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« Nous devons parler au Hezbollah »

LA TRIBUNE DIMANCHE – Etes-vous inquiet de la situation au Liban ?

JEAN-YVES LE DRIAN – Évidemment, car si nous n’y prenons pas garde, le pays est en danger de mort et de dislocation. D’abord parce que, à travers les frappes israéliennes et les réponses du Hezbollah, cela devient le champ fermé de la confrontation entre Israël et l’Iran. A cela s’ajoute la pauvreté, une détérioration économique considérable qui empêche l’État de subvenir aux besoins des Libanais. Cependant, à cause de la guerre, 1 million d’habitants sur une population de 5,5 millions sont désormais déplacés. Il y a aussi la paralysie de la vie politique et cette incapacité des responsables libanais à s’entendre sur le nom d’un président de la République. Il serait pourtant important, dans une période comme celle-ci, qu’une personnalité incarne le pays et défende son intégrité. Tout cela constitue les éléments potentiels du chaos. Sans parler du risque de guerre civile.

Lorsque Benjamin Netanyahou demande aux Libanais de se débarrasser eux-mêmes du Hezbollah, ne pousse-t-il pas ce dernier scénario ?

Bien sûr. Ce risque est aggravé par ces commentaires. Il s’agit d’une ingérence grave, et menacer le Liban d’un deuxième Gaza constitue une provocation inacceptable.

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La guerre au Liban ne signe-t-elle pas l’échec de la diplomatie ?

Jusqu’à l’élimination de Hassan Nasrallah (secrétaire général du Hezbollah), la diplomatie a agi pour se conformer à la résolution 1701 des Nations Unies dans toutes ses dispositions. Les conditions étaient quasiment réunies pour qu’une négociation puisse s’enclencher sur son application. Ce sont ces bases qui ont été retenues dans la proposition de cessez-le-feu franco-américaine fin septembre. Il est soutenu par le Liban et les pays arabes et pourrait contribuer à résoudre la situation à la frontière nord d’Israël.

Les Israéliens étaient-ils au courant de cet éventuel accord ?

Oui mais malheureusement, l’intervention que nous vivons a brisé cette dynamique. Toutefois, les conditions des discussions sur cette résolution 1701 peuvent être trouvées à condition qu’il y ait un cessez-le-feu. Les dernières déclarations de Naim Qassem, le secrétaire général adjoint du Hezbollah, vont dans ce sens : il ne subordonne plus ni le cessez-le-feu ni les discussions sur la résolution 1701 à l’arrêt de la guerre à Gaza. Il faut saisir les bâtons qu’il tend.

Sauf que Washington ne pousse plus autant pour cette trêve…

Au Liban comme à Gaza, les Etats-Unis sont tiraillés entre leur souci de préserver la sécurité d’Israël et leurs craintes de déstabilisation de la région. En pleine période électorale, ils ont beaucoup de mal à imposer une ligne politique. Même si j’ai observé que Joe Biden condamnait l’aggravation des frappes israéliennes sur le Liban.

Il a également décrit l’élimination de Nasrallah comme « mesure de justice « . Partagez-vous cet avis ?

Nous savons ce que Nasrallah a fait, notamment envers les Français. Le Hezbollah est, dans sa partie armée, une organisation terroriste. Ce que nous souhaitons avec nos partenaires internationaux, c’est empêcher cette faction armée de maintenir sa pression sur Israël.

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En revanche, sa branche politique est-elle un acteur à prendre en compte ?

Nous devons lui parler et je lui parle moi-même, car elle est représentée au Parlement libanais et certains chiites y sont présents, tout comme ils le sont au parti Amal. Cette communauté représente 30% de la population libanaise. Nous ne pouvons pas la mettre de côté ni l’humilier.

Mais le Hezbollah est-il vraiment prêt à faire des compromis ?

Il faut maintenant le mettre contre le mur. Par le cessez-le-feu et par les négociations sur la résolution 1701.

Les Israéliens sont-ils prêts à négocier ?

