« Nous n’avons pas marché sur la Lune », une théorie du complot encore largement relayée
Ce que vous devez savoir sur cette théorie du complot
- La théorie :L’homme n’aurait jamais marché sur la Lune. La phrase « c’est un petit pas pour l’homme, un bond de géant pour l’humanité », prononcée par l’astronaute américain Neil Armstrong, après avoir posé le pied sur la surface lunaire le 21 juillet 1969, ferait partie d’une gigantesque tromperie orchestrée par la NASA.
- Apparence :Cette théorie, esquissée fin 1969, prend forme en 1976, lorsque l’Américain Bill Kaysing publie We Never Went to the Moon: America’s $30 Billion Swindle. Il développe l’hypothèse que la scène a été tournée dans une base militaire du désert du Nevada, avec la complicité d’Hollywood.
- Aujourd’hui :Le canular lunaire reste populaire en Europe et en France. En 2018, un sondage Ifop révélait que 16 % des Français soutenaient l’idée que les Américains n’étaient jamais allés sur la Lune… Aux États-Unis, ils sont 6 % à le penser, selon un sondage de 2019.
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Le 21 juillet 1969, le pied gauche de Neil Armstrong était le premier à se poser sur la Lune. Trente-trois ans plus tard, le 9 septembre 2002, à Los Angeles, c’est la main droite de son coéquipier Buzz Aldrin, alors âgé de 72 ans, qui défrayait la chronique en s’écrasant, poing fermé, sur le menton d’un certain Bart Sibrel, qui venait de pousser l’astronaute américain à bout en le traitant de voleur, de lâche et de menteur.
Pour Aldrin, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Un an et demi plus tôt, en février 2001, la chaîne Fox avait diffusé un « documentaire » intitulé Avons-nous été sur la lune ? De quoi réveiller un soupçon ultra-minoritaire, mais ancien : quelques mois seulement après l’alunissage, événement planétaire, retransmis en direct à la télévision dans le monde entier et suivi par 500 à 700 millions de téléspectateurs choqués, il commençait à se propager discrètement. Une poignée d’excentriques se disaient alors convaincus que l’exploit d’Armstrong et Aldrin avait en fait été filmé dans le désert du Nevada. Leurs affirmations firent même l’objet d’un article moqueur du New York Times du 18 décembre, intitulé Un alunissage ? Quel alunissage ? Une deuxième mission – Apollo 12 – venait de banaliser l’exploit et personne ne prêtait grande attention aux divagations de ceux que le journaliste du quotidien new-yorkais appelait les « piliers de bar ».
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Le canular de l’ascension de la Lune dans les années 1970
Les quelques partisans du canular de Moon semblaient destinés à ruminer leur indignation dans leur petite cour complotiste. Mais la décennie suivante voit leur audience s’accroître. Les années 1970 sont en effet marquées par la défiance envers les autorités. Engluée dans un conflit postcolonial au Vietnam qui remet en cause sa moralité, ébranlée par les graves mensonges du président Richard Nixon sur les plombiers du Watergate (1974), l’Amérique des années 1970 est déboussolée. « Ils » lui cachent la vérité. Mais depuis quand exactement ? Le 6 mars 1975, ABC diffuse les vingt-six secondes du film qu’un amateur, Abraham Zapruder, a tourné à Dallas lors de l’assassinat de John Kennedy en 1963. Des images explosives qui semblent contredire les conclusions de la commission d’enquête parlementaire. « Les années 1970 américaines sont une décennie de fraudes avérées, de fraudes suspectées : le complot est dans l’air », explique l’historien Emmanuel Kreis, spécialiste des théories du complot.
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En 1976, un certain Bill Kaysing, un obscur employé d’un sous-traitant de la NASA fabriquant de moteurs, a auto-publié une brochure de 87 pages intitulée Nous ne sommes jamais allés sur la Lune : une arnaque américaine de 30 milliards de dollarsIl met en avant les éléments visuels qui, à ses yeux, étayent la thèse d’un canular ultra-secret destiné à offrir aux Etats-Unis un triomphe à bon compte. L’un de ses arguments est que l’Amérique est incapable de financer le défi lancé par Kennedy en 1962 : conquérir la Lune avant la fin de la décennie, ou du moins avant les Soviétiques. « En pleine guerre du Vietnam, le pays est un colosse épuisé, les caisses sont vides, note le journaliste et historien Christophe Bourseiller. Un investissement aussi colossal peut paraître hypothétique. »
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Culture pop et théories du complot
Certains ont aussi volontiers associé le nom de Stanley Kubrick à l’intrigue supposée. En 1968, le réalisateur louche avait fasciné la planète avec 2001 : L’Odyssée de l’espace dont les effets visuels lui avaient valu un Oscar. Sans aucune prétention de réalisme, cette fresque volontiers métaphysique avait néanmoins nécessité le concours de la NASA, qui fut alors sans doute émerveillée par le résultat. De là est née l’idée que l’agence avait alors pensé à Kubrick pour reconstituer un alunissage. Quelle autre raison qu’un pacte de silence pouvait expliquer que le réalisateur, quelques années plus tard, obtienne de la NASA qu’elle lui prête ses précieuses lentilles ultra-sensibles pour filmer les scènes à la bougie de Barry Lyndon (1975) ? L’hypothèse du tournage en studio rappellera des souvenirs aux cinéphiles qui ont vu Les diamants sont éternels (1971) : lancé dans une course-poursuite, James Bond fait irruption sur un décor reconstituant la surface lunaire, entouré d’acteurs en combinaison spatiale !
