cela montre le chemin qui reste à parcourir.

– que le comportement des dirigeants réponde à ces enjeux. Par exemple, si la gauche s’est retrouvée en difficulté sur la question de l’antisémitisme, c’est aussi à cause d’excès et d’ambiguïtés qui doivent définitivement cesser. Par ailleurs, si la gauche est considérée avec circonspection sur la question de la lutte contre les discriminations, elle l’est aussi à travers ses renoncements et ses propos ou actions parfois objectivement agressifs. La lutte contre le racisme et l’antisémitisme est une lutte contre une grande violence léguée par une longue histoire d’oppression, de sang, d’injustice et de mépris. On ne plaisante pas avec cette Histoire et on ne jette pas les uns contre les autres les peuples « ébranlés » de cette Histoire.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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