Divertissement

Sophie Calle investit une crypte pour les Rencontres photographiques d’Arles

Pour finir en beautéSophie Calle a le sens du titre. Et de la mise en scène. Dans ces couloirs suintants d’humidité, au milieu des flaques de boue, des gouttes d’eau venant du plafond, contre ces vieilles pierres moisies, elle a accroché ou posé ses images au sol. En s’enfonçant plus profondément dans les galeries, le visiteur découvre aussi des objets anciens, des robes pendues ou des trousseaux de clés dans une obscurité inquiétante. Une mise en scène de théâtre. On reconnaît l’esprit de Sophie Calle, mais le lieu transforme l’exposition en sanctuaire. Pour finir en beautéc’est l’un des événements des Rencontres de la photographie d’Arles, à voir jusqu’au 29 septembre 2024.

Les photographies sont de la série Les aveugles. Un projet qui remonte à 1986 et qu’elle n’a cessé de prolonger. Le thème : comment les aveugles peuvent nous parler de la beauté, de la couleur, de la dernière image qu’ils ont vue. Une série déjà exposée jusqu’au dégât des eaux. Comment une inondation peut-elle changer le cours d’une exposition ? Sophie Calle nous l’explique lors d’une des rares interviews qu’elle a accordées. Elle parle rarement de son travail à la presse, mais quand elle accepte d’en parler, elle le fait avec précision et justesse. Une rencontre privilégiée.

Franceinfo Culture : Les cryptes, ce lieu extraordinaire, à la fois inquiétant et fascinant, était-ce le lieu que vous auriez pu imaginer pour exposer cette série ?
Sophie Calle : C’est un endroit fabuleux, un endroit miraculeux, je n’aurais jamais pu faire cette exposition ailleurs, dans aucun autre endroit. C’est un concours de circonstances. Il y a eu une inondation dans ma réserve (lieu où étaient stockées ses œuvres) un mois, deux mois avant mon exposition au Musée Picasso. Un des projets de cette exposition, les tirages de Les aveugles a pourri, attaqué par la moisissure. Afin Pour éviter tout risque de contamination, il était préférable de détruire les œuvres. Et il était trop tard pour rééditer les tirages, alors j’ai mis en scène leurs absences. Je suis tombé sur un texte de Roland Topor qui racontait l’histoire de son vieux pull troué qu’il ne pouvait ni donner, car trop pourri, ni jeter parce qu’il avait trop signifié pour lui. Alors il a décidé de l’enterrer. J’avais cette idée en tête.

Est-ce à cette époque que vous avez découvert les cryptes d’Arles ?
Les cryptoportiques ont été ouverts en même temps par les Rencontres de la photographie et il y avait une exposition, et alors que l’humidité suintait de partout, je pensais que les photos exposées n’y survivraient pas. J’en ai parlé à Christoph Wiesner, le directeur du festival, qui m’a confirmé que les champignons avaient attaqué les cadres. Cela m’a fait rire qu’à Arles, dans un lieu destiné à préserver les œuvres, les images plutôt que de les détruire, cela se passe. Je lui ai donc proposé pour cette édition, Les aveugles, Ces empreintes moisies qui avaient beaucoup compté pour moi. Je n’arrivais pas à me résoudre à emmener ces images à la décharge, cela me semblait une fin sinistre, et je me disais qu’ici, elles finiraient leur vie.

Photographie de Sophie Calle

Il y a aussi un signe curieux pendant le déluge…
Oui, j’ai remarqué que la moisissure lors du déluge n’avait attaqué que les œuvres qui parlaient de la mort, comme si ces œuvres avaient perdu leur immunité. Les photographies attaquées, en plus de la série Les aveuglesc’était la série de tombes, la photo d’un lit dans lequel un homme était mort, les derniers mots de ma mère, « Ne vous inquiétez pas », les fleurs séchées offertes par Frank Gerry qui m’envoie un bouquet à chacune de mes expositions… Tous ces objets et ces estampes, je leur donne donc une seconde mort.

Vous avez donc ajouté des objets en plus des photographies pour cette exposition ?
Je me suis demandé quelles étaient les choses que je ne voulais pas voir me survivre, il y avait mes journaux intimes, ceux de ma mère, les lettres d’amour que j’avais écrites à 18 ans, assez pathétiques et que je n’imaginais pas que quelqu’un puisse lire. Une robe de mariage qui est un mauvais souvenir, toutes les clés qui ont ouvert les lieux de ma vie, mais qui n’ouvrent plus rien.

