Le gouvernement menace les manifestants opposés à la loi sur « l’influence étrangère »
Vakhtang Gomelauri, le ministre géorgien de l’Intérieur, a mis en garde les manifestants contre « une peine pouvant aller jusqu’à quatre ans de prison ».
Plusieurs milliers de Géorgiens se sont rassemblés dimanche soir devant le Parlement à Tbilissi pour protester contre un projet de loi d’inspiration russe sur « l’influence étrangère », malgré les avertissements et les menaces du gouvernement.
Le Premier ministre Irakli Kobakhidze, puis le ministre de l’Intérieur Vakhtang Gomelauri, ont prévenu les manifestants. « Je voudrais avertir tous les membres des groupes d’opposition radicale qu’ils devront répondre de leurs actes de violence devant la justice »prévint Kobakhidzé.
Le ministre de l’Intérieur a été encore plus explicite : « Bloquer un objet d’une importance particulière dans un groupe est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à quatre ans de prison », a-t-il assuré. Et il ajouta : « Nous utiliserons cet article contre les contrevenants à la loi, sans aucune exception. »
« Nous ne voyons pas d’avenir »
Les autorités ont également présenté les manifestants, composés en grande partie de jeunes, comme des foules violentes. Mais les manifestants, menés depuis des semaines par de jeunes Géorgiens, loin d’être découragés, se sont montrés déterminés à s’opposer à un projet de loi décrié.
« En tant qu’étudiants, nous ne voyons aucun avenir avec cette loi russe », a déclaré Nadezhda Polyakova, 20 ans, née et élevée en Géorgie mais d’origine russe. Les étudiants de plusieurs universités de Tbilissi ont annoncé une grève à partir de lundi. À l’extérieur du Parlement, beaucoup ont déclaré qu’ils n’avaient pas l’intention de reculer, tout en espérant une nuit paisible.
« Je ne bougerai pas d’ici. C’est mon 35e jour de manifestation et je resterai ici toute la nuit. »» a déclaré l’étudiant Vakhtang Rukhaia. « Je suis furieux, en colère. » « Je pense que nous n’avons pas d’autre choix que d’être ici »a déclaré Ana Magradze, un médecin de 39 ans.
De son côté, la présidente géorgienne pro-UE, Salomé Zourabichvili, en conflit avec le gouvernement, a appelé les manifestants à la vigilance. « Je veux m’adresser à vous (les manifestants) pour que vous sachiez (…) Il y a des projets qui ne marcheront pas vraiment, mais il y a des projets pour organiser des provocations et vous impliquer »dit-elle sans entrer dans les détails. « Alors restez très prudent, ce qui ne veut pas dire qu’il faut avoir peur »elle a ajouté.
Un obstacle vers l’Union européenne
Le projet de loi doit passer en troisième lecture au Parlement et le président Zurabishvili devrait y opposer son veto. Le parti au pouvoir, le Rêve géorgien, dispose cependant de suffisamment de voix pour l’ignorer.
Samedi, ils étaient déjà plusieurs milliers dans le centre-ville de la capitale géorgienne, dont de nombreux jeunes, ont-ils précisé. « Non à la loi russe ! » en référence à ce texte inspiré de la législation russe utilisée par le Kremlin pour réprimer les voix dissidentes.
Le texte, une initiative du Rêve Géorgien, de la riche Bidzina Ivanishvili, est considéré comme un obstacle sur le chemin de la Géorgie vers l’adhésion à l’Union européenne, qui l’a vivement critiqué. Si elle est adoptée, la loi obligera toute ONG ou organisation médiatique recevant plus de 20 % de son financement de l’étranger à s’enregistrer en tant qu’organisation.« organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère ».
Le gouvernement assure que cette mesure vise à obliger les organisations à faire preuve d’une plus grande « transparence » sur leur financement. De nombreuses ONG du pays ont dénoncé le projet de loi, que M. Ivanishvili, 68 ans, défend avec conviction face à ce qu’il considère comme « une pseudo-élite nourrie par un pays étranger ».
Les manifestants, qui ont déjà organisé plusieurs rassemblements dans le centre-ville de Tbilissi ces dernières semaines, brandissant des drapeaux de la Géorgie et de l’Union européenne, voire des drapeaux ukrainiens, voient la main de la Russie derrière le texte.
Hautes tensions
La tension entre partisans et opposants du texte est montée d’un cran samedi, lors d’un grand rassemblement de ses détracteurs, pourtant pacifique. Car si l’opposition a affiché son unité contre le texte, le parti au pouvoir ne semble pas prêt à reculer à ce stade, provoquant une énième crise politique dans ce petit pays du Caucase habitué aux troubles.
Des représentants d’ONG ont affirmé avoir été menacés ou intimidés ces derniers jours, décrits comme« agents étrangers » par les plus fervents défenseurs de la loi.
La loi sur « l’influence étrangère » a été présentée pour la première fois par le Rêve géorgien en 2023. Mais des protestations massives avaient déjà contraint le gouvernement à la suspendre. Son retour, début avril, a créé la surprise et suscité la colère de nombreux Géorgiens, notamment les plus jeunes. Ces troubles surviennent à quelques mois des élections législatives d’octobre, considérées comme un test important pour la démocratie dans cette ex-république soviétique.
En décembre 2023, l’UE a accordé à la Géorgie le statut de candidat officiel, mais a déclaré que Tbilissi devrait réformer ses systèmes judiciaire et électoral, accroître la liberté de la presse et limiter le pouvoir des oligarques avant le lancement officiel des négociations d’adhésion.