Les jeunes sont-ils vraiment de plus en plus touchés par le cancer ?
Longtemps considéré comme un « vieux » problème, le cancer progresse chez les jeunes, y compris en France, même s’il reste à des niveaux bien inférieurs à ceux des seniors. Un phénomène complexe à expliquer pour les spécialistes.
Chaque jour, la clinique de Cathy Eng se remplit de patients en apparence « en parfaite santé ». Une marathonienne de 32 ans, une mère de deux enfants de 27 ans… Leur point commun ? Elles sont jeunes et atteintes d’un cancer.
« Malheureusement, beaucoup de mes patients ont entre 35 et 49 ans », déplore ce professeur d’oncologie et d’hématologie basé dans le Tennessee (Etats-Unis), également responsable du programme « cancer et jeunes adultes » au centre Vanderbilt-Ingram. « J’ai même reçu des patients âgés de 16 à 32 ans, ce qui est très inquiétant. »
Au cours des derniers mois, le Les études scientifiques se succèdent sur la question du cancer chez les « jeunes », avec autant d’exemples retentissants, comme l’annonce de la maladie touchant la princesse Kate Middleton (42 ans), Caroline Receveur (36 ans) ou encore le regretté Chadwick Boseman (décédé à 43 ans). Un phénomène mondial mais aussi français.
« Globalement, on observe une augmentation du nombre de cancers liée à la croissance de la population et à son vieillissement », souligne Lionel Lafay, responsable du département d’observation et de documentation de l’Institut national du cancer. Or, on le sait, « le cancer est avant tout une maladie qui se développe avec l’âge ».
Un chiffre sensationnel a cristallisé les inquiétudes : un article publié en septembre 2023 dans le Journal médical britannique L’article évoquait une augmentation de 79% des cas de cancer chez les jeunes en 50 ans. Sauf que l’article, loin du consensus scientifique, ne prenait pas en compte l’augmentation de la taille de la population sur la même période, son vieillissement ou l’évolution des politiques de dépistage.
Certains cancers sont en déclin, d’autres en augmentation
Les statistiques officielles montrent que le fléau progresse dans toutes les tranches d’âge – depuis bien avant la pandémie et ses vaccins, malgré les plus complotistes. Parmi les Français de 15 à 40 ans, notamment les femmes, on observe une augmentation du nombre de cas d’environ 1% chaque année depuis les années 1990.
Dans le détail, en 2023, Santé publique France a recensé « 969 nouveaux cas de cancer chez les 15-19 ans (487 adolescents et 482 adolescentes) et 1 335 nouveaux cas chez les 20-24 ans (608 hommes et 727 femmes) ». Une goutte d’eau dans l’océan – à peine 0,5% – par rapport aux 433 000 cas recensés cette année-là dans la population générale.
Hausse inquiétante ou croissance marginale ? Difficile d’apporter une réponse globale, car les « jeunes » ne constituent pas une population homogène. Sans compter que les différents cancers connaissent des évolutions différentes, avec des causes tout aussi multiples.
Certains pourraient constater une diminution. C’est le cas par exemple du cancer du poumon, dont l’incidence semble diminuer – chez les hommes plus que chez les femmes. Nicolas Boissel, chef de l’unité adolescents et jeunes adultes du service d’hématologie de l’hôpital Saint-Louis (AP-HP) pointe l’effet bénéfique de la lutte contre le tabagisme.
« Certains cancers sont également en baisse grâce aux mesures de prévention, comme le cancer du col de l’utérus, grâce au vaccin contre le VPH », note-t-il. « Certains pays connaissent une diminution drastique de ces cancers. »
Les cancers colorectaux, du sein, de la vessie, du rein et de l’intestin, quant à eux, semblent progresser de manière significative. « Le cancer colorectal devrait être la principale cause de décès par cancer chez les jeunes adultes de moins de 50 ans aux États-Unis », regrette Cathy Eng, une sommité dans le domaine.
Notre alimentation est-elle à blâmer ?
En principe, l’âge est le premier facteur déterminant de l’apparition d’un cancer. Mais dans ce cas, comment expliquer la maladie d’un jeune de vingt ou trente ans ? La littérature scientifique n’a pas spécifiquement mis en évidence la question de l’hérédité génétique dans cette augmentation des cancers chez les jeunes. Les causes semblent donc être environnementales (alimentation, sédentarité, exposition à des produits…)
Les scientifiques s’intéressent surtout aux États-Unis, où la hausse de ces diagnostics a commencé plus tôt qu’en France. Et ce, alors qu’une autre épidémie frappait le pays : l’obésité.
« Les cancers digestifs sont particulièrement liés à l’alimentation, notamment déséquilibrée, et au surpoids », rappelle Lionel Lafay.
