Un ancien militaire français soupçonné d’espionnage arrêté à Ouagadougou
Cela fait presque deux semaines qu’il a été arrêté et qu’il est détenu au secret à Ouagadougou. Le 12 août, Damien L., un agent de sécurité travaillant pour une compagnie minière australienne au Burkina Faso, a été arrêté par la police de la capitale burkinabè. La raison officielle : un problème avec son visa, avec lequel il était revenu la veille au pays pour effectuer une nouvelle rotation d’un mois, comme le fait ce Normand depuis quatre ans.
Comme la poignée de ressortissants français travaillant dans la sécurité qui continuent de s’y rendre malgré les relations tendues entre Ouagadougou et Paris, ce quadragénaire était surveillé par les services de renseignement de la junte du capitaine Ibrahim Traoré, au pouvoir depuis son putsch de septembre 2022. À leurs yeux, son profil n’est pas anodin. Entre 2002 et 2007, il a passé cinq ans dans la 2et Régiment Etranger Parachutiste (REP) de Calvi en Corse, d’où il sort avec le grade de caporal.
Un ancien légionnaire, donc, qui s’est ensuite reconverti, comme plusieurs de ses anciens frères d’armes, dans la sécurité privée. Après plusieurs contrats dans différents pays (Haïti, Irak, Venezuela…), Damien L. a débuté comme consultant en sécurité dans le secteur minier au Burkina Faso en 2020. Mais lors de son dernier passage, il a très vite été interpellé par des agents de la Direction de la sûreté de l’État (DSE). Sa chambre à l’hôtel Lancaster, l’établissement huppé où il séjourne lorsqu’il est en mission à Ouagadougou – également fréquenté par des paramilitaires russes déployés dans le pays – a été perquisitionnée.
Il en va de même pour ses téléphones et son ordinateur personnel. Sans surprise compte tenu de ses fonctions, les enquêteurs constatent que l’ancien militaire français échange des informations sur la situation sécuritaire du pays. Pourtant, cela suffit à le soupçonner d’espionnage et à pousser les investigations sur son environnement et ses différents interlocuteurs.
Un pays gangréné par les groupes djihadistes
Transféré dans une villa utilisée comme lieu de détention par la DSE à Ouaga 2000, le quartier chic de la capitale, certains responsables sécuritaires burkinabés le soupçonnent de travailler dans l’ombre pour les services de renseignements français, ce que démentent formellement plusieurs sources françaises. Le mondele Quai d’Orsay n’a pas souhaité faire de commentaire sur cette affaire.
Le cas de Damien L. s’ajoute au dossier très sensible des quatre agents français de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) arrêtés début décembre 2023 à Ouagadougou. Accusés d’espionnage, ils sont toujours détenus au Burkina Faso et les négociations pour obtenir leur libération n’ont rien donné. Au vu des soupçons des autorités burkinabè à son encontre, certains craignent désormais que Damien L. ne soit soumis à une longue période de détention.
Près de deux ans après son arrivée au pouvoir, le capitaine Ibrahim Traoré peine, comme il l’avait promis lors de son coup d’Etat, à rétablir la sécurité dans son pays, en proie depuis 2015 à des groupes jihadistes. Le 24 août, le pays a connu l’un des pires massacres de son histoire à Barsalogho, à 150 km au nord de Ouagadougou, où plusieurs centaines de personnes ont été tuées dans une attaque attribuée au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaïda).
Comme ses compagnons de putsch Assimi Goïta au Mali et Abdourahamane Tiani au Niger, le capitaine Traoré a rompu avec la France et s’est rapproché de la Russie. Dénonçant régulièrement les tentatives de déstabilisation intérieure et extérieure, il a imposé un régime répressif des libertés. Ses opposants, civils et militaires, ont été régulièrement arrêtés ou envoyés de force au front. Certains ont depuis disparu. Mi-août, une dizaine d’officiers qui avaient été envoyés de force en Russie pour y suivre une formation neuf mois plus tôt parce qu’ils étaient jugés hostiles au régime de M. Traoré ont été rappelés par leur hiérarchie à Ouagadougou. Selon une source militaire, cinq d’entre eux ont été arrêtés à leur retour.