Pour Mgr Leborgne, « il est impossible que les chrétiens se résignent »
La Croix :Douze migrants, en majorité érythréens, sont morts mardi 3 septembre en tentant de rejoindre les côtes anglaises, dans ce qui constitue déjà le naufrage le plus meurtrier de 2024 dans la Manche. Quel est votre état d’esprit après cette nouvelle tragédie, survenue au large de votre diocèse ?
Mgr Olivier Leborgne : Je suis fatiguée de constater que la répétition de telles tragédies ne suscite pas de réflexions sur les questions migratoires d’aujourd’hui. Tant que nous n’oserons pas avancer sur le fond – notamment sur les questions de justice internationale et de dignité humaine – nous continuerons à faire face à ces situations tragiques. Des hommes et des femmes désespérés continueront à tenter d’atteindre le Royaume-Uni, qui leur semble une terre promise, en étant maltraités dans leur voyage par des personnes sans scrupules…
Il y a aussi une forme d’impuissance : le port de Calais a été sécurisé, il y a certes moins de traversées qu’avant par des tunnels, des moyens de transport et des camions, mais les migrants tentent en conséquence de traverser en utilisant des moyens encore plus dangereux.
Il ne s’agit pas du tout de justifier leur passage, et il fait bien sûr partie des prérogatives de l’État de gérer les flux migratoires et d’assurer la sécurité de ses citoyens. Mais il faut comprendre que leur désespoir et leur misère sont tels que si nous voulons y mettre un terme, ce ne sera pas par des mesures défensives et sécuritaires, mais en allant, une fois de plus, sur le terrain de la justice internationale.
Comment jugez-vous cette demande, formulée mardi 3 septembre par le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin, de renégocier un traité migratoire entre Londres et l’Union européenne (UE) ?
Mgr OL : En tant qu’évêque, je n’ai pas les compétences techniques pour juger ce genre de proposition. Mais je tiens à redire que si ce projet se limite à un accord entre l’Angleterre et la France, ou l’Union européenne (UE), cela pourrait certainement contribuer à améliorer un peu les choses, mais resterait, à mon avis, loin d’être suffisant. Cet été, j’ai parlé avec des évêques africains qui me demandaient de l’aide pour garder leur richesse humaine sur leurs territoires. Il y a un enjeu fort à travailler ensemble sur ces questions. Le pape François insiste beaucoup, pour arrêter ces flux, sur ces dimensions de justice et de solidarité internationale.
Aujourd’hui, comment œuvrez-vous pour soutenir les populations exilées dans votre diocèse ?
Mgr OL : Je continue d’ores et déjà à soutenir ceux qui travaillent sur le terrain ; dans mon diocèse, il y a notamment une équipe remarquable du Secours Catholique, ainsi qu’un grand nombre de bénévoles engagés dans de nombreuses associations. J’essaie aussi, quand je le peux, de prendre la parole publiquement pour rappeler les fondamentaux de la dignité humaine – et la nécessité d’un équilibre international pour la servir.
La question suscite une forte polarisation dans les communautés catholiques françaises : que souhaitez-vous dire aux défenseurs d’une ligne dure sur ces questions migratoires, et quel rôle peuvent jouer les chrétiens face aux défis migratoires ?
Mgr OL :Je veux leur dire d’ores et déjà que ce que je revendique pour moi, je ne peux ne pas le désirer pour mes frères. Que parce que je crois au Christ ressuscité, je ne peux me résigner à ce que la dignité d’un homme ou d’une femme soit bafouée, quelle que soit sa situation ou ses origines. Qu’on ne peut pas lutter pour le respect de la vie, de la conception à la mort naturelle, sans lutter aussi pour cette dignité de la personne humaine à chaque instant de sa vie. Je veux leur dire que le seul réalisme qui compte sur cette question n’est pas celui de nos peurs, dont certains font commerce, mais la résurrection du Christ qui nous fait tenir debout et nous donne l’espérance.
Nous non plus, nous n’avons pas de solutions, nous ne sommes pas meilleurs que les autres… Mais pour les chrétiens en particulier, il est impossible de se résigner, de ne pas se battre pour faire vivre la fraternité autour de nous, et de faire en sorte que les questions soient posées au bon niveau.
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