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Un an après le premier Guerres des étoiles (1977), nouvelle référence en matière d’effets spéciaux, un autre film hollywoodien explore la même hypothèse dans un registre plus sérieux : Capricorne 1 (1978), qui a surfé sur deux vagues du cinéma des années 70, celle des space operas inaugurée par Kubrick et celle des films politiques dont le héros est un complot, comme Les trois jours du condor (1975), Les hommes du président (1976) ou À cause d’un assassinat (1974). Capricorn One suggérait prudemment une fausse mission vers Mars et non vers la Lune, mais il ajoutait de l’huile sur le feu des soupçons. « Ma génération a été encouragée à prendre les images de télévision au pied de la lettre et cela s’est avéré injustifié », analysait à l’époque son réalisateur Peter Hyams, soulignant qu’il avait dû attendre six ans avant de convaincre un producteur. Le fait est que l’alunissage de 1969 n’avait eu quasiment aucun témoin direct autre qu’une caméra. Cela a semé le doute dans les esprits. »
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Le faux alunissage a aussi servi de cadre à de célèbres bandes dessinées. Pas celles de l’album Tintin – visionnaires, au contraire – Nous avons marché sur la lune (1954), mais ceux de la Cosmosmurfsigné du Belge Peyo. Dans cette aventure, dont la publication dans le magazine Spirou a débuté un mois avant le décollage de la mission Apollo 11 en 1969, le village des petits hommes bleus a orchestré une scène pour faire croire à l’un des siens qu’il avait accompli son rêve d’exploration spatiale… « La pop culture est devenue sans le vouloir la meilleure alliée des théories du complot dans les milieux alternatifs », constate Emmanuel Kreis. Et il ajoute : « Quand il s’agit des lutins de Peyo, on sourit. Mais quand c’est Kubrick qui refait surface, on fronce les sourcils. » Car le réalisateur lui-même a semé nombre de petits cailloux lunaires dans son film Brillant (1980). De quoi nourrir les obsessions des théoriciens du complot convaincus de son implication dans le « canular de la NASA ».
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Dans Shining, le pull du garçon est décoré d’une fusée Apollo 11, les motifs de la moquette de l’hôtel Overlook reprennent la forme de la rampe de lancement, la pièce où il est interdit de pénétrer porte le numéro 237, la distance, en milliers de kilomètres, entre la Terre et la Lune. Pour les fanatiques de complots, l’affaire est réglée : rongé par sa compromission dans la mascarade, le grand Stanley a voulu se confesser de manière cryptique !
L’évolution du scepticisme lunaire : des années 1980 aux années 2000
Après les années 1970 et l’âge d’or de la science-fiction, les années 1980 ont désenchanté le cosmos. Il était temps pour le programme surnommé Guerres des étoilesun bouclier voulu par Ronald Reagan pour décourager les missiles soviétiques. Bientôt, l’explosion de la navette Challenger (1986) jette un voile noir sur la conquête spatiale. Puis viennent les années 1990, le scandale autour du président Bill Clinton et le retour du doute chez les Américains contre les institutions. Jusqu’à la diffusion par la chaîne Fox, en février 2001, de son célèbre sujet Avons-nous été sur la lune ? Dans cet article, Kaysing fulminait comme s’il l’avait fait le premier jour, comme si la NASA et des dizaines de scientifiques indépendants n’avaient pas réfuté ses divagations point par point depuis des lustres.
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Trois ans plus tard, le réalisateur William Karel a cru pouvoir détendre l’atmosphère en réalisant en 2004 ce que les anglophones appellent un mockumentary et les francophones un docu-menteur. Opération Lune Il a imité les théories du complot autour d’Apollo 11 à coups d’interviews sorties de leur contexte, de citations tronquées et de faux témoins. Risqué. Le cinéaste français a beau avoir laissé tomber son masque à la fin du film, rien n’y fait : le canular est tellement crédible que les négationnistes lunaires l’ont applaudi. « Karel a remis une pièce dans la machine encore plus efficacement que Fox, soupire Emmanuel Kreis. Et dire que sa démarche se voulait pédagogique ! »
L’idée d’un faux alunissage fait toujours fureur à Hollywood
Car les complotistes n’ont aucun sens de l’humour. Pire, ils donnent désormais au moindre fragment de « preuve » une postérité virale via Internet. En 2015, une vidéo des prétendus aveux posthumes de Stanley Kubrick circulait, censé avoir participé au canular lunaire de la NASA en 1969. Un faux grossier. La même année, lors d’une foire du livre à Washington, une petite fille demandait à Buzz Aldrin pourquoi personne n’était retourné sur la Lune depuis 1972. Réponse de l’astronaute : « Nous n’y sommes pas allés… C’est comme ça… Et si ça n’arrive pas, ce serait bien de savoir pourquoi. » Le vieil homme alerte se contentait de constater avec amertume que la NASA avait changé ses priorités. Les complotistes, eux, exultaient. A leurs yeux, la sénilité de l’astronaute de 88 ans le poussait enfin à avouer la plus grande escroquerie du XXe siècle.
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En 2024, le cinéma devrait encore une fois ajouter une pierre à l’édifice du complot. Cet été, une comédie américaine sur les coulisses de la mission Apollo 11 sort au cinéma. Vers la LuneAvec Scarlett Johansson dans le rôle principal, le film évoque le projet de la Maison Blanche de filmer un faux alunissage en cas d’échec de la mission. De quoi remettre en orbite les théories les plus folles !
➤ Article publié dans le magazine GEO Histoire n°76, Comment sont nées les grandes théories du complot de juillet-août 2024.
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