lorsque le premier métro aérien suspendu fonctionnait et attirait le monde entier
Ce n’est pas le synopsis d’un film futuriste mais l’histoire incroyable d’un grand projet international né dans le Loiret dans les années 60, quelques années avant l’aérotrain. Une plongée dans les archives du premier monorail aérien suspendu testé à Châteauneuf-sur-Loire.
Un jour de juin, sur un terrain privé situé entre Loire et Sologne, nous avons rendez-vous avec Francis et Michel Guérin qui nous attendent pour nous dévoiler un vestige d’une aventure technologique presque oubliée. Dans un cadre bucolique, installé au bord d’un étang, nous découvrons un étrange mobil-home, qui n’est autre que la cabine restaurée du métro aérien suspendu de Châteauneuf-sur-Loire, testé dans le Loiret entre 1960 et 1966.
Michel Guérin a expérimenté le métro aérien suspendu lors de ses premiers essais dans les années 1960. « Quand j’étais cheminot, nous roulions côte à côte quand nous quittions Châteauneuf-sur-Loire pour aller à Argent-sur-Sauldre » se souvient Michel Guérin. « Je trouvais ça intelligent, ça permettait aux gens de se déplacer en hauteur quand il n’y avait plus de place en ville. »
Le projet est porté par Safège Transport (Société Anonyme Française d’Etudes de Gestion et d’Entreprises), un consortium de 18 entreprises dont 4 établissements bancaires. Sur un rail suspendu jusqu’à 8m de haut, une cabine en aluminium, capable d’atteindre 100km/h, transporterait près de 150 passagers.
Les premières études furent lancées à la fin des années 1950 sur une nouvelle technologie française de monorail suspendu sur pneumatiques. Une particularité du métro Safège est que les essieux se trouvent sur le toit de la cabine.
A partir de 1959, la fabrication des différents éléments est lancée. La société Renault à Choisy-le-Roi construit la cabine. La société Baudin Châteauneuf construit la piste d’essai. Le garage et l’alimentation électrique sont construits sur le terrain de la société Baudin à Châteauneuf sur Loire. Le moteur est fabriqué chez Alstom à Tarbes.
Une piste d’essai de 1 334 m de long est en cours de construction le long de l’ancienne ligne SNCF Orléans-Gien, entre Châteauneuf-sur-Loire et Saint-Martin d’Abbat.
Les premiers essais étaient prévus pour avril 1960. Mais George Christopher, le maire de San Francisco, annonça sa visite avec une délégation de journalistes américains. Il voulait voir le métro suspendu. Le 23 février, il fut inauguré.
C’est une solution révolutionnaire pour le transport urbain.
George Christopher, maire de San Francisco de 1956 à 1964
Des personnalités du monde entier suivront. Des ingénieurs espagnols, iraniens, coréens, mexicains, indiens, le maire de Calcutta le 21 janvier 1961 et Nicolas Podgorny, haut fonctionnaire soviétique, le 6 mars 1964.
En quête d’un décor futuriste, François Truffaut, qui avait repéré le métro aérien en 1962, tourne des prises de vues pour son film « Farenheit 451 » en mars 1966.
Pour donner au métro une image moderne, François Truffaut a même demandé au conducteur de se baisser pour donner l’impression que le métro fonctionnait sans conducteur.
Nous n’avons tourné qu’une petite partie en France, ce qui donne le rythme au film : les scènes sur le monorail, une sorte de métro suspendu un peu ridicule, faussement futuriste, mais assez étrange et dont j’avais besoin pour donner une certaine atmosphère au film.
François Truffaut
Extrait du manuscrit du journal de tournage – La Cinémathèque française
Malgré cet engouement, les projets de construction de métro suspendus ne voient pas le jour. Les pouvoirs publics ne soutiennent pas le projet, qui est abandonné en 1966. Aucune ligne commerciale Safège n’est construite en France. En revanche, des projets à l’étranger voient le jour, notamment au Japon, à Chiba City et à Shonan.
Entre 1967 et 1971, la ligne de métro a été démantelée. Ensuite, les restes de la ligne d’essai et les aiguillages ont été détruits.
Quant à la cabine, ni la SNCF, ni la RATP, ni aucun musée des transports n’en voulaient.
Au terme de l’aventure commerciale du métro aérien, Michel Guérin a retrouvé la cabine chez un ferrailleur à Huisseau-sur-Mauves.
En mai 1972, la cabane est vendue au prix du métal à un ferrailleur de Huisseau sur Mauves dans le Loiret. Elle était destinée à être détruite, mais fut finalement transformée en habitation, le fils du ferrailleur y vécut plusieurs années. « Après qu’ils l’avoir abandonné. Ils élevaient des canards, des moutons… tout ça… dedans » Michel Guérin nous le raconte. Le ferrailleur vend la cabine à l’association ARSATI (Association pour la réhabilitation du système aérotrain et des transports innovants) pour 5 000 francs.
Michel Guérin rapatrie la cabine dans un hangar de la base militaire de Bricy, où se trouve déjà ce qui reste du prototype calciné de l’aérotrain. Michel Guérin, alors maire de Saran, envisage de créer un musée des transports innovants inachevés, sous l’impulsion de l’ARSATI. Ce projet ne verra pas le jour.
J’ai acheté cette cabane en 1997 avec l’idée de créer un musée des transports innovants à Saran. Le projet a échoué suite à l’incendie de l’aérotrain. Les personnes qui ont travaillé sur ce projet méritent qu’on se souvienne d’elles. Le meilleur moyen est de récupérer ce qu’elles ont fait. Je suis fier que mes enfants et petits-enfants en bénéficient.
Michel Guérin, propriétaire de la cabine de métro aérien suspendu
Malheureusement, la cabine du métro a été vandalisée et a finalement été remise pendant 20 ans dans un bâtiment discret.
En 2017, Francis, le fils de Michel Guérin, entreprend de réhabiliter ce témoin de l’aventure du métro aérien. Après de nombreuses péripéties, la cabine est transportée par convoi exceptionnel et subit une longue restauration.
Pas moins de 3 500 heures ont été nécessaires pour redonner tout son éclat à cette cabine en aluminium, qui a dû être purgée de tous les mécanismes internes. Des ouvertures ont été pratiquées de part et d’autre de la cabine. Un sas a été transformé en chambre, l’autre en salle de bain. Un bar, une cuisine, un salon et une salle à manger ont également été aménagés.
C’est un endroit agréable où la famille aime se réunir.
Francis Guérin, restaurateur de la cabine suspendue du métro
Avec l’aide de quelques amis, Francis Guérin a réussi à sauver ce vestige du métro suspendu.