Peut-on à la fois réduire la dette, ne pas entraver la croissance et lutter contre les inégalités ?
En 2023, la dette publique de la France, au cœur des débats sur le déficit public, s’élevait à 3 088,2 milliards d’euros, soit 111,7 % du PIB. Dans sa loi de finances (LF) pour l’année 2024, le gouvernement avait pour objectif de le ramener à 108,3% du PIB d’ici 2027 (soit une baisse de -3,4 points de PIB). Ce désendettement programmé de l’État résulte d’un effort budgétaire très modéré : entre 2023 et 2027, les dépenses de consommation publique n’ont baissé que de 23,3% à 22,1% du PIB et les transferts de 25,3% à 24,3% du PIB. Les dépenses publiques ont ainsi été ramenées aux niveaux d’avant la crise du Covid.
La réduction de la dette reposait donc principalement sur l’hypothèse d’une croissance forte, qui aurait dû mécaniquement augmenter les revenus. Cependant, le contexte économique a changé. Et avec les perspectives confirmées d’un ralentissement économique, la réduction de la dette ne pourra passer que par une réduction plus marquée des dépenses publiques, toute augmentation des impôts étant exclue par le gouvernement.
Comment réduire les dépenses publiques pour réduire la dette publique tout en fixant pour objectifs de ne pas dégrader davantage la croissance et de contenir les inégalités ? Pour répondre à cette question aux enjeux économiques et sociaux, nous avons utilisé dans notre recherche le modèle développé par l’observatoire macroéconomie du Centre de recherches en économie et ses applications (Cepremap).
Dans ce contexte, nous avons pu évaluer différents scénarios, où les dépenses publiques seraient réduites de 20 milliards d’euros par an par rapport à la FL 2024, sur les 4 ans et demi à venir, soit un total de 90 milliards d’euros. économies sur cette période. Nos travaux visent à identifier comment parvenir à cette réduction des dépenses publiques sans entraver la croissance ni accroître les inégalités.
Les effets négatifs d’un déclin indifférencié
Pour faire le bon choix, il faut d’abord rappeler qu’il existe trois grandes catégories de dépenses publiques : la consommation publique (par exemple l’éducation nationale ou la défense), les transferts d’assurance sociale indexés sur le revenu, appelés transferts bismarckiens (pensions de retraite, allocations de chômage et autres revenu de remplacement) et des transferts d’aide sociale, non indexés sur le revenu, appelés transferts bevéridgiens (santé, action sociale et logement, famille et pauvreté). De notre point de vue, cette distinction entre transferts bismarckiens et beveridgiens est importante pour la croissance et les inégalités. En effet, comme ils sont indexés sur le revenu, les transferts bismarckiens sont par nature neutres en termes de redistribution, alors qu’au contraire les transferts beveridgiens sont fortement redistributifs.
Décrivons maintenant les implications des différents scénarios retenus. Si ces 20 milliards d’euros d’économies par an concernent uniquement la consommation publique, alors les effets récessifs seront importants. Sur la période considérée, le taux de croissance annuel diminuerait de 0,51 point de pourcentage. Ce ralentissement économique pénaliserait fortement les ménages défavorisés, très dépendants des revenus du travail. En conséquence, les ménages à revenus élevés consommeraient 5,07 fois plus que les ménages à faibles revenus, au lieu de 4,83 dans le scénario FL. Concernant le ratio dette/PIB, s’il baissait effectivement de 1,8 point de pourcentage d’ici 2027, il dépasserait les niveaux prévus en FL jusqu’en 2026, en raison de la récession créée par la baisse de la consommation publique.
