« Transformons ces controverses en opportunités de progrès »
En m’appelant à apporter des « arguments audibles pour nos contemporains et crédibles en théologie » sur la question du diaconat féminin, Jean-François Chiron (JFC) invite à des débats de fond difficilement compatibles avec la brièveté d’une tribune. C’est sans doute la raison pour laquelle son intervention s’avère au moins aussi incomplète que la mienne. A défaut d’accord sur le fond, nous aurons donc ce problème en commun… Poursuivons donc le débat sur trois points soulevés par JFC : l’exemple des saints dans l’Église, les raisons pour lesquelles Jésus n’a pas choisi seuls les hommes pour constituer les 12, enfin la peur d’une hypersexualisation de l’Église.
JFC doute que l’exemple des saints canonisés puisse nous aider à réfléchir sur la question des femmes dans l’Église. Il oublie simplement que depuis Vatican II, la théologie s’est recentrée sur l’appel de tous à la sainteté. Nous ne demandons certes pas aux chrétiens d’être le « copier-coller » des saints canonisés, mais l’Église les leur donne pour éclairer leur chemin. Pourquoi alors interdire cette réflexion dans le cas des femmes ?
Le choix exclusivement masculin des 12
JFC soutient que le choix exclusivement masculin des Douze était dû à la mentalité de son époque. Cependant, toute une réflexion théologique s’est développée sur la liberté du Christ. Exégétiquement bien attestée, notamment dans les relations qu’il développe avec les femmes, cette liberté est aussi liée au caractère plénier de sa Révélation. En devenant chair, la Parole est devenue hébraïque. Il a intégré la culture de son Peuple, mais sans s’y enfermer, car il l’a réalisé en lui-même. Dans sa compréhension de Dieu, de la Loi, de la miséricorde, il préférait cette liberté à la préservation de sa propre vie, et c’était la raison de sa condamnation.
Affirmer avec JFC que dans le cas des femmes, il aurait éludé ce défi pour ne pas offenser, est-ce vraiment « audible », et théologiquement « crédible » ? Pire, la position de JFC conduirait à justifier l’exclusion des femmes en cas de contexte défavorable, étant donné que Jésus lui-même l’aurait pratiqué ? N’est-il pas plus cohérent, et plus beau aussi, de penser qu’il ferait mieux de les offrir : contrairement à presque tous les apôtres, le suivre jusqu’au pied de la Croix, et plus tard, avec Marie-Madeleine, devenir un « apôtre de la apôtres » ?
Hypersexualisation de l’Église
JFC craint aussi une « hypersexualisation de l’Église ». Prenons note, plus sereinement, des symboles qui parcourent l’Apocalypse : la symbolique cosmique, le Ciel et la terre, la lumière ou l’eau, celle des éléments comme le pain, le vin ou l’huile. Or la symbolique nuptiale est là aussi, et de grands théologiens se sont penchés dessus. À partir du livre d’Osée et du Cantique des Cantiques, elle s’accomplit dans le Nouveau Testament : Jésus lui-même se désigne comme l’époux, il multiplie les paraboles des noces, saint Paul aux Éphésiens parle du « grand mystère » du Christ et du Église en référence à l’amour conjugal, et il les affirme « fiancés à un seul époux ». Quant à l’Épouse, la nouvelle Jérusalem, elle « descend du ciel d’auprès de Dieu » selon l’Apocalypse… Il s’agit bien sûr d’une analogie de foi.
Le traitement théologique est donc délicat : quelles similitudes, quelles différences, quels liens possibles (ou abusifs !) avec la question des ministères, quelles interférences avec la dimension culturelle. Mais qui dit analogie dit illumination mutuelle des termes. La réalité conjugale donne un accès original au mystère de Dieu et à son dessein d’amour ; ce mystère éclaire à son tour les mariages humains et les vocations masculines et féminines qui y sont impliquées. Il est vrai qu’il y a ici des raisons de s’opposer aux idéologies qui promeuvent l’indifférenciation, mais la peur injustifiée du combat culturel ne devrait pas nous faire fuir les richesses de cette donnée. D’ailleurs, si l’on en croit certains best-sellers sur le masculin et le féminin, nos contemporains sont également sollicités sur ces sujets. Il serait irresponsable de les abandonner au chaos existentiel de notre époque et aux angoisses qu’il génère, alors que la Révélation nous offre de telles ressources.
Exclure les femmes ?
L’analogie de foi en question ne se prête pas à des déductions simples telles que : « En tant que Père, Dieu est masculin, donc son Fils devait devenir un homme masculin, donc il ne pouvait choisir que des apôtres mâles, donc seuls les hommes peuvent être ordonnés prêtres ( ou diacres). Il faut d’abord accueillir le don de Dieu tel qu’il est, puis en examiner la sagesse. Ainsi, on baptise avec de l’eau, non par spéculation symbolique, mais d’abord parce que c’est ainsi que l’Église l’a reçu du Christ et l’a toujours vécu.
Ce n’est que dans un second temps que l’on médite sur la relation symbolique qu’entretient l’eau avec les grâces baptismales. Le sacrement de l’ordre suit la même consistance : avant toute considération symbolique, c’est ainsi qu’il a été reçu du Christ et vécu par l’Église depuis les origines, c’est-à-dire destiné aux seuls hommes. Dans un deuxième temps, nous scrutons les harmoniques symboliques. Dès les premiers siècles, l’Église dut résister aux tentations païennes et gnostiques de féminisation du clergé. C’est donc bien ce qui a toujours été cru et pratiqué consciemment depuis les origines, un des critères fondamentaux du donné révélé.
Loin d’exclure les femmes, cela ouvre un véritable champ de réflexion sur leur manière originale de « compter dans l’Église et la société » (selon une expression de JFC qui nécessiterait aussi quelques précisions théologiques). Il est vrai que de telles données sont difficiles à « entendre » par certains de nos contemporains, surtout dans notre Occident en pleine crise d’identité sexuelle. Malheureusement on le voit : les positions de JFC ne sont guère là non plus. Mais en réalité, ni Jésus, ni les apôtres, ni les saints n’étaient unanimes. Nous avancerons donc si nous savons transformer ces controverses en opportunités de progrès.
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