La première Université de la Paix de Humanité s’est déroulée au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), le 25 mai 2024. Organisée dans le cadre des 120 ans du journal fondé par Jean Jaurès, elle a été l’occasion d’un échange entre le secrétaire général de CGT, Sophie Binet, et le spécialiste des relations internationales, Bertrand Badie. Elle a montré l’importance des crises sociales et environnementales comme facteurs de déstabilisation du monde et le rôle crucial des mobilisations populaires dans la construction de la paix.
Bertrand Badie, quel lien unit aujourd’hui enjeux sociaux et conflits internationaux ?
Bertrand Badié
Professeur émérite à Sciences-Po Paris, spécialiste des relations internationales
BB : Aujourd’hui, le social va plus vite que le politique, notamment à l’échelle internationale. Les guerres sont désormais d’origine sociale. La solution aux conflits est également sociale. C’est la dynamique de la société civile et en particulier de sa jeunesse qui est capable de remettre les pendules à l’heure dans le monde. Autrefois, la guerre était une question de rivalité entre puissances.
Thomas Hobbes a présenté la guerre comme la relation normale entre États. La paix est aussi une question d’équilibre des pouvoirs. Lorsque le système des Nations Unies a été créé, il reposait sur cet équilibre. Tout cela est fini, au point qu’il existe aujourd’hui deux systèmes internationaux : un véritable système international d’extraction sociale et un système international fictif qui n’est que la projection du Vieux Monde.
Le hiatus permanent entre ces deux systèmes est à l’origine non seulement de conflits mais aussi de l’impossibilité de trouver des solutions aux conflits. Lorsque la guerre moderne a été inventée dans le contexte de la naissance des États-nations, au XVIee siècle, ceux qui faisaient la guerre étaient des voisins, des êtres humains, de poids et de puissance comparables.
La guerre était l’affaire des nobles. Les gens ont été touchés par la guerre à travers des raids, des famines ou des épidémies. Durant la Révolution française, la guerre fait l’objet d’une première appropriation sociale avec le soulèvement de masse. Cela a été immédiatement corrigé par le nationalisme et le patriotisme qui ont poussé à un alignement strict des peuples sur les États.
Comment la question sociale est-elle devenue centrale ?