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Si ces 20 milliards d’euros d’économies par an portent à parts égales sur les deux types de transferts, bismarckiens et beveridgeens, alors il n’y aura pas d’effets récessifs. En effet, dans ce cas, les ménages seraient incités à augmenter leur offre de travail pour maintenir leur niveau de consommation. Cela compenserait alors les effets potentiellement récessifs de la baisse des transferts sur la demande globale. Cette réduction des dépenses publiques permet alors une forte baisse du ratio dette/PIB qui atteindrait 104,7% en 2027 (-3,6 points de pourcentage par rapport au FL 2024). Mais, dans ce scénario, la réduction des transferts d’aide de type bevéridgien, réduisant significativement le pouvoir d’achat des ménages défavorisés, engendrerait une forte augmentation des inégalités (les ménages à revenus élevés consommeraient 5,29 fois plus que ceux à faibles revenus). revenu).
Revoir la composition des transferts sociaux
Ces deux premiers scénarios ne parviennent donc pas à concilier réduction de la dette publique, maintien de la croissance et maîtrise des inégalités. Une solution pourrait consister à agir sur la composition des dépenses publiques. Les économies porteraient sur les transferts bismarckiens, les réduisant d’un montant supérieur à 20 milliards par an (-39 milliards par an). Cette baisse serait en partie compensée par une hausse des transferts beveridgiens (+19 milliards d’euros par an). Cela représente tout de même 20 milliards d’euros d’économies au total. Dans ce contexte, le PIB est stimulé à la fois par l’augmentation des heures travaillées et par la demande de consommation des plus défavorisés (avec + 0,17 point de taux de croissance annuel sur la période). Dans le même temps, cela entraîne une réduction des inégalités : les ménages aisés consommeraient 4,75 fois plus que ceux à faibles revenus, grâce à un soutien à la consommation des plus pauvres, mieux ciblé par des transferts de type beveridgien. Le ratio dette publique/PIB diminue à 106,0% en 2027, soit une réduction de 5,7 points par rapport à la situation actuelle, améliorant la prévision de la LF de 2,3 points.
Ce résultat met en évidence à quel point la stratégie gouvernementale adoptée dans la LF 2024 était à la fois risquée, en s’appuyant excessivement sur la croissance, et sous-optimale, en laissant de côté des possibilités de réduction de la dette publique qui n’entravent pas la croissance, ni la lutte contre les inégalités.
Depuis l’adoption de la FL 2024, toutes les stratégies budgétaires sont contraintes par les dernières décisions du gouvernement. La réduction de la consommation publique a déjà commencé pour un montant de 10 milliards d’euros et la réduction des transferts bismarckiens (lors de la réforme des retraites de 2023) a été insuffisante. Une stratégie fondée sur une recomposition des transferts publics reste néanmoins à privilégier. Pour minimiser les pertes de croissance et contenir la montée des inégalités, un ajustement budgétaire basé sur une réduction de 10 milliards € de la consommation publique et de 19,3 milliards € pour les transferts bismarckiens, accompagné d’une augmentation de 9,3 milliards € des transferts beveridgiens, ne ferait perdre que 0,17 milliard €. points de pourcentage de croissance par an. Elle ralentirait la montée des inégalités : les ménages aisés consommeraient 4,91 fois plus que ceux à faibles revenus. La dette publique s’établirait à 106,3% du PIB, soit une réduction de 2 points supplémentaires par rapport à la FL 2024.
Ce résultat en termes de croissance et d’inégalités domine largement celui obtenu dans le cas d’une simple baisse de 20 milliards d’euros par an de la consommation publique. Cette réduction des transferts bismarckiens pourrait résulter d’une réduction des pensions de retraite via leur désindexation à l’inflation pendant deux ans. L’augmentation des transferts beveridgiens via l’augmentation des minima sociaux (minimal vieillesse, RSA, etc.) limiterait les conséquences négatives sur les inégalités des autres ajustements budgétaires.
Le chemin à suivre pour sortir l’État français de la dette sera complexe. Débattre des priorités en matière de dépenses publiques est néanmoins d’autant plus nécessaire que de nouvelles dépenses liées au changement climatique sont attendues. En l’absence de croissance forte et durable, le gouvernement devra arbitrer entre une protection sociale plus ou moins redistributive et le financement de la transition énergétique ou d’autres biens publics pour contenir son endettement et respecter les règles du Pacte européen de stabilité et de sécurité. de croissance.