La Nouvelle-Aquitaine ajoute 8 millions d’euros à ce projet colossal
La société Flying Whales vient d’obtenir huit millions d’euros supplémentaires de la région, pour un projet contesté de dirigeable géant dont la faisabilité technique doit encore être démontrée.
Le Figaro Bordeaux
On ne sait pas encore s’il s’agit d’un rêve ou d’un cauchemar. En Gironde, la start-up française Flying Whales (« Flying Whales») souhaite installer une usine pour fabriquer des ballons dirigeables géants de 200 mètres de long et 50 mètres de diamètre, fonctionnant à l’hélium et capables de transporter jusqu’à 60 tonnes. Un projet structurant pour la région, prometteur de 300 emplois directs et de moins de camions sur les routes. Ces machines ont pour objectif de « révolutionner le transport de fret aérien » et pourrait « désenclaver les territoires isolés » avec comme premier marché « transport de matériel pour les énergies renouvelables »comme les pales d’éoliennes.
Mais quelques ombres subsistent, car pour construire son usine à Laruscade, la société Flying Whales envisage, avec le soutien financier de plus en plus important de la région Nouvelle-Aquitaine, de défricher environ 58 hectares de forêt, au milieu des sites Natura 2000. La réalisation technique de ces dirigeables géants et leur utilité pour accomplir les missions spécialisées qui leur sont confiées soulèvent encore de nombreuses interrogations. Même si le projet est contesté sur sa faisabilité et son impact environnemental, la région vient d’allouer huit millions supplémentaires.
Alain Rousset, président socialiste de la région depuis 1998, n’a jamais caché son « gourmandise » pour ce projet, qui pourrait remplacer certains camions sur les routes par des ballons géants et créer plusieurs centaines d’emplois sur un territoire « en déclin significatif ». Lors du conseil régional, réuni en assemblée plénière les 13 et 14 juin, le baron socialiste a rappelé que ces dirigeables seraient « quelque chose d’assez magique ». Une cupidité partagée par presque toutes les formations politiques de la région. Isabelle Taris, conseillère régionale communiste, voit par exemple dans « la vision futuriste d’un moyen de transport aérien géant et non polluant » quelque chose de « tout aussi époustouflant que l’envoi de la première fusée sur la lune a dû l’être ».
« Un turnover important d’ingénieurs »
Le groupe centriste de la région soutient également cette usine mais aurait souhaité que les discussions qui s’y rapportent se fassent en assemblée plénière et non lors de commissions permanentes, en commissions restreintes. L’élue MoDem Pascale Requenn a déposé un amendement en ce sens lors de la dernière assemblée plénière, estimant qu’il ne s’agit pas « un petit projet mais un projet de grande envergure, innovant et structurant », qui devrait être débattu en plein jour. Le Rassemblement national – qui apporte son soutien de principe à ce projet – et les élus écologistes, qui émettent pour l’instant plusieurs réserves, ont tous deux soutenu cet amendement qui a été rejeté.
Lors de cette plénière du conseil régional, outre le vote de l’augmentation de l’enveloppe de 22 à 30 millions pour financer le développement de la zone d’activité économique de Laruscade, une enquête de la cellule d’investigation de Radio France, publiée en mai, a été évoquée à plusieurs reprises. fois. Elle donne la parole aux experts qui s’interrogent sur la faisabilité de ce projet, qui a déjà engrangé 90 millions d’euros d’argent public.
Pour la centriste Pascale Requena, cette enquête serait « un peu un fardeau »car d’anciens salariés s’y expriment, mais attesterait que cela reste « quelques incertitudes ». L’élu écologiste régional Didier Damestoy cite à son tour cette enquête sur les Baleines volantes, « qui connaîtrait un turnover important dans ses équipes d’ingénierie, car celles-ci quitteraient le navire après avoir été convaincues que ce projet ne pourrait pas aboutir ».
Le choix du site de la future usine critiqué
Le 19 octobre, l’Autorité environnementale (AE) de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable, contactée par la préfecture, avait déjà rendu un avis qui tempérait les ardeurs du président de région et de ses partisans. Selon l’AE, le projet tel qu’il a été présenté aurait « un impact très fort sur le patrimoine régional », nécessitant la destruction de 58 hectares d’habitats naturels, dont 90 % de milieux boisés. 32,5 hectares de zones humides pourraient également être concernés par les travaux, alors même que leur protection est un enjeu vital pour le climat.
Face à ces risques sur le milieu naturel et la biodiversité, l’AE a donc proposé une solution drastique : choisir un autre site que celui actuellement envisagé à Laruscade pour l’implantation de l’usine. La région se défend cependant en expliquant que parmi les cinq sites potentiels identifiés, trois ont été rejetés par la Direction générale de l’aviation civile et que le quatrième n’a pas été accepté par la commune où il était implanté. Enfin, Flying Whales précise prudemment que « le site de Laruscade doit être investi avec les précautions nécessaires pour protéger les écosystèmes ».
La tentation du « greenwashing »
L’élu écologiste Didier Damestoy a néanmoins rappelé qu’outre l’AE, le Conseil économique, social et environnemental de Nouvelle-Aquitaine (CESER) a également rendu un avis, quelques jours avant la réunion du conseil régional, avec plusieurs questions : sur la faisabilité technologique de ces dirigeables géants, sur le marché qui serait concerné par ce type de fret, sur le nombre exact d’emplois créés, et a exprimé à son tour certains doutes sur « le niveau de maturité technologique du projet »car les réponses envoyées aux questions des membres du CESER seraient en partie « contradictoire ».
L’organisme consultatif s’interroge également sur le bénéfice environnemental de ce projet, rappelant que « mesures d’évitement » la destruction des espaces naturels doit être recherchée en priorité, « avant d’envisager des mesures pour réduire puis éventuellement une compensation ». L’argument de la restauration d’une partie des surfaces détruites pour y installer l’usine est en effet régulièrement défendu, par l’aménageur comme par Alain Rousset, ce qui peut être assimilé à une forme de greenwashing (ou « greenwashing »).écoblanchiment« ), consistant à dire que raser une forêt entière ne serait pas si dommageable puisqu’un ruisseau serait renaturé et de jeunes arbres plantés ailleurs.
Un projet à 150 millions d’euros
Flying Whales affirme à cet égard que différents « axes d’amélioration dans le dossier de demande d’autorisation environnementale » ont été « retravaillé pour répondre aux exigences des services de l’État »afin de fournir « un fichier de qualité encore supérieure » pour rendre le projet acceptable. « Dire qu’innover n’est pas facile, c’est une évidence »» rappelle l’entreprise face aux doutes persistants sur la maturité technologique de ces dirigeables géants. « C’est la vie normale d’un projet de ce type de faire face à des complexités techniques, technologiques et opérationnelles, mais les obstacles avaient été identifiés et la logique de développement construite en conséquence. »
Flying Whales espère cependant obtenir le permis de construire fin 2024 et lancer la construction de l’usine d’ici 2025. Un projet estimé à 150 millions d’euros, financé par des investisseurs privés à qui l’entreprise versera un loyer. Un premier dirigeable pourrait être assemblé dès 2026 et les premières opérations commerciales réalisées en 2028. Un calendrier ambitieux, pour un projet pharaonique dont la réalisation semble encore incertaine, malgré le soutien de la Nouvelle-Aquitaine.