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les Jeux Olympiques, une opportunité pour améliorer l’accès au sport en prison

Dans l’enceinte de la maison d’arrêt Paris-La Santé, il faut franchir les portes sécurisées du centre d’insertion et de prévention de la récidive pour assister à une séance de sport pas comme les autres. Dans le gymnase rénové de la prison construite en 1867, une vingtaine de détenus s’efforcent de respecter les consignes de Fatia Benmessahel. Le temps d’une matinée, la boxeuse de 24 ans – médaillée sur la scène internationale – a mis entre parenthèses sa préparation pour les Jeux Olympiques de Paris 2024. « Tac, c’est parti ! » » Habillée du survêtement de l’équipe de France, elle ne lâche pas le rythme. « Dans la vie, il n’y a rien sans rien, les gars. Il faut se donner les moyens d’y arriver.» motive ceux qui découvrent le monde carcéral.

Le ring vient d’être mis en place : les combats peuvent commencer. Le groupe se précipite vers les gants disposés sur le sol du gymnase. Les plus malins ont réussi à récupérer ceux, aux couleurs tricolores, prêtés par le champion. C’est Samir, qui à 41 ans a l’air d’un vétéran. Les blagues fusent : « Qui va dormir dans la couchette du bas ? » « , » dit un spectateur à deux codétenus qui s’affrontent. Sur le ring, c’est aussi à celui qui honorera le mieux son étage de détention. Mais l’important est ailleurs : «C’est avant tout l’occasion de se défouler, confie Samir. Le sport est un exutoire en prison. »

« La surpopulation carcérale rend l’idée même d’aller à la salle de sport presque impensable »

L’activité d’aujourd’hui s’inscrit dans le cadre d’un plan d’action de l’administration pénitentiaire. Depuis novembre 2023 et jusqu’au début des Jeux, un athlète olympique vient chaque mois à La Santé pour faire découvrir sa discipline. Fatia Benmessahel est la sixième à participer à l’exercice. « Ce programme est basé sur les valeurs olympiques et paralympiques, explique Atena Lasbleiz, directrice des partenariats au Service pénitentiaire d’insertion et de probation de Paris. L’objectif est aussi de leur montrer qu’on peut y arriver malgré les échecs, à travers douze parcours d’athlètes dont s’inspirer. » La trajectoire de Fatia Benmessahel a de quoi forcer le respect : « J’ai grandi dans une famille qui ne voulait pas que les filles fassent de la boxe et j’ai étudié dans un des pires collèges de France en 93. Je me suis forcé et j’ai réussi. »

Cette matinée aborde un autre objectif de l’administration pénitentiaire : «Nous voulons créer un héritage des JO en prison», dit Atena Lasbleiz. Mais si l’initiative permet à une poignée de détenus des différents étages de la maison d’arrêt de créer des liens, que restera-t-il de ce programme une fois passée l’effervescence des Jeux ?

Dans les prisons françaises, l’accès au sport est devenu compliqué. « L’état actuel de surpopulation carcérale rend l’idée même d’aller à la salle de sport presque impensable », déplore Juliette Chapelle, présidente de l’Association pour la défense des droits des détenus (A3D). Avec 77 450 détenus, au 1er avril 2024 – un record –, pour 61 570 places,  » là surpeuplement affecte l’accès aux activités, qui est déjà très, très limité », assure Johann Bihr, membre de l’Observatoire international des prisons (OIP). Un rapport de l’OIP, datant de 2022, complète l’état des lieux : « Le sport est l’activité la plus populaire parmi les détenus. La majorité d’entre eux ont accès aux installations sportives entre une et trois heures par semaine. Une offre insuffisante au vu des listes d’attente constatées. »

Le sport, « une bouffée d’air frais » pour les détenus

A la prison Paris-La Santé, sur les 1 000 personnes détenues, 700 sont inscrites aux activités sportives proposées au gymnase. « Parmi tous les inscrits, nous ne pouvons en recevoir que 300 par semaine, explique Younès, moniteur sportif – encadrant spécialisé – affecté au gymnase. Chaque étage de la maison d’arrêt a son créneau, on essaie de faire des rotations sur deux semaines. » Le moniteur est en première ligne pour constater les bienfaits de la pratique sportive : « C’est une bouffée d’air frais pour eux, ça leur permet d’oublier les soucis de la détention. »

