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Le projet de Donald Trump de tordre le bras à l’Europe

 » Si Donald Trump est élu, il y aura une attaque protectionniste majeure contre l’Europe. « . L’avertissement de l’ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis, Gérard Araud, donne le ton. Et pour cause, le candidat républicain ne souhaite pas seulement imposer de nouveaux droits de douane à l’encontre de la Chine (60% sur tous ses produits), du Mexique ( 500 % sur les automobiles), mais aussi et surtout 10 ou 20 % sur les produits du reste du monde. Une surtaxe importante, par rapport aux 3,3 % de droits de douane moyens pratiqués aujourd’hui par les Etats-Unis.

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«  Les droits de douane sont à mes yeux la plus belle expression du dictionnaire », a plaisanté Donald Trump lors d’un entretien devant l’Economic Club of Chicago le 16 octobre.

Rééquilibrer la balance commerciale… par la force

Selon le milliardaire, ces barrières auront des répercussions positives sur l’économie américaine.

 » Il est mercantiliste, c’est-à-dire qu’il juge le succès ou l’échec de son pays en fonction des excédents ou des déficits extérieurs. », définit Bruno Cavalier, économiste chez le gestionnaire d’actifs Oddo BHF, dans une note.

Et justement, « il veut rééquilibrer la balance commerciale entre les Etats-Unis et l’Europe », a affirmé Gérard Araud, lors d’une conférence de presse le 15 octobre. En 2023, l’Union européenne a importé 344 milliards d’euros de marchandises outre-Atlantique et en a exporté 502 milliards d’euros.

Un déficit commercial de 158 milliards de dollars insupportable aux yeux de Donald Trump. Ce dernier affirmait même en octobre que les Etats-Unis étaient « en train d’être » entuber » économiquement, et notamment par certains de leurs plus proches alliés, comme l’Union européenne. Et d’ajouter : « M.acron est un gars intelligent (…), il te volerait si tu ne faisais pas attention »

Une hostilité renforcée par le bras de fer en cours entre la Commission européenne et certains fleurons américains.  » De grandes entreprises technologiques américaines, comme les Gafam, vont se plaindre auprès de lui, affirmant que la législation européenne est hostile à leurs intérêts. On pourrait alors voir de nouvelles taxes sur les produits européens, comme le vin français », prévenait déjà l’ancien ambassadeur de France dans un entretien accordé début octobre à La Tribune.

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Un effet direct limité

Même si cette menace est préoccupante, elle pourrait en réalité s’avérer plutôt indolore à court terme.  » L’Europe est relativement peu exposée au marché américain. Les droits de douane pourraient potentiellement nuire au PIB européen de 0,2 point de pourcentage du PIB d’ici 2029, en raison de l’impact récessif de ces derniers au niveau mondial. », nuance Antoine Bouët, directeur du Centre de prospective et d’information internationale (Cepii) et auteur d’une étude sur le sujet, publiée en octobre. En comparaison, les mesures de Trump nuiraient bien plus à la Chine, qui pourrait même voir son PIB chuter de 1,3% lors du prochain mandat présidentiel selon le Cepii.

 » Certains secteurs comme l’industrie agroalimentaire et les fabricants allemands de machines-outils seront impactés. Mais il ne faut pas oublier que 68 % du commerce européen s’effectue au sein même de l’Europe. », souligne Sarah Guillou, directrice du département Innovation et Concurrence à l’OFCE.

Surtout, » L’Europe ne vend pas beaucoup de biens pour lesquels seul le prix joue un rôle. Elle produit de nombreux produits de haute qualité qui trouveront toujours acheteur même si leur prix augmente. », précise l’économiste en citant le luxe, les avions, la technologie ou encore les produits pharmaceutiques.

Une faible exposition nuancée par le cabinet de conseil Roland Berger. Il estime que le Vieux Continent subirait encore 533 milliards de dollars de pertes cumulées de PIB d’ici 2029, à comparer à une perte de 827 milliards de dollars pour la Chine.

Avalanche de produits chinois

Mais la véritable menace pourrait venir de l’Est.  » Il y a un risque d’effet billard. Les tarifs douaniers américains sur la Chine pourraient conduire Pékin à réaffecter ses excédents de production vers l’Europe », prévient l’économiste de l’OFCE.

Dans son étude, le Cepii anticipe notamment une réduction de 80 % des exportations chinoises vers les Etats-Unis d’ici 2030. Et, par effet ricochet, une hausse de 7,1 % de ses exportations vers la France et de 6,6 % vers l’Allemagne. Une avalanche de produits chinois qui risque d’étouffer la production européenne, à l’image de l’afflux massif de véhicules électriques chinois ces dernières années.

Contre-mesures

L’entourage de Donald Trump a toutefois réfuté l’idée selon laquelle l’Europe pourrait souffrir d’une guerre commerciale.  » En imposant ces mesures, nous donnons à nos alliés la possibilité de mettre en œuvre leurs propres restrictions commerciales. », voulait rassurer Nazak Nikakhtar, secrétaire adjoint à l’industrie et à l’analyse au ministère américain du Commerce sous l’ère Trump, dans un entretien avec Euractiv en juillet.

Les Vingt-Sept disposent en effet de plusieurs leviers pour se protéger.  » L’Europe va sûrement réagir pour montrer ses muscles et envoyer un message à la Chine et aux Etats-Unisanticipe Sarah Guillou. Si l’Europe subit des droits de douane, elle tentera d’abord de faire appel à l’Organisation mondiale du commerce, puis mettra en place des mesures de précaution. « . Une stratégie qu’elle a déjà testée en juillet, en imposant des droits de douane allant jusqu’à 37,5% sur les véhicules électriques chinois.

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Si sur le papier l’Europe a les moyens de se défendre, les divergences entre États membres pourraient bien menacer sa résilience.  » Les Français exigeront des contre-mesures fortes contre les tarifs douaniers américains alors que les Allemands et les Néerlandais seront plus modérés, car leurs entreprises sont plus dépendantes du marché américain. », explique Antoine Bouët. La pression viendra également du lobbying à Bruxelles.

« Certains secteurs comme le Cognac, qui exportent massivement vers les Etats-Unis, demanderont certainement à l’Europe de ne pas imposer de contre-mesures. Ils espèrent ainsi ne pas aggraver la situation et retrouver après un certain temps le libre accès au marché extérieur. », ajoute le directeur du Cepii.

Car Donald Trump est aussi connu pour sa capacité à changer rapidement d’avis. Lors de son premier mandat, l’ancien président a notamment imposé des droits de douane de 20 % sur les produits chinois en 2019, avant de les annuler suite à un accord avec Pékin en 2020. Pourtant, dans cette nouvelle guerre commerciale, les arguments ne devraient pas manquer pour revenir sur droits de douane.

Roland Berger anticipe 749 milliards de dollars de pertes cumulées sur le PIB américain entre 2024 et 2029, en raison des impôts de Trump. Le Cepii voit même l’économie américaine diminuer de 1,3% au cours du prochain mandat. De quoi donner de l’eau au moulin des arguments en faveur du libre-échange.