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« Nous observons le quatrième blanchissement massif des coraux »

J.érémie Vidal-Dupiol est chercheuse en écologie moléculaire à l’Ifremer, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer. Originaire du bassin d’Arcachon, il est rattaché au laboratoire IHPE (Interactions hôte-environnements pathogènes), sur le site de l’Université de Montpellier. Spécialiste des coraux, il travaille dans la zone Pacifique, notamment sur les récifs de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Fidji. Il analyse les conséquences de l’épisode de blanchissement massif qui touche les colonies de ces animaux marins.

Jérémie Vidal-Dupiol, chercheur en écologie moléculaire à l'Ifremer.


Jérémie Vidal-Dupiol, chercheur en écologie moléculaire à l’Ifremer.

JV-D.

Qu’est-ce que le blanchissement des récifs coralliens ?

Il témoigne de la séparation entre deux organismes qui vivent ensemble…

J.érémie Vidal-Dupiol est chercheuse en écologie moléculaire à l’Ifremer, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer. Originaire du bassin d’Arcachon, il est rattaché au laboratoire IHPE (Interactions hôte-environnements pathogènes), sur le site de l’Université de Montpellier. Spécialiste des coraux, il travaille dans la zone Pacifique, notamment sur les récifs de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Fidji. Il analyse les conséquences de l’épisode de blanchissement massif qui touche les colonies de ces animaux marins.

Jérémie Vidal-Dupiol, chercheur en écologie moléculaire à l'Ifremer.


Jérémie Vidal-Dupiol, chercheur en écologie moléculaire à l’Ifremer.

JV-D.

Qu’est-ce que le blanchissement des récifs coralliens ?

Elle démontre la séparation entre deux organismes qui vivent ensemble : les coraux et les microalgues avec lesquelles ils sont en symbiose. Cette séparation est induite par des températures anormalement élevées de l’eau sur une longue période. Un pic de température sur vingt-quatre heures ne provoque pas de blanchiment. En revanche, des températures plus élevées que d’habitude – voire légèrement plus élevées – qui persistent pendant plusieurs semaines, peuvent y conduire.

Pourquoi la séparation des deux organismes est-elle susceptible d’entraîner la mort des coraux ?

Les microalgues transfèrent jusqu’à 90 % des nutriments qu’elles produisent par photosynthèse au corail. Privé de microalgues, le corail perd une source alimentaire essentielle. Il s’acclimate en libérant des « cellules de chasse » en plus grand nombre pour trouver sa propre nourriture : micro-organismes planctoniques et petits crustacés par exemple. Elle peut ainsi survivre un certain temps, jusqu’à ce que la symbiose avec les microalgues reprenne lorsque l’épisode de stress thermique prend fin. Mais plus cette symbiose est interrompue longtemps, plus le risque de mortalité des coraux est grand.

Depuis un an, des alertes fusent sur l’ampleur des canicules marines. Le blanchissement des coraux en est-il la conséquence ?

Assez. Nous vivons un épisode El Nino qui a débuté l’année dernière (un réchauffement des eaux de surface du Pacifique oriental, près des côtes d’Amérique du Sud, NDLR). Ses effets sont aggravés par le réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines. Résultat : nous avons des bulles d’eau chaude qui traversent lentement les océans et provoquent le blanchissement de la quasi-totalité des récifs coralliens de la planète. On observe ainsi le quatrième blanchissement massif des coraux enregistré dans le monde après les épisodes de 1998, 2010 et 2016-2017.

Certains coraux sont-ils plus résistants que d’autres ?

Oui, pour différentes raisons. Il existe de nombreuses preuves suggérant que les coraux développent la capacité d’apprendre des événements de stress passés. Partout dans le monde, les coraux qui subissent fréquemment un stress thermique ont une meilleure capacité à tolérer de nouvelles vagues de chaleur. Une comparaison peut être faite avec la pratique sportive. Quelqu’un qui ne court jamais souffrira beaucoup la première fois qu’il essaiera de faire du jogging. Plus il s’entraînera par la suite, meilleur il deviendra. De même, les coraux sont de plus en plus habitués à tolérer des températures élevées.

Les coraux de la mer Rouge sont connus pour être plus résistants à la chaleur de l’eau. Pourquoi ?

Ceci est une exception. Cela s’explique en partie par la colonisation de la mer Rouge par des coraux venus du golfe Persique, l’endroit au monde où les récifs coralliens connaissent les températures les plus élevées. Ces coraux sont adaptés aux eaux chaudes depuis des centaines, voire des milliers d’années. La mer Rouge étant plus froide, leur préadaptation génétique les protégerait.

Le 4 avril, un atoll de corail complètement blanchi près de l'île Lizard, au nord de la grande barrière de corail australienne.


Le 4 avril, un atoll de corail complètement blanchi près de l’île Lizard, au nord de la grande barrière de corail australienne.

DAVID GRAY/AFP

La tolérance des coraux aux vagues de chaleur augmentera-t-elle à un rythme suffisant pour suivre le réchauffement climatique ?

Il est trop tôt pour pouvoir répondre avec certitude. Mais je pense que les coraux ont un potentiel d’adaptation bien plus important que celui envisagé il y a une quinzaine d’années. Il y a des signes qui nous permettent d’être optimistes. Mais nous ne parlons que des effets du changement climatique. Ce qui est sûr, cependant, c’est que l’accumulation sur un récif de stress thermique, de surpêche, de pollution de l’eau, de pression touristique et d’autres impacts liés à l’activité humaine se traduit par des chances d’adaptation et de survie proches de zéro.

Y a-t-il des endroits dans le monde où cette accumulation a déjà fait des ravages ?

Les récifs de la Jamaïque étaient parmi les plus beaux des Caraïbes. Ils ont subi une chaîne de stress : blanchissement, surpêche, pollution. Aujourd’hui, il ne reste pratiquement plus un seul corail vivant en Jamaïque.

La succession rapide des canicules marines ne risque-t-elle pas de fragiliser les coraux au lieu de les « chasser » ?

La Grande Barrière de corail, en Australie, a été touchée par deux épisodes successifs de blanchissement, en 2016 et 2017, avec une intensité de stress comparable, voire supérieure en 2017. Et pourtant, les coraux ont moins blanchi en 2017 qu’en 2016. C’est un motif d’espoir , si l’on garde à l’esprit qu’il est essentiel de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’agir sur toutes les autres pressions pour maximiser les capacités d’adaptation des récifs.

Un récif mourant peut-il se régénérer ?

Un récif qui ne subit aucun stress autre que le blanchissement pourra se rétablir en une dizaine d’années et revenir à son état initial. Si ce n’est pas le cas, le récif va changer d’état. Elle ne sera plus dominée par les coraux mais par les algues qui sont leurs principaux concurrents. Ce sera très compliqué de revenir en arrière.

Quelles sont les conséquences sur l’écosystème de la mort d’un récif corallien ?

Nous assistons à des pertes de biodiversité très importantes. La diversité et la quantité de poissons diminuent. Il s’agit d’une perte de « services écosystémiques » pour le milieu marin et pour les sociétés humaines qui en dépendent. Moins de poisson signifie une ressource alimentaire moins riche. Les impacts sur le tourisme sont également importants.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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