Nouvelles locales

la lente reconstruction des victimes de viol au Tigré

Mihret (1) sèche ses larmes sur son châle blanc, tissu typique des fidèles de l’église Tewahedo d’Ethiopie : «C’était il y a deux mois. Huit soldats érythréens sont entrés dans ma maison tandis qu’une femme en uniforme surveillait la porte. Ils m’ont dit que les Tigréens ne devaient pas vivre et qu’en tant que Tigréenne, je ne devais pas avoir d’enfants. Ils m’ont ensuite violée devant mes cinq enfants. » La quadragénaire accepte de s’exprimer dans les locaux du One Stop Center d’Adigrat, l’une des sept cliniques d’urgence ouvertes dans cette ville du nord de l’Ethiopie pour soigner et conseiller les victimes de violences sexuelles.

Malgré la fin officielle de la guerre au Tigré (en novembre 2022), le One Stop Center accueille chaque jour de nouvelles personnes qui s’ajoutent aux plus de 120 000 victimes de viol recensées par les autorités locales depuis le déclenchement du conflit, en novembre 2020. des troupes venues soutenir le gouvernement central d’Addis-Abeba, l’armée éthiopienne mais aussi ses alliées, les milices Amhara : tous sont accusés d’être impliqués dans cette vague de violences sexuelles à grande échelle.

La peur d’être mis au ban de la société

« 90 % des survivants ne reçoivent aucun soutien, même si une approche holistique est essentielle à la guérison. » déplore Gebeyenesh Tadege, chargé de coordonner la réponse aux violences faites aux femmes au sein du gouvernement régional. Dans son bureau de Mekele, la capitale du Tigré, les yeux de cette fonctionnaire s’écarquillent lorsqu’elle avoue son impuissance face au manque de moyens financiers et au silence des victimes, terrorisées par la stigmatisation sociale à laquelle elles font face. Le cas de Mihret, dont le mari a demandé le divorce alors qu’elle a été maltraitée pour la première fois au début de la guerre, est malheureusement banal.

« Ce rejet constitue le principal problème des survivants », explique le pianiste Meseret Hadush. Cette artiste a utilisé sa notoriété liée à son rôle de jurée dans un spectacle musical pour lancer, au lendemain de l’armistice, son ONG, Hiwyet (« guérison »). Grâce aux dons, principalement de la diaspora, son équipe de 16 professionnels a aidé 4 800 victimes sur les plans médical, psychologique, économique et spirituel. « Nous leur apprenons à élever des volailles, à fabriquer du savon et des bougies, à se coiffer et à coudre des vêtements pour qu’ils puissent subvenir à leurs besoins à leur retour chez eux. » précise Meseret Hadush.

Détruisez les ventres

Une autre ONG, la Tigray Women’s Association, dispose de 620 places dans ses trois refuges qui accueillent les victimes pour une durée moyenne de trois mois. Là encore, le maigre budget limite les ambitions. Seuls 27 % des résidents suivent une formation professionnelle leur permettant de démarrer ensuite une activité.

Isolées et souvent contraintes de mendier, de nombreuses victimes désespèrent d’obtenir justice. La commission d’enquête sur le génocide du Tigré s’emploie cependant à recueillir les preuves des crimes commis pendant la guerre. L’avocat Yirgalem Gebretsadkan a analysé 916 entretiens avec des survivants. Ce n’est qu’un début, mais ce professeur de droit à l’université de Mekele le dit déjà : « Les données indiquent une réelle intention de détruire le ventre des femmes tigréennes et donc la race tigréenne. »

Des ongles, des coupe-ongles et même des messages à caractère génocidaire protégés par une enveloppe plastique ont été arrachés à de nombreuses victimes. Les contaminations au VIH et à d’autres maladies sexuellement transmissibles ont bondi. En attendant d’être entendue par la commission, Mihret ne se sépare plus de son pack d’antidépresseurs, ultime remède pour affronter la souffrance qui ronge ces survivants.

(1) Ce prénom a été modifié par mesure de protection.

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Le terrible bilan du conflit au Tigré

De novembre 2020 à novembre 2022, un conflit a opposé les forces gouvernementales éthiopiennes, les milices des régions voisines et les troupes érythréennes au Front populaire de libération du Tigré (TPLF) dans la région du Tigré, frontalière avec l’Érythrée.

Selon l’Union africaine, ce conflit a fait plus de 600 000 victimes, et plus de 2,6 millions de personnes déplacées selon l’ONU.

Des ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch dénoncent le recours au viol comme arme de guerre par les troupes gouvernementales et leurs alliés.

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a reçu en 2019 le prix Nobel de la paix, contesté en raison d’un durcissement du régime et des exactions commises par les forces éthiopiennes dans ce conflit.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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