Les forêts allemandes ne captent plus le CO2, pire elles en émettent
La chaîne de montagnes du Harz fait régulièrement la une des journaux. Touchée dans les années 1980 par les pluies acides, cette région de moyenne montagne située au centre de l’Allemagne est aujourd’hui l’une des plus touchées par le changement climatique.
Se promener dans le parc forestier national, l’un des plus grands du pays, composé de hêtres et d’épicéas, c’est traverser une zone en partie dévastée. En cause, des années de sécheresse exceptionnelle, de 2018 à 2020, qui ont accéléré les dégâts causés par les scolytes, ces insectes qui creusent des galeries sous l’écorce des arbres. Les deux tiers des épicéas y sont considérés comme morts.
Les forêts deviennent émettrices de carbone
Dramatique, cette situation n’est cependant pas un cas unique dans l’un des pays les plus boisés d’Europe, dont un tiers est couvert de forêts. Dans son inventaire décennal publié début octobre, le ministère des Forêts tire une conclusion sans appel. Pour la première fois, les forêts allemandes rejettent plus de CO2 qu’elles n’en absorbent, en raison de la crise climatique et de ses conséquences.
« Les forêts allemandes ne nous aident plus autant qu’avant à atteindre nos objectifs climatiques »a relevé le ministre écologiste des Forêts, Cem Özdemir, qui estime la réduction du stock de carbone dans la forêt depuis 2017 à 41,5 millions de tonnes.
Le pays semble être confronté à un cercle vicieux : sécheresses et tempêtes exceptionnelles fragilisent les arbres désormais moins résistants aux parasites. De ce fait, ils absorbent moins d’eau, accélérant ainsi la sécheresse du sol. Une fois morts, ils optimisent certes le développement d’un nouvel écosystème mais rejettent davantage de CO2 dans l’atmosphère.
De nombreux épicéas très fragiles
« En Europe, l’Allemagne et la République tchèque sont particulièrement touchées car elles possèdent beaucoup d’épicéas, très sensibles aux sécheresses. Nous ne nous attendions pas à ce qu’ils soient si mauvais, note Dominik Thom, de l’Université de Dresde. La situation est dramatique mais il faudra attendre encore plusieurs années pour comprendre les conséquences réelles de la sécheresse de ces dernières années… Si de tels événements climatiques devaient se reproduire, les effets seraient encore démultipliés. »
La présence importante d’épicéas peut s’expliquer par des raisons historiques. Après la guerre, l’Allemagne a dû payer une partie des réparations de guerre sous forme de bois. Poussant rapidement et utilisable pour la construction, l’épicéa fut privilégié et une monoculture s’établit dans le pays.
Inquiétante en soi, la situation devrait compliquer l’action de l’Allemagne pour répondre aux attentes de l’Union européenne, qui impose à ses membres d’augmenter ses puits de carbone de 15 % d’ici 2030, grâce à davantage de zones humides. et en améliorant l’état des forêts.
Pour le chercheur Dominik Thom, ces objectifs ne peuvent être atteints. « Il faut adapter la forêt pour qu’elle participe à la lutte contre le changement climatique, mais elle ne saura pas optimiser cette lutte. La forêt allemande est en train de se transformer, elle ne sera plus la même demain, mais il ne faut pas lui imposer d’objectifs politiques.» il croit.
Patience et persévérance
Malgré la mortalité rapide des arbres existants, la forêt allemande est en fait en train de changer, avec des actions ciblées de diversification des espèces. Depuis 2012, les surfaces boisées ont augmenté de 15 000 hectares et les forêts dites mixtes, de feuillus et de conifères, de 3 %. « Il faut de la patience et de la persévérance pour inverser la tendance et transformer les forêts. » note le ministre Cem Özdemir.
C’est dans ce contexte que le gouvernement propose de revoir la loi fédérale sur les forêts. Le sujet est très sensible dans un pays où 48% des superficies forestières sont aux mains de propriétaires privés et où l’industrie forestière représente 2% du PIB.
Visant, entre autres, à unifier la législation au niveau fédéral et à restreindre les coupes à blanc, cette loi est jugée trop faible par les associations environnementales, et trop stricte par les représentants des propriétaires forestiers. En Bavière, la région la plus boisée du pays, les différents partis de droite accusent le ministre vert des Forêts de « créer une atmosphère de fin du monde ». Une critique réitérée depuis la publication du dernier rapport décennal sur les forêts.