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« On se concentre sur Trump sans regarder l’omniprésence d’Elon Musk »

Jean-Michel Valantin est géopolitiste, docteur et chercheur en études stratégiques et sociologie de la défense à l’Ehess, et auteur notamment de Géopolitique d’une planète désordonnée (éd. Seuil, 2017).

Reporterre — Donald Trump a été élu président des États-Unis. Quelle est votre réaction ?

Jean-Michel Valantin — Je ne suis pas très surpris : aux Etats-Unis, où l’État providence est bien plus réduit qu’en France et en Europe en général, les électeurs sont très sensibles et réactifs à leur situation économique. Or, depuis 2020, le mandat de l’administration de Joe Biden et Kamala Harris a été marqué par l’inflation, notamment sur le carburant, l’alimentation et le logement.

A l’inverse, dans la mémoire politique américaine, le premier mandat de Trump à partir de 2016 est associé à la sortie de crise initiée par la crise des subprimes en 2008. Et, pour de nombreux Américains, l’enjeu était d’élire une administration capable de relancer l’économie et a fortiori pour améliorer leur niveau de vie. Cette élection est une victoire très nette pour le Parti républicain, qui a remporté à la fois la présidence et la majorité au Sénat, et qui risque également de disposer d’une majorité à la Chambre des représentants. En revanche, c’est une défaite, voire un désaveu, pour le Parti démocrate.

Donald Trump, souvent considéré comme imprévisible, a été élu dans un contexte géopolitique déjà perturbé par les guerres et le changement climatique. Quelles conséquences cela peut-il avoir ? ?

Je ne suis pas sûr qu’il soit si imprévisible : Trump a des lignes directrices assez claires. Par ailleurs, le fait que les présidents américains jouent à l’imprévisible est pratiquement une tradition politique aux États-Unis : on l’a vu avec Richard Nixon ou Ronald Reagan. Trump n’est pas un extraterrestre.

Je suis également surpris qu’on se concentre sur Trump sans regarder l’omniprésence d’Elon Musk, qui a pourtant joué un rôle central dans la campagne. Il a joué un rôle public très important et a également mis en avant la puissance technologique de la Silicon Valley. D’abord via le rachat de Twitter (devenu X) et l’assouplissement de ses règles de modération. Cela a fait de cette plateforme une sorte d’agora pour les différents mouvements conservateurs et climato-sceptiques, qui ne se déploient d’ailleurs pas uniquement sur ce réseau social.

Lire aussi : La Silicon Valley se tourne vers Trump, sur fond de désinformation climatique

Par ailleurs, il a mis en avant la capacité de réaction propre à ces nœuds de technologies que sont désormais l’alliance entre intelligence artificielle, réseaux sociaux et constellations de satellites. Par exemple, lorsque la Floride et la Caroline du Nord ont été ravagées deux fois de suite par les ouragans Helen et Milton en octobre, il a mobilisé une des constellations de satellites de sa société Starlink en distribuant des antennes relais portables afin que les communautés sinistrées puissent se reconnecter à internet. Dans le même temps, l’État fédéral était impuissant à les aider.



La question technologique s’annonce donc centrale ?

Il est important de mieux analyser le rôle joué par les grands barons de la technologie dans cette élection. La présence politique de Musk révèle en effet une très curieuse alliance entre différents mouvements américains conservateurs et réactionnaires et les libertaires qui prospèrent grâce aux nouvelles technologies. Sachant qu’on voit en même temps que Trump, qui a un discours très dur envers la Chine, veut augmenter de 60 % de droits de douane pour ce pays. Or, la Chine est le deuxième marché pour le constructeur automobile Tesla, qui appartient à Musk… Il faut donc replacer cette nouvelle administration dans son contexte national et international, qui est très complexe.

Prenons par exemple le sommet des Brics, qui s’est tenu fin octobre à Kazan (Russie). Les participants étaient la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, les Émirats arabes unis et le Brésil, représentant près de 3,5 milliards de personnes. Les Brics s’apparentent à une alliance de producteurs et, entre guillemets, «  transporteurs » pétrole, gaz… Pourtant, les États-Unis sont redevenus un pays pétrolier et gazier. La géopolitique constituera donc un défi permanent pour l’administration Trump.

«  L’enjeu géopolitique et stratégique majeur du futur est le statut du dollar. »

Une sorte d’ordre international parallèle s’établit, qui remet en cause les accords de Bretton Woods de 1944 : lors du sommet de Kazan, un projet de cryptomonnaie qui pourrait être la monnaie commune des BRICS a été présenté. L’enjeu géopolitique et stratégique majeur pour l’avenir de l’administration Trump est donc le statut du dollar, remis en question par cette intersection de partenariats.

