La montagne n’est pas un parc d’attractions pour riches !
Aujourd’hui, la montagne est comme comme tout produit commercial. Ses sommets éthérés sont la nouvelle proie de nos orgueil, de nos envies de conquête et de performance. La nature est devenue instagrammable. Un lieu de mise en scène et d’ego.
On a appris cette semaine que le YouTubeur Inoxtag, 22 ans, aurait réussi l’ascension de l’Everest. Un défi qu’il s’était lancé comme un grand jeu, une forme d’excellence sportive pour la modique somme de 1,2 million d’euros. Dans le même temps, les embouteillages atteignent les sommets himalayens. Le Népal a délivré près de 500 permis en 2024 pour l’ascension de l’Everest malgré les risques encourus. Des files de grimpeurs s’alignent le long du mur. Avant même d’atteindre le sommet, 40 000 personnes se rassemblent désormais chaque année au premier camp de base, à 5 300 mètres d’altitude, comme nous le rappelions en mars 2023.
La logique du néolibéralisme à son apogée
La haute montagne est devenue le parc de loisirs des ultra-riches. Le lieu où ils déploient leurs nouveaux caprices destructeurs et polluants. Les pionniers poussent la logique du néolibéralisme jusqu’à son paroxysme. Pour un selfie sur le toit du monde, ils sont prêts à abandonner toute forme de responsabilité collective : ils transforment la montagne en décharge, abandonnent leur matériel, leurs excréments et même les cadavres de leurs compagnons qui n’ont pas résisté à cette épreuve physique extrême.
Comme l’époque d’Élisée Reclus et des amoureux sincères de la montagne semble lointaine. Un temps de contemplation et de mesure paisible. Dans son Histoire d’une montagne (1880), le géographe libertaire raconte sa passion et son respect pour ces espaces infinis, ces chaos de roche et de glace. « Nous vivons comme des pucerons sur la peau d’un éléphant »a-t-il écrit, avant d’inviter à l’humilité.
Il serait bon aujourd’hui de s’en souvenir. Dans La partie sauvage du monde (Seuil, 2018), la philosophe Virginie Maris s’insurge contre l’idée selon laquelle tout espace naturel devrait désormais être appropriable. Avec cette histoire finalement rebattue, cette triste répétition du fantasme de toute-puissance, l’humanité a aboli la Terre comme altérité.
On n’est pas partout à la maison
« L’idée que la Terre entière est en expansion, disponible, habitable, appropriable est une idée si étrange qu’elle pourrait être le produit d’un esprit malade. »affirme-t-elle, avant d’ajouter : « Il faut savoir habiter la Terre mieux, plus sobrement, avec plus de bienveillance envers le vivant non humain et en prenant soin des paysages. Mais peut-être faut-il aussi accepter de se limiter, de restreindre notre territoire ».
Il s’agit de lutter contre l’habitation totale et de limiter l’empire humain. Nous ne sommes pas partout chez nous. Éthiquement, nous n’avons pas le droit d’absorber la nature et de la développer sous tous ses aspects.
Nos récits d’aventures doivent changer
C’est peut-être la leçon des écologistes. Derrière l’apprentissage de l’humilité se cache aussi une question d’émancipation. Nous ne nous libérons jamais seuls. C’est dans une connexion physique avec les éléments, dans une cohérence et une attention avec le vivant, que l’on peut construire une société meilleure. Et pas dans son écrasement.
Dans son dernier livre, L’inexploré (Wildproject, 2023), Baptiste Morizot nous exhorte à changer nos mythes et nos récits d’aventures. À l’ère de l’Anthropocène, à l’heure où les glaciers fondent et où les roches se détachent à cause du réchauffement climatique, notre imaginaire doit changer. Quel sens y a-t-il à vouloir se dépasser dans un monde qui s’effondre, dans un monde qui s’effondre ? ?
Il faut s’émerveiller ailleurs. « L’inexploré ne se situe plus dans des terres lointaines et désertesdécrit Baptiste Morizot. L’inexploré est le tissage des êtres vivants entre eux et avec nous, sous nos pieds, dans leurs dimensions éthologiques, écologiques et évolutives, historiques, sociales et politiques. Les relations sont inexplorées. Dans et avec le vivant ».
« Affects exploratoires débellicisants, déphallocratisants, désexotisants »
Les effets exploratoires portés par l’Occident et la modernité sont destructeurs. L’aventurier est l’éclaireur du colonialisme et de l’impérialisme. Il suffit de voir aujourd’hui comment sont traités les Sherpas, prêts à mourir pour le plaisir de leurs riches clients. Alors, il est temps de « débelliciser, déphallocratiser, désexotiser et démocratiser l’affect exploratoire », selon les mots de Baptiste Morizot, pour le réaffecter ailleurs. Atterrir à nouveau, en bref. Dans l’infiniment petit, la douceur du quotidien, la curiosité face à la puissance vibrante de la vie. Regarder la montagne non plus d’en haut, mais de notre véritable place. Ci-dessous, de la matrice terrestre.
Cette préoccupation émerge dans les luttes écologistes. En occupant le glacier de la Grave contre un projet de téléphérique l’automne dernier, les Soulèvements de la Terre ont affirmé que tous les territoires n’étaient pas destinés à être aménagés. Dans un film en cours de réalisation, le YouTubeur Vincent Verzat nous appelle également à réenchanter notre regard. Il vous invite à explorer le monde vivant à l’extérieur de votre maison, dans les espaces que nous lui laissons. Partez à l’aventure devant votre porte et soyez à l’affût.