La marine américaine prend des mesures pour se préparer à une éventuelle confrontation avec la marine chinoise en 2027
En mai dernier, le Government Accountability Office (GAO) n’avait pas trouvé de mots assez durs pour la marine américaine, qu’il tenait pour responsable du retard de trois ans dans l’exécution de son programme de frégates de nouvelle génération, baptisé « Constellation », qui devrait coûter la bagatelle de 22 milliards de dollars.
Pour rappel, ces futurs navires devaient être conçus sur le modèle italien de frégate multimissions (FREMM). Cependant, les exigences de l’US Navy ont considérablement modifié la conception initiale, d’où les appréciations peu favorables du GAO à son égard.
« Des pratiques inadéquates (…) et des mesures bâclées sur lesquelles le programme de frégates continue de s’appuyer ont (…) contribué à lancer prématurément la construction du premier navire avant que la conception ne soit suffisamment stable pour soutenir cette activité », a-t-il déclaré.
Jusqu’à présent, seules six frégates de classe « Constellation » ont été commandées, l’objectif étant pour l’US Navy de remplacer ses navires de combat littoral (LCS – Littoral Combat Ship) qui n’ont jamais donné satisfaction, ce qui leur a valu le surnom de « Little Crappy Ships ».
Lancé au début des années 2000 pour un montant alors estimé à 37 milliards de dollars, le programme LCS prévoyait de doter l’US Navy de 52 navires rapides rendus polyvalents en y ajoutant des « modules de mission » en fonction des tâches qui devaient leur être assignées (lutte anti-sous-marine et anti-navire, déminage, renseignement, surveillance côtière, opérations spéciales). Et le tout avec un équipage réduit à 40 marins. Mais ce concept, qui reposait sur deux modèles de bateaux, ne s’est finalement pas révélé le plus pertinent. Après avoir réduit sa commande à 35 unités, l’US Navy a déjà déclassé plusieurs unités, dont l’USS Sioux City, qui n’avait guère plus de cinq ans de service.
Plus généralement, les choix technologiques risqués auront coûté cher à la marine américaine. Le cas des destroyers de la classe Zumwalt est emblématique. Ayant la signature radar d’un bateau de pêche malgré ses 15 480 tonnes de déplacement pour 185,6 mètres de longueur et 24,4 mètres de largeur, ce navire peut produire assez d’énergie pour alimenter 78 000 foyers en électricité. De plus, il était prévu qu’il mette en œuvre un canon électromagnétique (depuis remisé). L’US Navy espérait en avoir 24… Elle n’en aura finalement, au mieux, que trois, les coûts ayant atteint le niveau « stratosphérique » de 2,4 milliards de dollars par unité en 2016.
Outre ces impasses technologiques, l’US Navy doit également faire face aux difficultés de l’industrie navale américaine (pénurie de main d’œuvre, problèmes d’approvisionnement, capacités de production insuffisantes…). Des difficultés qui ralentissent les livraisons de nouveaux navires – comme les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de classe Virginia – mais aussi le maintien en état de préparation opérationnelle (MCO) des unités déjà en service.
Ainsi, récemment, le porte-avions USS George Washington a été immobilisé pendant six ans tandis que l’arrêt technique majeur (ATM) de l’USS John C. Stennis devrait se prolonger jusqu’en 2026 (pour un an de plus) alors qu’il a débuté en 2021. Le navire d’assaut amphibie USS Boxer a passé plus de temps en réparation qu’en mer… Et une autre unité du même type, l’USS Iwo Jima, a récemment dû rentrer prématurément à sa base en raison d’une grave avarie dont la nature n’a pas été précisée.
Enfin, un autre problème auquel est confrontée la marine américaine est la pénurie de marins. Au début de cette année, il en manquait 22 000 (sur environ 348 000).
Dans le même temps, l’activité opérationnelle ne faiblit pas. Que ce soit au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe ou dans l’Indo-Pacifique, les crises s’accumulent et le droit international est de plus en plus remis en cause. Et, pour les États-Unis, un « grand bras de fer » avec la Chine pourrait avoir lieu en 2027, lorsque certains observateurs estiment que cette dernière pourrait tenter de mettre la main sur Taïwan. D’ailleurs, elle s’y prépare activement, en développant significativement ses capacités navales… au point, sans doute, de surclasser l’US Navy (c’est déjà le cas, en termes de tonnage…).
C’est en tout cas ce que fait valoir la cheffe des opérations navales (CNO, équivalent du chef d’état-major de la marine), l’amiral Lisa Franchetti. « Le président de la République populaire de Chine (RPC) a demandé à ses forces d’être prêtes à la guerre d’ici 2027. Nous serons encore mieux préparés », a-t-elle déclaré dans le nouveau plan stratégique de l’US Navy.
C’est donc avec les yeux fixés sur le développement rapide, tant en quantité qu’en qualité, des capacités navales chinoises que l’amiral Franchetti entend remettre sur pied l’US Navy, en se concentrant sur plusieurs domaines clés.
« Le défi est énorme. La flotte chinoise est la plus importante au monde en termes de taille et elle se modernise rapidement. Le plus grand constructeur naval du monde, CSSC, est à la disposition de la marine de l’Armée populaire de libération (APL) », tandis que la base industrielle et technologique de défense chinoise « est sur le pied de guerre », a déclaré l’amiral Franchetti. Et de souligner que l’APL s’est efforcée d’intégrer ses différentes composantes (marine, armée de l’air, missiles, cyberespace, espace) dans un « écosystème de combat commun spécifiquement conçu pour vaincre » celui des Etats-Unis.
En l’absence des moyens budgétaires nécessaires, l’amiral Franchetti estime que la marine américaine doit se concentrer sur les domaines où elle peut réaliser des gains « dans les plus brefs délais, avec les ressources dont elle dispose ». D’autant qu’elle n’a plus le temps d’augmenter le nombre de ses navires « traditionnels ».
Parmi ces domaines, le MCO est essentiel. Par exemple, le plan stratégique de la marine américaine met l’accent sur la réduction des temps de maintenance à « tous les niveaux », avec pour objectif d’avoir 80 % des navires de surface, des sous-marins et des avions disponibles et prêts au combat d’ici 2027. Et ce n’est qu’un « minimum ». Une meilleure disponibilité contribuera également à atteindre un autre objectif : augmenter considérablement la disponibilité opérationnelle.
Un autre domaine où l’US Navy devra progresser est celui de la robotisation, en tirant parti des leçons apprises (LETEX) de la guerre en Ukraine (en mer Noire) et des engagements contre les rebelles houthis en mer Rouge. L’objectif est ainsi de disposer de « systèmes robotisés et autonomes », dotés de « capacités matures » et pouvant être intégrés aux groupes aéronavals. Accessoirement, c’est aussi un moyen de gagner en masse, indispensable s’il s’agit de mener un combat d’attrition.
Enfin, il s’agira également de régler les problèmes de personnel au cours des trois prochaines années. Ce ne sera pas une tâche facile, sachant que l’US Navy n’a pas atteint l’an dernier ses objectifs de recrutement, même après avoir réduit ses besoins. De plus, son plan stratégique comprend principalement des mesures visant à retenir ses marins, en améliorant leurs conditions de vie et de service.