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Le cinéaste Emir Kusturica, un soutien fidèle de Vladimir Poutine

L’immense table du Kremlin avait déjà servi de lieu de discussions entre Vladimir Poutine et son homologue français. Le président russe avait mis beaucoup de distance entre lui et Emmanuel Macron lors de la visite de ce dernier à Moscou il y a deux ans. Le 2 avril, le maître du Kremlin ne se tenait pas si loin de son hôte. Le leader et le cinéaste Emir Kusturica se connaissent, comme l’artiste l’a rappelé au début de l’interview, dans une vidéo diffusée par le Kremlin. Les deux hommes se sont notamment vus lors du voyage de Vladimir Poutine à Belgrade en 2019, puis au Forum de Saint-Pétersbourg. Lors de leur rencontre à Moscou, le réalisateur a annoncé au président qu’il souhaitait réaliser trois films pour glorifier la grande culture russe, basés sur des œuvres de Dostoïevski, Gogol et Tolstoï.

Surtout, Emir Kusturica a fait une véritable déclaration d’amour à Vladimir Poutine, dans un russe grandiloquent. « Je tiens à vous remercier pour votre position juste, personnelle et historique, qui n’a pas toujours été aussi visible parmi nous, Slaves. Ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine est pour nous un combat. Nous qui avons vu ce qui s’est passé avec ces Banderites croates lorsqu’ils ont expulsé 230 000 Serbes. Je pense que cette analogie est très importante pour nous« .

Le réalisateur, fidèle partisan des nationalistes serbes

Le cinéaste a ainsi comparé les séparatistes croates aux Ukrainiens, les ennemis de la Serbie à ceux de la Russie. Il faut rappeler qu’Emir Kusturica a toujours soutenu Slobodan Milosevic, l’ancien président serbe, décédé en 2006 au centre de détention du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye (Pays-Bas), avant d’être jugé pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.

Les films du cinéaste, auréolés de deux Palmes d’Or à Cannes »a valu à Emir Kusturica l’approbation sans réserve d’une grande partie de la critique française et européenne, sans aucune attention pour ses positions politiques », s’insurge Jean-Michel Frodon, professeur à Science Po Paris et critique de cinéma. Pourtant l’artiste « Il soutient depuis longtemps des positions extrémistes pro-serbes en ex-Yougoslavie. Il n’est pas question ici de séparer l’homme de l’œuvre. Cette dernière est porteuse de messages de pouvoir, de domination, de virilisme. »

LSD, la série documentaire

58 minutes

En 1995, Emir Kusturica a gagné, avec Souterrain, sa deuxième Palme d’Or à Cannes. Les archives utilisées dans le film montrent des foules slovènes et croates applaudissant l’occupant allemand. Les Serbes sont présentés comme des résistants. En France, des voix se sont élevées pour affirmer qu’il s’agissait de propagande pro-serbe, notamment celles des philosophes Alain Finkielkraut et Bernard Henry Lévy. « Oui, il y avait des pro-nazis parmi les Croates, les Bosniaques, les Serbes, des gens qui avaient peur, qui se sont écrasés. Oui, il y avait des Croates résistants, dont Tito, des Serbes résistants, des Bosniaques résistants. Mais si l’on induit, même poétiquement et en buvant, de manière populaire, ludique et balkanique, que les ennemis étaient liés aux nazis, c’est de la propagande.« , explique l’anthropologue Véronique Nahoum Grappe.

Le cinéaste a été dévasté par l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 1990. Emir Kusturica est né dans une famille musulmane bosniaque à Sarajevo. Puis il s’est converti à l’Orthodoxie en 2005. « Il a affirmé que sa famille était bosniaque mais qu’ils étaient orthodoxes serbes avant que les Turcs ne les forcent à se convertir à l’islam. » poursuit Véronique Nahoum-Grappe. « Emir Kusturica est pro-Milosevic parce qu’il estime que la Bosnie est serbe et orthodoxe. C’est la même position que celle de Vladimir Poutine qui considère que l’Ukraine n’est pas ukrainienne mais russe.« 

Le critique Jean-Michel Frodon, ancien journaliste du Monde et ancien directeur de la rédaction des Cahiers du cinéma, explique également la fascination que suscite le cinéaste avec son « posture transgressive et anarchiste. Émir Kusturica  » revendique son soutien aux altermondialistes et à Che Gevara. Il a donné des concerts avec son groupe No Smoking Orchestra, avec cette posture d’éternel rebelle libertaire alors qu’en réalité, il incarne les approches les plus autoritaires. Il s’agit d’un milliardaire qui construit un sorte de parc d’attractions serbe béni par le patriarche orthodoxe« .

Un « Disneyland du nationalisme serbe » en Bosnie orientale

C’est le cas à Visegrad, située en Republika Srpska, l’une des deux entités qui composent la Bosnie depuis les accords de Dayton (1995) qui ont mis fin à la guerre. Emir Kusturica a construit une ville dans la ville, Andricgrad, en hommage au prix Nobel de littérature bosniaque, Ivo Andric. Selon Florence Hartmann, ancienne journaliste du Monde et ancienne porte-parole du parquet du TPIY, « des exécutions ont eu lieu à l’endroit précis où cette fausse ville a été construite, sur les rives de la Drina, principalement en mai et juin 1992. Les hommes ont été arrêtés par le milicien Milan Lukic – qui a été condamné à la prison à vie pour crimes contre l’humanité et guerre crimes en 2009 – et le sien, Radomir Susnjar qui vivait paisiblement à Saint-Denis, en région parisienne, jusqu’à son extradition en 2018. Au début de l’été 1992, Visegrad, comme les autres villes de la Drina, est vidée. de ses habitants bosniaques, des milliers d’hommes ont été tués dans chacune de ses villes, parfois des familles entières, de nombreuses femmes ont été violées.« .

Une histoire particulière

59 minutes

Hikmet Karcic, politologue de Sarajevo et autorité en matière d’étude des crimes de guerre, explique que« En 1992, l’armée yougoslave a raflé sur place la population bosniaque. On a séparé les hommes des femmes, il y a eu des exécutions. Nous parlons d’une ville où, aujourd’hui, les autorités n’autorisent pas la construction de monuments en hommage à les victimes, comme à l’hôtel Vilina Vlas où 200 femmes et jeunes filles ont été violées. L’objectif de la construction est de montrer à quoi aurait ressemblé Visegrad si les musulmans n’y avaient jamais vécu. Beaucoup y voient une sorte de Disneyland du nationalisme serbe. , avec des peintures murales de Vladimir Poutine ou Milorad Dodik« .

Milorad Dodik, le leader politique des Serbes de Bosnie, est considéré comme l’homme de Vladimir Poutine en Europe. Le cinéaste et le leader ultranationaliste affichent leur amitié depuis des années. Selon Florence Harmann, «Emir Kusturica participe activement à la construction d’un récit national épuré de tous les crimes commis. Le directeur du déni.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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