le deuil interdit à Hong Kong, 35 ans après
« Chaque année, la veille du 4 juin, j’ai des maux de tête, des crampes d’estomac et je n’arrive plus à dormir. » A 60 ans, Aline (1) n’a toujours pas trouvé la tranquillité d’esprit. Militante des droits humains à Hong Kong, elle s’est rendue sur la place Tian An Men à Pékin au printemps 1989 pour soutenir les étudiants chinois en révolte.
« Je suis rentré à Hong Kong début juin et quand j’ai appris que l’armée avait tiré sur les jeunes, je me suis effondré de colère. » Trente-cinq ans plus tard, elle reste traumatisée, d’autant que les commémorations annuelles en hommage aux victimes sont totalement interdites à Hong Kong depuis 2020. C’était pourtant le seul endroit sur le territoire chinois où l’on pouvait ouvertement marquer la date du 4 juin. 1989.
« Le parc Victoria où nous nous réunissions chaque année depuis 1990 pour une veillée aux chandelles est aujourd’hui complètement bouclé par la police, les stations de métro strictement gardées… Chacun devra pleurer Tian An Men en toute intimité », » se désole aujourd’hui Aline qui maudit cette loi sur la sécurité nationale imposée par Pékin et qui a définitivement mis fin à la moindre référence au massacre du 4 juin à Pékin. « Xi Jinping veut nous faire oublier cette page tragique de l’histoire chinoise mais il aura du mal à nous faire un lavage de cerveau à Hong Kong »dit-elle encore.
Page blanche d’un hebdomadaire
En guise de protestation, le Temps chrétiens a laissé sa Une presque vide dans son édition de la première semaine de juin. L’hebdomadaire chrétien écrit qu’il ne peut pas « répondre à la situation actuelle en remplaçant les paragraphes par des blancs »dans cette société devenue si « contraignant ». « Ces dernières années, la société de Hong Kong a radicalement changé »précise l’éditorial de Temps chrétiensqui publie habituellement des articles liés à l’anniversaire de Tian An Men en juin. « Même une prière, si elle s’appuie sur des souvenirs historiques, peut poser problème »il ajoute.
Nouvelles arrestations
Conséquence : à Pékin les nouvelles générations ignorent tout des événements de juin 1989, et les mesures de sécurité restent modestes à la veille de cet anniversaire très sensible. En revanche, à Hong Kong, les autorités sont zélées et ne veulent prendre aucun risque même si l’entreprise est étroitement surveillée. Une huitième personne a été arrêtée lundi à Hong Kong, en lien avec une deuxième loi sur la sécurité nationale entrée en vigueur en mars, pour des messages diffusés sur les réseaux concernant le 35e anniversaire de la répression de la place Tian An Men.
Il s’agit d’un homme de 62 ans, soupçonné de messages « à caractère séditieux », le même délit que celui cité pour d’autres arrestations, passible d’une peine pouvant aller jusqu’à sept ans de prison. Six personnes arrêtées mardi, et une septième mercredi, avaient publié des messages sur une page Facebook liée à 1989.
L’Union européenne, les États-Unis, le Japon et le Royaume-Uni ont exprimé leurs inquiétudes face à cette nouvelle loi. Elle prévoit des peines de prison pouvant aller jusqu’à la perpétuité pour cinq catégories de crimes, dont la trahison, l’insurrection, l’espionnage, le sabotage et l’ingérence extérieure.
(1) Le prénom a été modifié.