Nous sommes dans un moment de grande tension et de recomposition des équilibres : depuis le début des années 1990, la mondialisation portée par les États-Unis, conçue pour les consommateurs, a prévalu. On voit désormais émerger des partenariats entre pays producteurs et transporteurs. Plusieurs pays essentiels pour les consommateurs pourraient bien se retrouver isolés de la mondialisation impulsée par les États-Unis.

Trump fait une série de propos réactionnaires et de propositions politiques, par exemple sur l’immigration. Son élection risque-t-elle d’accélérer la fascisation du monde ? ?

Premièrement, y a-t-il une fascisation du monde ? Je ne sais pas : c’est un concept très englobant. Trump a été élu de la manière la plus démocratique possible, avec un succès incontestable. Nous voyons ici une Amérique inquiète pour son économie et surtout soucieuse d’elle-même, ce qui n’est pas nouveau. Concernant ses propos réactionnaires, rappelons que chaque pays a ses spécificités. Ce qui résonne aux États-Unis est mondialisé par un système médiatique lui-même mondialisé, mais la France ou l’Espagne ne sont pas les États-Unis : ce n’est pas parce qu’un leader politique dit quelque chose dans un pays que cela a de tels effets performatifs.

Ceci étant dit, Trump a effectivement un mot performatif très fort – il est d’ailleurs de ce côté «  ingénieur du chaos » ce qui surprend tout le monde. La question est de savoir si, au-delà de ses déclarations, l’administration Trump sera capable de mettre en œuvre son programme. Si l’on prend l’exemple de l’immigration – dont l’un des moteurs est le changement climatique qui rend invivables des pans entiers de l’Amérique centrale et du Sud, au premier sens du terme – Trump a promis de bloquer l’immigration clandestine. Mais, aux Etats-Unis, il existe une véritable séparation des pouvoirs, et le renouvellement d’un tiers des sénateurs, qui interviendra dans un an et demi, sera un grand test pour son administration.

Les Américains sont très pragmatiques : son administration ne pourra mettre en œuvre un certain nombre de mesures que si elle parvient à produire des résultats. S’ils attendent, la victoire républicaine deviendra alors un attracteur de tensions.



Il est également climato-sceptique. Faut-il s’attendre à une intensification de la crise climatique ? ?

Trump a fait du changement climatique un marqueur politique, avec une position de climato-scepticisme primaire : on le voit avec sa volonté de retirer une nouvelle fois les États-Unis de l’Accord de Paris, après l’avoir déjà fait lors de son premier mandat. Cela dit, il y a bien plus de continuité entre Trump et Biden-Harris qu’on pourrait le croire à première vue : depuis 2020, les démocrates ont autorisé l’ouverture de nombreuses concessions pétrolières et gazières sur le sol américain. Quoi qu’il en soit, le dernier rapport duONU à ce sujet est clair : aux Etats-Unis comme ailleurs, nous sommes malheureusement dans une dynamique d’intensification du changement climatique.

Avec son slogan « L’Amérique d’abord « , peut-on parler d’une posture isolationniste ? Quels effets cette position pourrait-elle avoir sur la géopolitique mondiale ?

Le fait qu’il soit isolationniste ne me paraît pas évident. En revanche, je pense que cela s’inscrira dans la réorientation des relations entre les États-Unis et l’Asie en cours depuis une quinzaine d’années. Depuis le second mandat de Barack Obama (2012-2016), il a été essentiel pour les administrations américaines successives d’accéder aux gigantesques marchés de l’Inde, de l’Indonésie, etc., tout en réduisant l’influence stratégique de la Chine dans la région Indo-Pacifique.

Trump, lors de son premier mandat, a ainsi lancé la guerre contre les tarifs douaniers et les transferts de connaissances et de technologies avec la Chine, une politique qui a été approfondie par l’administration Biden-Harris. Mais l’un des défis majeurs pour la Chine est d’amplifier sa transition énergétique. ; tandis qu’Elon Musk souhaite entretenir de bonnes relations avec Pékin pour conserver l’accès au marché chinois. Il est donc encore trop tôt pour savoir si la nouvelle administration démantelera ou non les appareils fédéraux dédiés à l’étude du climat et de la biodiversité, comme le NOAAsachant que ces institutions jouent également un rôle crucial dans le développement économique des États-Unis.

Par ailleurs se posera la question du poids des assureurs et réassureurs face aux dommages infligés par les événements extrêmes. Aussi, contrairement aux apparences, je pense que l’administration Trump est traversée par de nombreux paradoxes et incertitudes, et que cela pèsera lourd face à des situations nationales, internationales et mondiales qui seront bien plus difficiles à supporter qu’annoncées.

légende

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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