Strasbourg, la ville la plus chère de France pour ses baguettes ? On vous explique pourquoi c’est plus compliqué
Une étude réalisée par la société HelloFresh place Strasbourg comme la ville la plus chère de France (à égalité avec Paris) pour ses baguettes. Ce résultat doit toutefois être nuancé, car la méthodologie de l’enquête présente des limites.
Les baguettes strasbourgeoises sont aussi chères que celles de Paris, tandis que les loyers commerciaux de la capitale sont normalement bien supérieurs à ceux des villes de province. C’est le résultat d’une enquête surprenante réalisée par la société de kits repas HelloFresh et publiée à l’occasion de la Journée mondiale du pain, le 16 octobre.
« Sans surprise, Paris occupe la première place du classement des baguettes les plus chères de France. Mais cette année, Paris partage la boulangerie avec Strasbourg, où le prix moyen de la baguette atteint également 1,19 euro.« , est-il écrit en introduction de cette étude. Reprise depuis dans plusieurs médias locaux, cette enquête est-elle vraiment pertinente ?
Nous avons essayé d’en savoir plus, d’abord auprès des principaux concernés (les boulangers de Strasbourg), puis avec l’aide des professionnels de l’enquête prix à la consommation.
Le site HelloFresh a mis en ligne sa méthodologie. Dix boulangeries par ville ont été systématiquement interrogées par téléphone sur le prix de leur baguette. « Les boulangeries ont été sélectionnées pour représenter différents types de quartiers (centres-villes, zones résidentielles, quartiers populaires, zones commerciales, etc.)« , est-il écrit. Le prix est celui d’une « baguette classique » poursuit le commentaire.
La première réaction des deux enquêteurs interrogés a été de constater la manière dont les boulangeries ont été interrogées : par téléphone. « L’idéal aurait été d’y aller, car il faut pouvoir vérifier que le produit est bien celui dont on parleestime Isabelle Bourcier, responsable des études à l’UFC Que Choisir et co-auteure d’une étude comparative sur le prix des baguettes au printemps 2024. Nos enquêteurs ont dû peser chaque baguette, continue-t-elle. Même si elle est très codifiée et qu’une baguette doit peser entre 200 et 250 grammes pour avoir cette appellation, les valeurs diffèrent. Idéalement, nous aurions même dû élaborer un prix au kilo pour être tout à fait rigoureux, mais nous ne l’avions pas fait nous-mêmes.«
Autre avantage de se rendre sur place : la possibilité de déterminer clairement la nature de la boulangerie. Est-ce une boulangerie véritablement artisanale ? Dans un magasin de pain ? Une entreprise franchisée ? « L’essentiel est de s’assurer que l’on a affaire à un produit homogène pour faire la comparaison, explique Sébastien Faivre, chef de la division des prix à la consommation à l’Insee. Il existe aujourd’hui de réelles différences de coûts de fabrication entre une baguette traditionnelle bio ou une baguette directement sortie de boulangerie. La solution est d’y aller. »
C’est aussi ce que souhaite souligner José Arroyo, président de la Fédération des Boulangeries du Bas-Rhin. « Nous devons examiner de plus près ce qui se cache derrière les prix. Je viens de Toulouse, et je peux vous dire que d’une manière générale dans le Sud-Ouest de la France, il y a beaucoup plus de boulangeries franchisées qu’à Strasbourg. On constate cependant dans ces enseignes une massification de la matière première et une phase de fermentation bien plus courte que dans les boulangeries artisanales, ce qui permet de proposer des prix plus attractifs. Mais la qualité du produit n’est pas la même.« La part des boulangeries franchisées est-elle plus importante à Marseille, où le prix moyen de la baguette est le plus bas (0,97 euro en moyenne), qu’à Strasbourg ? Il faudrait une autre enquête pour le déterminer.
