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les magistrats de plus en plus confrontés aux vengeances initiées sur les réseaux sociaux

Suite à la mort de Philippe, 22 ans, tué à Grande-Synthe par trois jeunes, de nombreux posts sur les réseaux sociaux ont fleuri pour révéler les visages et les noms de ses agresseurs potentiels, appelant même les internautes à les retrouver. Entretien avec Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l’Union syndicale des magistrats (USM), pour comprendre ces vendettas initiées sur les plateformes virtuelles.

Victime d’une violente agression dans la nuit du lundi 15 avril au mardi 16 avril, à Grande-Synthe, Philippe Coopman, 22 ans, est décédé quelques heures plus tard. Deux mineurs, déjà connus de la police, ont été arrêtés et inculpés de meurtre. Le jeune présentateur aurait été victime d’une embuscade via un site de rencontre.

Aurélien Martini, vice-procureur au tribunal de Melun et secrétaire général adjoint de l’Union Syndicale des Magistrats (USM)

Aurélien Martini : En effet, ces messages sont embarrassants car la diffusion de cette information pourrait nuire à l’enquête. Il existe un risque d’informer les suspects en même temps que les voisins. Les suspects sont également sur Internet. Si l’information judiciaire est secrète, ce n’est pas par adoration du secret mais par efficacité. Rechercher quelqu’un qui ne sait pas qu’il fait l’objet de l’enquête sera plus facile à identifier que quelqu’un qui le sait et qui cache ou détruit des preuves.

De plus, il est illégal d’accuser des personnes de cette manière, en révélant leur identité. La loi française exige qu’ils ne soient pas considérés comme coupables avant d’avoir été condamnés. Autrement, nous pourrions facilement nous retrouver dans une société de battage médiatique, avec des gens qui se font justice eux-mêmes et commettent des erreurs. Il y a beaucoup d’enjeu.

Il est illégal d’accuser des personnes de cette manière, en révélant leur identité. La loi française exige qu’ils ne soient pas considérés comme coupables avant d’avoir été condamnés.

Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l’USM

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SUIS : Ce que mes collègues constatent sur le terrain, c’est qu’il y a une très nette augmentation de la violence. Une augmentation des actes de violence et des actes plus violents. Des collègues nous disent qu’il y a plus de dossiers renvoyés au parquet qu’auparavant. On constate surtout une certaine multiplication de ces dénonciations sur les réseaux sociaux. C’est un phénomène plus global que ce qui s’est malheureusement passé à Grande-Synthe ; nous voyons de plus en plus de personnes insatisfaites du système judiciaire, qui se sentent inefficaces et qui veulent se faire justice elles-mêmes. La tentation de remplacer la machine d’État augmente.

C’est vrai qu’il y a des progrès à faire dans la justice française, mais ce type de réflexion est très dangereux. Les enquêtes ont une temporalité différente de celles des réseaux sociaux, même si c’est frustrant qu’elles ne puissent pas aller à la même vitesse. Nous sommes prudents et les réseaux sont instantanés… Ce ne sera jamais un lieu de justice. Il y a de plus en plus de confusions entre justice et vengeance. Quand on confie le jugement à un tiers, à des proches impliqués dans l’affaire, qui sont évidemment concernés, on ne peut pas appeler ça de la justice.

Nous voyons de plus en plus de personnes insatisfaites du système judiciaire, qui se sentent inefficaces et qui veulent se faire justice elles-mêmes.

SUIS : Oui, s’il y a un acte après la diffusion d’un message appelant au lynchage, les auteurs peuvent être considérés comme complices par instigation, donneurs d’ordres. « Allez l’attraper, battez-le !« Avec les enquêtes sur la cybercriminalité, nous pouvons facilement remonter à la source et les retrouver. Si un homicide a lieu, ces personnes seront considérées comme complices. Pour les violences intentionnelles lors d’une réunion, la peine peut être de 3, 5 ou 7 ans de prison. Il n’y a pas de peine. En toute impunité sur les réseaux sociaux, les gens sont responsables de ce qu’ils font, publient, commandent et des répercussions de leurs actes dans la vie réelle.

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SUIS : Il y a beaucoup de choses à analyser, mais il y a deux aspects qui ont été oubliés. Nous avons adopté une réforme, le Code de justice pénale pour mineurs, une réforme majeure pour lutter contre la délinquance. Cette plateforme n’a même pas 3 ans. Avant toutes ces implémentations on pourrait se demander si cela fonctionne, il est encore trop tôt pour donner un bilan. Tout remettre en question n’est pas juste. Il faut arrêter de faire des propositions à chaque fois qu’il y a un fait divers et laisser les acteurs de la justice s’approprier leurs outils.

Il faut arrêter de faire des propositions à chaque fois qu’il y a un fait divers et laisser les acteurs de la justice s’approprier leurs outils.

Et puis la question des moyens. Il faut juger toujours plus vite, mais lorsque nous prononçons des mesures, il n’y a personne derrière pour les mettre en œuvre. Pour un mineur, vivre sa peine 10, 12 ou 18 mois plus tard est une relation qui prend du temps ; la mesure n’a plus d’intérêt une fois mise en place. Lorsque vous commandez un cours de citoyenneté pour dommages aux abribus, si le cours a lieu 8 mois plus tard, le jeune ne saura même plus pourquoi il est là. Tout doit être équilibré, sinon ce n’est qu’une façade.

Cammile Bussière

One of the most important things for me as a press writer is the technical news that changes our world day by day, so I write in this area of technology across many sites and I am.
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