Quel effort pour rester républicain ! – Chronique de Pierre Serna – 14 septembre 2024
Par Pierre Serna, historien, chercheur à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine et à l’Institut d’histoire de la Révolution française
A force d’employer la célèbre expression du marquis : « Français, encore un effort pour devenir républicain » sous forme d’un bon jeu de mots qui peut être utilisé à toutes les sauces, ou pourvu d’une pointe d’humour, on perd de vue le sérieux des propos tenus par le noble révolutionnaire qu’était Sade, en 1795 en pleine réaction thermidorienne. Mieux vaut revenir modestement au contexte dans lequel Sade prononça cette phrase. Lorsque l’ancien secrétaire de la section des Piques écrivit sa « Philosophie dans le boudoir » et inséra la brochure en question, au printemps 1795, les députés thermidoriens étaient en train de rédiger une nouvelle constitution, tournant le dos à celle démocratique et sociale de 1793. Ils rétablissaient le pouvoir hégémonique de la bourgeoisie en imposant le recensement électoral, supposant une réaction politique, à condition d’en finir avec la Révolution. C’est l’époque où l’on réprime, avec une férocité policière et militaire sans pareille, les ouvriers parisiens, avec l’arrestation de plus de 2 000 d’entre eux. Les Parisiennes en particulier ont désormais interdiction d’assister aux séances de l’Assemblée nationale ou de se réunir par groupes de plus de quatre dans la rue. Après un hiver qui a vu des milliers de suicides provoqués par le désespoir né de la déréglementation des prix, de la libération sauvage du marché et de l’inflation qui a plongé des dizaines de milliers de Parisiens dans la misère, les députés refusent désormais toute activité politique au peuple, le surveillent, le punissent et l’enferment. La Convention thermidorienne décide, en outre, de bannir les jeunes de la ville et d’honorer les vétérans, en créant une chambre de 500 personnes, où il faut avoir plus de 40 ans pour siéger. La république démocratique est perdue, et pourtant elle continue, avec la forme bourgeoise de la Constitution de l’an III qui fonda le Directoire. Désespéré et lucide, Sade se demande qui restera républicain après ce saccage de l’essence même de la République… et, dans un accès de rage, écrit ses pages outrancières, lui ruiné, dont l’encre a gelé l’hiver précédent dans son grenier. La phrase de Sade est un cri, nullement une plaisanterie. Est-ce si différent aujourd’hui ? C’est sans aucune ironie, ni pour céder au goût de la plaisanterie, que l’on peut reprendre la phrase de Sade, mais cette fois il ne s’agit plus de devenir mais de rester républicain dans un monde où la rétroactivité macronienne désoriente profondément la vie et les institutions républicaines. La désorganisation, le brouillage des repères et la confusion dominent au sommet de l’État. Le président outrepasse ses prérogatives et joue au chef de parti, s’efforçant en vain d’imposer au pays une majorité inexistante. Il finit par désigner un gaulliste, donc un homme d’une droite passée, qui ne représente aucun groupe parlementaire. Ce dernier ne cesse de mettre en avant sa mère chrétienne de gauche, comme une carte blanche, sans oublier « le respect » des 11 millions d’électeurs du RN. La démocratie est pervertie, livrée à l’extrême droite, arbitre du jeu parlementaire. En se comportant de manière déraisonnable ou irrationnelle, celui qui devrait être le garant des institutions met en danger la République. Et qui peut croire qu’un authentique gaulliste puisse s’allier à l’extrême droite ? En ces temps de péril, les Françaises et les Français restent sereins et la république démocratique reste leur cap. Le premier groupe parlementaire, le NFP, constitue un barrage solide à l’heure de la mise en danger irresponsable de la République.
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