L’autre limite majeure de l’étude HelloFresh est la taille de l’échantillon. Dix boulangeries pour déterminer une moyenne par ville, c’est particulièrement peu selon nos enquêteurs. « Cela laisse un peu de place au hasard, explique Isabelle Bourcier, de l’UFC Que Choisir. En statistiques, il y a ce qu’on appelle des grandes tendances : une fois qu’on a dépassé des échantillons de 1 000, le résultat ne varie plus trop. Alors qu’entre un échantillon de 10 et un autre de 100, on peut avoir des tendances assez différentes. Comme entre 100 et 1 000. Pour notre enquête, nous avons interrogé 1 000 boulangeries dans toute la France.«
Le risque est donc qu’en choisissant dix autres boulangeries strasbourgeoises, le résultat soit potentiellement complètement différent. « Après, nous n’avons pas fait de quota selon les différentes zones urbaines, en banlieue, en centre-ville, dans les quartiers huppés ou pas, ce que fait HelloFresh.« , concède Hélène Bourcier.
L’objectif était justement de minimiser le risque d’aléatoire, mais là aussi, la taille de l’échantillon pose problème. « Il paraît difficile de réaliser un véritable découpage communal en dix boulangeries, note Sébastien Faivre de l’Insee. C’est dommage car l’enquête a été réalisée par téléphone, et l’avantage est que cela prend moins de temps que sur place, donc il aurait peut-être été possible d’interroger plus de boulangeries par ville. Mais tout dépend aussi des moyens et du temps dont ils disposent pour mener l’enquête.«
Cependant, tout ne doit pas être jeté dans l’étude. Il a le mérite de faire une comparaison entre les grandes villes de France, ce que ni l’INSEE ni l’UFC Que Choisir n’avaient réalisé jusqu’à présent. « C’est à prendre avec des pincettes mais ce n’est pas du tout inintéressant. Et, globalement, cela correspond à une réalité qui est celle de la différence entre Paris et les villes de province.« Une enquête de l’Insee a montré qu’il existait un écart d’environ 7 % dans les prix des denrées alimentaires entre Paris et les autres grandes villes. »Cela s’explique par le fait que les salaires sont plus élevés à Paris, et donc le pouvoir d’achat est plus élevé. Un autre facteur est celui des coûts de production plus élevés en raison des loyers commerciaux beaucoup plus élevés dans la capitale.»
Sur le prix moyen de la baguette, tous les résultats correspondent à d’autres enquêtes réalisées sur le sujet. « Ils sont de 1,09 euros en moyenne dans toutes les boulangeries avec un échantillon de 100, nous étions 1,08 sur un échantillon de 1 000, donc c’est à peu près équivalent, ajoute Isabelle Bourcier. C’est perfectible mais c’est intéressant et visiblement proche des grandes tendances. »
Hormis l’équivalence entre le prix de la baguette strasbourgeoise et celui de la baguette parisienne, rien ne semble déplacé par rapport à d’autres enquêtes sur le prix du pain. D’ailleurs, le président de la Fédération des boulangeries du Bas-Rhin ne revient pas sur cette moyenne de 1,19 euro. « Si la baguette est à ce prix ce n’est pas pour rien, estime José Arroyo. Il n’y a pas d’encadrement des loyers au centre-ville de Strasbourg contrairement à Bordeaux par exemple. Notre confrère de la rue des Halberdes paie par exemple 14 000 euros de loyer par mois, qu’il faut forcément répercuter sur le prix de vente.«
Selon lui, les clients n’abandonneront pas la baguette malgré les prix élevés, car l’inflation touche tous les commerces. Et s’il est un fait que cette étude montre clairement, c’est que le mythe de la baguette à 1 euro appartient à l’histoire ancienne. Le pain devient de plus en plus cher, de plus en plus vite. Selon l’Insee, le prix moyen d’une baguette au kilo en France est passé de 3,50 euros en 2018 à 4,05 euros en août 2024, soit une augmentation de 55 centimes en 6 ans. Auparavant, il avait fallu 14 ans pour obtenir une telle inflation.