Ma profonde question concerne les objectifs de guerre du gouvernement Netanyahu. Bien entendu, la cause de la situation actuelle est le pogrom du 7 octobre. Israël était en état de légitime défense et sa réponse à cette agression barbare, inhumaine et insupportable pouvait être soutenue. Mais, peu à peu, la réponse s’est transformée en punition collective, avec des représailles aveugles, condamnées par le droit international. Tout se passe comme si la guerre n’avait pas de véritables objectifs politiques. Nous sommes précipités dans une guerre sans fin.

Faut-il, comme l’a demandé Emmanuel Macron, arrêter de vendre à Israël les armes utilisées à Gaza ?

Je constate, avec le Président de la République, qu’il existe une contradiction entre une demande répétée de cessez-le-feu et la livraison permanente d’armes qui frappent la population de Gaza. Cela vaut également pour le Liban. Tant que cette contradiction ne sera pas résolue, nous alimenterons cette logique de guerre perpétuelle.

Cette position n’isole-t-elle pas la France ?

C’est plutôt Israël qui s’isole du monde. Car, encore une fois, on n’identifie pas les objectifs de guerre. S’ils consistent à vaincre militairement le Hamas, c’est fait, si l’on en croit les récents propos du chef d’état-major de l’armée israélienne. S’il s’agit d’éliminer les chefs du Hezbollah et de l’affaiblir, cela aussi est fait. A partir de là, quel est l’objectif aujourd’hui ?

Remodeler la carte du Moyen-Orient ?

Formule de triste souvenir. Telle a été la vision des États-Unis en Irak et en Afghanistan, avec le succès que l’on connaît. Au lendemain du 7 octobre, Joe Biden disait aux Israéliens : « Ne soyez pas comme nous, ne laissez pas la rage guider votre action. » Cette idéologie de transformation du Moyen-Orient par la force est pleine d’illusions et très dangereuse.

Etes-vous sûr que votre voix et celle de la France portent encore au Liban ?

Oui, et je le vois à chaque fois que j’y vais. Je suis entendu et même sollicité, que ce soit par les acteurs politiques ou par ceux de la société civile. Les Français sont les seuls à parler à tout le monde. C’est dans ce contexte que la France peut organiser la conférence à caractère essentiellement humanitaire qui se tiendra le 24 octobre. Elle est également à l’initiative d’une communication conjointe sur le cessez-le-feu avec les Etats-Unis. N’oublions pas non plus notre présence au sein de la FINUL (Force intérimaire des Nations Unies au Liban).

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Comment réagissez-vous aux tirs contre les casques bleus cette semaine ?

C’est scandaleux et constitue une violation inacceptable du droit international. Israël doit s’arrêter et s’expliquer. Il appartiendra au Conseil de sécurité de traiter cette question, et il est important pour moi qu’elle soit réglée.

Faut-il craindre la réponse de Tel-Aviv après le tir de 200 missiles iraniens sur son sol il y a dix jours ?

La possibilité d’une conflagration régionale est réelle et nous devons espérer que la réponse israélienne soit ciblée et proportionnée. Plus largement, nous sommes confrontés à deux déni : celui d’Israël à l’égard d’un État palestinien et celui de l’Iran à l’égard d’Israël. L’Ayatollah Khamenei proclame qu’Israël n’a plus beaucoup de temps. De leur côté, les Israéliens n’envisagent pas du tout la solution à deux États. C’est la source d’un affrontement majeur.

L’Iran est-il prêt pour cette confrontation ?

L’attaque de missiles contre Israël marque un tournant important. Cependant, je pensais, avec l’arrivée du président Pezechkian et son discours aux Nations Unies, qu’il pourrait y avoir un changement dans la position iranienne, y compris sur le nucléaire. Mais depuis qu’un de ses atouts dans la région, à savoir le Hezbollah, a été atteint, Téhéran, après un débat interne, a déclenché une spirale dangereuse dont il sait qu’il peut lui échapper. Entre le message de Pezechkian et l’agression directe majeure sur le territoire israélien, quelle est la position du régime ? Nous devrions le savoir dans les prochains jours.