Mon dernier vol, parce que j’aimais voler quand j’étais petite. On partageait une paire de chaussures avec ma copine de l’époque, une seule chaussure ne sert à rien, une robe déchirée que je ne pouvais ni porter ni donner, j’expose des objets de ma vie qui ne servent plus.

Vue de l'exposition "Pour finir en beauté" par Sophie Calle pour les Rencontres Photographiques d'Arles. (CHRISTOPHE AIRAUD)

A cet assemblage d’images et d’objets s’ajoute une atmosphère inquiétante dans le lieu.
J’avais très peur que cela ressemble à une brocante, mais l’exposition est éclairée par Éric Soyer, le directeur lumière du réalisateur Joël Pommerat, je n’avais jamais fait ça, demander à quelqu’un dont l’œuvre correspond au lieu. D’habitude, les photographies et les objets sont éclairés plus simplement.

Quel sera l’avenir de cette exposition ?
Ce sera la poubelle où je ferai des cendres et avec ces cendres, je ferai quelque chose, mais ces objets sont désormais très nocifs pour les autres. Je m’en débarrasse, car les restaurateurs du musée Picasso n’en voulaient pas, la moisissure étant très contagieuse. J’ai mis un petit panneau dans l’exposition : si vous deviez penser à voler une œuvre, sachez que cela détruira votre intérieur. Pour ces œuvres, c’est leur dernière demeure, mais n’exagérons rien, car j’ai encore les négatifs. (Sophie Calle sourit)

Cet enterrement d’oeuvres est-il le testament de Sophie Calle ?
Ce n’est pas un testament, le musée Picasso était mon testament, ici c’est une revanche sur quelque chose qu’on ne peut pas contrôler. Tout a été détruit, j’ai perdu beaucoup, mais j’ai fait une exposition. C’est comme quand je demandais à des femmes d’analyser la lettre de rupture de l’homme qui avait terminé sa lettre par « prends soin de toi » (Exposition à la Biennale de Venise en 2007), c’était une façon de dire : je suis malheureux, c’est un mauvais souvenir, mais je m’éloigne d’un événement douloureux et j’en fais quelque chose.

Vue de l'exposition "Pour finir en beauté" par Sophie Calle aux Rencontres Photographiques d'Arles 2024. (DR)

Est-ce que cela a une signification particulière ?
Oui, j’en fais un rituel, une cérémonie et comme les photographies sont ruinées, j’ai appelé l’exposition Pour finir en beautéparce que c’est une fin plus heureuse que prévu. J’étais KO quand j’ai perdu ces tirages, quand on m’a dit qu’ils étaient perdus, mais les montrer ici est une façon de me relever du KO, une façon de retomber sur mes pieds.

Est-ce l’artiste qui prend le contrôle du destin ?
Oui, transformer ce KO en exposition, puis faire un livre (Sophie Calle, Pour finir en beauté, (parution Actes Sud) En quelques semaines, en fait, je suis presque content que ce déluge soit tombé sur moi, c’est une façon de me venger d’une situation.

Vous avez donc présenté votre exposition au musée Picasso comme un testament. Est-ce à dire que Pour finir en beauté, ici à Arles, est votre dernière exposition ?
Oh non !!! Ce n’est pas le dernier, le testament, c’est une clarification, c’est un nettoyage. Mon père, après avoir écrit son testament, était plus léger. Cette exposition ne parle pas de ma fin, de ma mort, même si le titre est ambigu, le lieu surtout est dramatique, dérangeant, très mystérieux et très beau, mais ce n’est pas la dernière.

Alors vous êtes satisfait du résultat ?
Je suis venue à cette exposition avec des doutes, pas sur l’idée qui me plaisait. Mais de vieilles photos moisies, de vieux vêtements déchirés, je pouvais douter. Dès qu’elle a été illuminée, j’ai su qu’elle fonctionnait.

Couverture du livre "Pour finir en beauté" qui accompagne l'exposition (Editions Actes Sud).  (ACTES SUD)

« Terminer en beauté » de Sophie Calle. Du 1er juillet au 29 septembre 2024 (9h à 19h) aux Cryptoportiques
Mairie d’Arles
Place de la République 13200 Arles
Catalogue d’exposition : « Finir en Beauté » – Sophie Calle (Actes Sud). 25 euros

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
Bouton retour en haut de la page