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Pourquoi les défaillances d’entreprises sont-elles en hausse de 57% ?

Au tribunal de commerce de Toulouse, les faillites d’entreprises se multiplient. Un phénomène qui dure depuis 2023 et qui semble s’accentuer début 2024. Le président du tribunal de commerce analyse cette spirale économique négative, en explique les raisons… et anticipe. Entretien.

Philippe Dédieu
Philippe Dedieu, président du tribunal de commerce de Toulouse, analyse les raisons de la hausse des faillites d’entreprises en 2023. ©Tribunal de commerce de Toulouse

Philippe Dedieu, les faillites d’entreprises se sont multipliées en 2023. Dans quelle mesure ?

En 2023, le tribunal de commerce de Toulouse a enregistré 1 216 défaillances d’entreprises, soit une augmentation de 57 % par rapport à 2022. Mais 2022 et 2021 restent des années particulières en la matière. En effet, les Prêts Garantis par l’État (PGE) ont permis d’apporter ponctuellement des liquidités aux entreprises en difficulté. Et parallèlement, l’Urssaf a accordé un moratoire systématique de 36 mois. Ces deux mesures ont donc permis aux entreprises, déjà fragiles avant le Covid, de s’offrir un sursis. Mais une fois l’effet PGE consommé, soit en 2023, on observe alors une très forte augmentation des défaillances. Celles-ci ont concerné 3.957 salariés. Ainsi, ils concernaient principalement des entreprises de trois salariés en moyenne.
Malheureusement, les trois quarts du temps, ces entreprises finissent en liquidation. En 2023, nous avons initié 342 redressements judiciaires et liquidé 808 entreprises, dont 560 en liquidation judiciaire simplifiée (alors qu’il n’y a quasiment plus d’actif).

« Ce n’est pas tant le système EMP en lui-même qui pose problème, mais ce que les dirigeants en ont fait »

Vous évoquez l’effet d’aubaine du PGE, qui a permis à des entreprises en difficulté de survivre encore un peu, pour finir par s’effondrer pour la majorité. Le PGE a-t-il été une bombe à retardement ou un véritable soutien ?

Ce n’est pas tant le système lui-même qui pose problème, mais ce que les dirigeants en ont fait. Ces derniers ont souvent reporté leur échec, tout en se sachant en difficulté. C’est une situation de déni : tout chef d’entreprise souhaite que son entreprise soit durable, pensant que demain les choses iront mieux. Il existe un affect important entre l’entreprise et son fondateur, notamment dans les petites structures. C’est souvent l’investissement d’une vie ! D’autres en revanche ont pu utiliser l’outil PGE pour redresser la situation… Mais je ne les vois pas !

Sous-capitalisation des petites entreprises

Quelle est la principale raison de ces échecs ?

Le problème majeur reste la sous-capitalisation des entreprises. En France, nous pratiquons beaucoup le crédit interentreprises. Les dirigeants montent leur structure avec peu de capital et vivent du crédit fournisseur. Mais si un client fait défaut, tout s’effondre. Trop souvent, les petites entreprises sont créées avec le capital minimum requis et les nouveaux dirigeants ont très peu de formation en économie. Ainsi, l’apport au compte courant, les fonds nécessaires au lancement de l’exploitation de l’entreprise, n’étant pas suffisant, le moindre retard de paiement de la part d’un client peut mettre l’entreprise en danger, surtout s’il faut rémunérer deux ou trois salariés. . Ce type de petite entreprise, montée rapidement, sans réelle préparation, a explosé après le Covid. Et ce sont ceux-là que l’on retrouve aujourd’hui, dans les procédures collectives, vieilles de moins de trois ans.

« Les nouveaux dirigeants sont très mal formés aux questions économiques »

Ces échecs concernent donc majoritairement les petites entreprises. Certains secteurs d’activité sont-ils particulièrement touchés ?

Assez. D’abord celui de l’hôtellerie-restauration. On observe souvent, à la racine des difficultés des entreprises de ce secteur, des problèmes de recrutement. Le secteur des petits transports est également concerné : ce sont les entreprises de livraison express, qui effectuent les livraisons du dernier kilomètre. Et en 2024, on commence à voir des échecs dans l’immobilier, notamment chez les petites agences immobilières, faute de transactions.

Les faillites des entreprises toulousainesLes faillites des entreprises toulousaines
©Google Map – capture d’écran

Préoccupations des dirigeants, notamment dans la restauration et l’immobilier

Comment le tribunal de commerce accompagne-t-il les dirigeants d’entreprises défaillantes ?

Nous proposons systématiquement aux managers que nous estimons en difficulté de consulter un psychologue de santé au travail, car ils sont souvent confrontés à plusieurs problèmes simultanément : outre la faillite de leur entreprise, ils ont des soucis de surendettement personnel, des soucis familiaux… parallèlement, nous faisons appel, une fois par an, au tribunal de commerce, un psychiatre qui forme le personnel aux attitudes à adopter face à la détresse des entrepreneurs que nous recevons. Cela nous permet de leur prêter une première main, puis de les orienter vers des professionnels de santé, des associations spécialisées comme « 60 000 Rebonds », qui pourront leur apporter le soutien dont ils ont besoin.
Le tribunal de commerce n’est pas un « bourreau » qui prononce des liquidations d’entreprises (seulement 40 % de l’activité du tribunal de commerce est dédiée aux difficultés des entreprises), nous accompagnons régulièrement les dirigeants, en prévention. Si le dirigeant d’une entreprise en difficulté vient à nous, nous pouvons lui proposer toute une palette d’outils de prévention, avant d’arriver à une situation inextricable. Par exemple, l’année dernière, nous avons réalisé 663 entretiens de prévention à la demande des managers. Nous disposons de toute une gamme de services, qui accompagnent une entreprise tout au long de sa vie.

« Au premier trimestre 2024, les défaillances d’entreprises sont en hausse de 13% »

Quelles sont les perspectives pour 2024 ?

Au premier trimestre 2024, les défaillances d’entreprises ont augmenté de 13% par rapport à la même période en 2023. Nous avons ainsi enregistré 332 ouvertures de faillite contre 292 l’année précédente. En revanche, le nombre de salariés concernés est de 699 contre 1.000 en 2022. Il s’agit donc majoritairement de petites entreprises, d’entrepreneurs individuels. Élément significatif : cette hausse des échecs ne provient que de convocations produites par les impôts et l’Urssaf, pour non-paiement des cotisations depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Les déclarations volontaires des dirigeants restent plutôt stables.
En revanche, nous serons vigilants concernant le secteur immobilier qui pourrait devenir un véritable problème. J’identifie clairement un risque sur la promotion immobilière, et par effet domino, sur les métiers de la construction, les fournisseurs et sous-traitants. De même, l’hôtellerie-restauration se retrouvera en difficulté si le manque de main d’œuvre persiste. Ces deux secteurs d’activité seront particulièrement suivis en 2024.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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