Ne pouvant leur proposer une séance hebdomadaire, Younès travaille à sa manière à la réinsertion des détenus : « Pour toute activité, nous mettons en place une réglementation qu’ils doivent apprendre à respecter. C’est la même chose avec la justice à leur sortie de prison. » Ainsi, le temps de détention doit désormais être utile et non plus seulement punitif. Un coordinateur sportif de la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris confirme ce changement d’intention : « Avant, le sport était professionnel. Maintenant, nous essayons de lui donner un sens. »

Ces progrès ne sont pas suffisants, selon l’A3D : « Cela reste une initiative prise localement. Il n’existe pas de pratiques unifiées entre les établissements. Cela dépendra des budgets et de la bonne volonté des directeurs de prison. » déplore Juliette Chapelle. A La Santé, Younès estime « Être bien porté », avec des enveloppes qui permettent de renouveler régulièrement des équipements comme des paniers de basket ou des appareils de musculation. En treize années passées en prison, l’encadrant a constaté des progrès dans les moyens alloués à l’activité sportive. Mais la situation diffère à l’échelle nationale. Habituée des visites en prison, Juliette Chapelle insiste : « Nous avons reçu des retours de détenus qui nous disent que l’état du matériel est déplorable. »

Des budgets en hausse

Pourtant, les budgets du ministère de la Justice ont considérablement augmenté ces dernières années. Entre 2017 et 2027, l’enveloppe budgétaire a bénéficié d’une augmentation de 60%, selon la chancellerie. Mais l’administration pénitentiaire a vu son budget quasiment inchangé et les rares augmentations ont été utilisées pour rénover et augmenter le parc pénitentiaire.

Si le contexte olympique permet d’introduire une dose supplémentaire de sport dans le quotidien des détenus, Younès s’interroge sur « l’effet olympique » : « Est-ce que ça va durer ? J’ai peur que ça s’estompe avec le temps. » il a peur. Reste aussi à bousculer les pratiques et les mentalités pour que le sport ne soit plus relégué en prison : « Trop souvent, les détenus doivent choisir entre une activité sportive et des obligations comme le parloir, regrette le président de l’A3D. C’est un choix qu’ils ne devraient pas avoir à faire. »

Alors que le cours de boxe avec Fatia Benmessahel s’est terminé plus tôt que prévu, Younès et ses collègues décident de laisser un répit aux détenus avant leur retour en cellule. Un match de football est improvisé. L’un des détenus n’a pas la chance de participer, un gardien de prison vient le chercher pour l’accompagner au parloir. Déçu, il lâche juste avant de pousser la porte du gymnase : « Vous gâchez mon seul plaisir de la semaine. »

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Le sport en prison, une pratique qui se développe

Depuis 2004, l’administration pénitentiaire et une vingtaine de fédérations sportives (football, pétanque, athlétisme…) se sont associées pour permettre l’accès à la pratique sportive régulière en prison.

Les sports en prison sont encadrés par des moniteurs sportifs appartenant à l’administration pénitentiaire. Aujourd’hui, le ministère de la Justice en compte environ 400. Il s’agit d’agents de maîtrise qui ont suivi une formation spécifique pour obtenir cette autorisation. La politique sportive de l’administration pénitentiaire est pilotée par un référent national « sport », dont les orientations sont relayées par des référents régionaux.

A un an des Jeux de Paris 2024, le Comité régional olympique et sportif du Grand Est a organisé, en juin 2023, les « Jeux de la prison », une Olympiade des détenus. 120 détenus issus de plusieurs prisons alsaciennes (Lutterbach, Elsau, Ensisheim, Oermingen) ont été réunis au centre pénitentiaire de Mulhouse pour participer à cet événement sportif.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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