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les premières pistes des économistes pour « désmicardiser » la France

Le nombre de salariés rémunérés au Smic continue d’augmenter en France. L’année dernière, 3,1 millions de salariés étaient au salaire minimum, soit 17% des salariés selon les récents chiffres du ministère du Travail. En 2022, cette part s’élève à 14,5 % en France. Comment expliquer une telle augmentation ? Le salaire minimum est indexé sur l’indice des prix à la consommation, en forte hausse depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Les salariés juste au-dessus du SMIC n’ayant pas pu bénéficier d’une augmentation équivalente, de nombreux salariés se sont retrouvés proches du SMIC, voire en dessous en raison d’un effet de rattrapage.

Compte tenu de la flambée des prix, le SMIC a également dépassé les minima de nombreuses branches. « Nous pensons que les effets de la « smicardisation » sont liés à l’inflation avec l’indexation du SMIC mais cette situation est déjà bien plus ancienne », a rappelé Antoine Bozio.

En janvier, le Premier ministre Gabriel Attal, dans son discours de politique générale, avait alerté sur les risques d’un tel phénomène. « Il faut démanteler la France. Dès le prochain projet de loi de finances, sur la base des propositions des parlementaires, des partenaires sociaux et d’un certain nombre de travaux d’expertise en cours, nous commencerons à réformer ce système. a déclaré le chef du gouvernement.

Lors d’une grande conférence sociale à l’automne, l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne a lancé une mission sur les bas salaires confiée à l’économiste et directeur de l’Institut des politiques publiques (IPP) et à Etienne Wasmer (Université de New York). Avant de remettre leurs travaux en juin prochain, les deux experts ont fait le point ce jeudi 25 avril pour dresser un diagnostic. Très attendues par les syndicats et le patronat, ces premières idées devraient alimenter les débats sur le pouvoir d’achat.

Exonération de cotisations : le contexte a changé

Les politiques d’exonération des salaires des employeurs ont considérablement augmenté depuis 1993. « Cette politique s’est d’abord concentrée sur les bas salaires avant de progresser. » se souvient Etienne Wasmer. « C’était l’époque du chômage de masse concentré sur les travailleurs les moins qualifiés ». Dans les années 90, « Le chômage des travailleurs non qualifiés pourrait atteindre 18 %. Sur l’échiquier politique, tout le monde reconnaissait qu’il y avait un sujet sur le coût du travail », poursuit l’économiste. Dans les années qui suivirent, les gouvernements amplifièrent cette politique d’exonération de cotisations en l’étendant aux catégories supérieures.

« Le contexte a changé avec la baisse du chômage de masse » indique l’économiste. Les crises successives de 2008 et 2012 ont fait grimper le chômage au-dessus de 10 % de la population active. Mais ces dernières années, le taux de chômage tel que défini par le Bureau international du Travail (BIT) a diminué. « L’efficacité des allègements de charges est moindre dans un contexte de tensions sur le marché du travail », explique Etienne Wasmer. Et aussi coûteux pour les finances publiques. Selon les calculs des économistes, les coûts ont quintuplé depuis 1999 (2,5 % du produit intérieur brut en 2023).

« Pièges » des bas salaires et « pièges » de la progression

Cette politique de l’emploi centrée sur des exonérations sociales allant jusqu’à 1,6 SMIC s’est traduite par « une compression » de la grille des salaires. « Quand on regarde la répartition des emplois par tranche de salaire, il est frappant de constater une surconcentration des emplois entre 1 et 1,6 Smic », explique Antoine Bozio.

Ces mesures d’exonération ont favorisé les « pièges des bas salaires » et les « pièges de la promotion ». « Pour augmenter un salarié, les entreprises peuvent perdre des réductions de cotisations. Cela peut avoir des conséquences sur la dynamique salariale et l’envie de progresser. indique Etienne Wasmer. Lors de leur présentation, les économistes ont notamment souligné le fait que les salariés n’enregistraient pas forcément de gains salariaux significatifs malgré une formation qualifiante.

Cibler les exemptions sur les poches de chômage

Parmi les premières pistes évoquées par les deux chercheurs, il y a tout d’abord le ciblage « des exemptions pour des poches de chômage ou de sous-emploi dans certaines populations. Il serait plus efficace d’avoir des dérogations pour ce public », évoque Antoine Bozio. Les économistes ont particulièrement pointé du doigt les jeunes sans diplôme (les fameux NEETS) mais aussi les seniors. « La Suède a mis en place des programmes de réduction des cotisations pour les jeunes. Cela a eu des effets durables sur le taux d’emploi des jeunes. »a indiqué le directeur de l’institut des politiques publiques.

D’autres expériences à l’étranger ont également été scrutées à la loupe par les économistes.  » La Finlande a mis en place des régimes d’exonération dans certaines régions connaissant des taux de chômage élevés. Les effets sur l’emploi ont été assez faibles au début mais ont eu un effet protecteur au moment de la crise de 2008. En fait, cela dépend du cycle » résume Antoine Bozio. Dans leur note d’étape, ils plaident pour prendre en compte « la revalorisation de l’emploi » et « l’augmentation du taux d’emploi ». Le risque de ces propositions est de refaire « une usine à gaz ». Autant dire que les économistes avancent avec prudence sur ce sujet explosif.