« On sait depuis les années 1980 et 1990 que le surpoids et l’obésité infantiles ont vraiment beaucoup augmenté et que cette pathologie a tendance à persister à l’âge adulte. C’est un élément qui pourrait expliquer ces cancers chez les jeunes adultes », avance le directeur de l’Institut national du cancer.
La maladie prend des années à se développer. L’obésité, le surpoids et une alimentation déséquilibrée, « sont chacun responsables de 19 000 nouveaux cas de cancer » en France chaque année.
Nos régimes hypercaloriques et les produits ultra-transformés que nous consommons pourraient-ils expliquer en partie la recrudescence des cancers digestifs ? Certains signaux d’alarme ont déjà été tirés et certains produits font d’ores et déjà l’objet de consignes de sécurité au titre du principe de précaution.
En 2022, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) a par exemple recommandé de réduire au maximum la consommation de nitrites et de nitrates, largement utilisés dans la charcuterie, en raison de « l’association » entre cette molécule et les cancers colorectaux. Un exemple parmi tant d’autres d’additifs régulièrement dénoncés par les études, mais d’autres produits plus « naturels » comme la viande rouge font également polémique.
Facteurs environnementaux?
Mais notre alimentation n’est pas à elle seule la clé de l’énigme. « Pour le cancer du pancréas, en légère augmentation chez les jeunes, alors qu’il se développe généralement vers 70 ans, on ne peut pas exclure, outre un meilleur diagnostic (…) une exposition à des facteurs de risque environnementaux, peut-être des pesticides », note Lionel Lafay. « Cette hypothèse mérite d’être investiguée. »
Dans le cas précis du cancer du sein, des « facteurs hormonaux » entreraient également en jeu. Une puberté précoce ou le fait d’avoir eu son premier enfant tardivement pourraient jouer un rôle. « En fait, une exposition longue aux hormones (naturelles, ndlr) est un facteur de risque », expliquait en juillet 2023 à BFMTV.com Florence Coussy, spécialiste du cancer du sein à l’Institut Curie. L’intervalle entre les premières règles et la ménopause, pendant lesquelles le corps est exposé aux hormones naturelles, s’allonge, un facteur de risque avéré.
La consommation d’alcool peut aussi expliquer plusieurs cancers chez les jeunes. Certes, globalement, de moins en moins de Français boivent régulièrement (39 % en ont consommé chaque semaine en 2021, selon Santé publique France). « En revanche, le phénomène de consommation excessive occasionnelle » ou « binge drinking » est « devenu bien ancré en France » selon Lionel Lafay. Or, la toxicité de l’alcool et le risque qu’il représente sont identifiés même à faible dose, dès le premier verre.
Bref, un faisceau d’hypothèses et très peu de certitudes. Tous les spécialistes interrogés penchent pour une explication multifactorielle de ce phénomène. phénomène de cancer chez les sujets jeunes, et notons l’absence d’études suffisantes pour étayer ces conjectures. Un postulat peut cependant être dressé sur les spécificités dans le traitement de cette pathologie, moins mortelle que chez les personnes plus âgées.
« Dans la tranche d’âge 15-25 ans, 85 % des patients seront guéris du cancer », souligne le directeur de l’unité dédiée aux jeunes de l’hôpital Saint-Louis. Un taux de survie supérieur à celui de la population générale, qui varie selon les pathologies.
Ces taux de survie sont toutefois directement corrélés au stade de détection de la maladie. « Plusieurs de ces jeunes patients présentent une maladie de stade IV (la plus avancée, ndlr) parce qu’ils sont souvent mal diagnostiqués et/ou qu’ils ignorent leurs symptômes », prévient Cathy Eng.
Avec la question de la prévention spécifique aux jeunes, non concernés par les campagnes de dépistage, se pose la question de la prise en charge. Lorsque certains jeunes adultes développent des cancers « de vieux », faut-il les traiter comme des adultes ou comme des enfants ? Sur le plan médical aussi bien à proprement parler Au-delà de l’accompagnement, le cancer chez les 15-24 ans nécessite une approche à double sens selon les spécialistes.
« Les jeunes sont une population fragile et plus vulnérable « Les personnes âgées sont plus vulnérables au cancer que les personnes plus âgées. Elle est à mi-chemin entre l’enfance et l’âge adulte, en phase de construction. Or, on sait que les traitements contre le cancer ont un impact très particulier sur cette population », insiste le directeur de l’unité dédiée à l’hôpital Saint-Louis.
En France, depuis deux décennies, il est recommandé qu’un jeune patient est suivi par des professionnels de soins adultes ainsi que par des pédiatres. Un double suivi qui permet de s’adapter aux patients dont les besoins ne pourraient être compris par un seul spécialiste plus habitué aux sexagénaires. Un suivi spécifique est également mis en place pour apporter des informations sur les questions de fertilité, le suivi éducatif et même le retour au travail. Une vie après le cancer.