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La Chine menace une usine agricole française essentielle

Amiens (Somme), reportage

Le scotch qui retenait la banderole est trop vieux, Karine et Christophe sont obligés de le porter à bout de bras pour la photo. Cela fait plus d’un mois depuis les mots « Non au dumping chinois » ornent la façade de l’usine, située dans la zone industrielle nord d’Amiens. Repris par la société française MetabolicExporer (Metex) en 2021, ce site industriel de 40 hectares produit de la lysine, un acide aminé destiné à nourrir les animaux.

Mais, depuis deux ans, les périodes de chômage partiel se prolongent et le chiffre d’affaires s’effondre. S’il était d’environ 270 millions d’euros en 2021, il a été réduit de plus de moitié en 2023 pour tomber à 132,4 millions d’euros. Face à ces mauvais résultats, l’usine a été placée en redressement judiciaire le 22 mars. Les repreneurs avaient jusqu’au lundi 6 mai pour se faire connaître.

Mobilisation politique généralisée

«  C’est une période difficile, nous sommes dans une entreprise où les salariés ont souvent entre vingt et trente ans d’ancienneté. Ils se connaissent très bien et sont engagés dans l’entreprise. Malgré tout, on sent de l’inquiétude : on est passé de 350 à 275 salariés, les gens vont chercher du travail ailleurs »explique Karine Leclerc, déléguée syndicale Force ouvrière et salariée du site depuis vingt-cinq ans.


Le sucre fermente dans de grandes cuves pour former la lysine.
© Guillaume Bernard / Reporterre

Malgré la menace, personne n’ose vraiment croire à sa fermeture. L’État, les collectivités territoriales, mais aussi un large éventail de personnalités politiques allant du député local François Ruffin (La France insoumise) à Xavier Bertrand (Les Républicains), président de la région Hauts-de-France, en passant par les écologistes ou les communistes, sont d’accord. que l’usine doit vivre.

«  Tout le monde est main dans la main, car il s’agit d’une question de souveraineté nationale, voire européenne. Si nous perdons notre savoir-faire, nous serons totalement dépendants des produits chinois pour nourrir nos animaux. »explique Christophe Ranouille, délégué syndical CFECCG De l’usine.

«  Cette usine peut remplacer l’équivalent de 3,5 millions de tonnes de soja »

«  A Amiens, nous produisons environ 100 000 tonnes d’acides aminés par an, dont 80 % de lysine », explique Nicolas Martin, directeur chargé des questions de développement durable au sein de l’entreprise. Produit par la fermentation d’une bactérie grâce à l’ajout de sucre et récupéré sous forme de poudre, cet acide aminé est utilisé dans la fabrication de pellets alimentaires pour animaux, notamment les porcs et les volailles. Parmi ses plus de 300 clients, Metex compte le groupe PMAle plus grand producteur européen de volailles, propriétaire des marques Le Gaulois et Père Dodu.

«  Les acides aminés sont les éléments constitutifs des protéinesdessine Nicolas Martin. Pouvoir doser avec précision l’alimentation d’un animal en protéines lui permet de limiter ses émissions. Si un animal reçoit trop de protéines dans son alimentation, il les excrétera, notamment dans ses urines. » C’est par ce biais que le lisier de porc est notamment à l’origine du développement des algues vertes en Bretagne.

«  Cette usine permet également de remplacer l’équivalent de 3,5 millions de tonnes de soja. Ou les besoins de l’élevage français », chiffre Nicolas Martin. En combinant recherche en biotechnologie, capacité de production à grande échelle et élevage, Metex présente donc un intérêt capital pour l’industrie de la viande. D’autant plus que l’entreprise couvre à elle seule 15 % à 20 % des besoins européens en lysine. Pourtant, depuis un peu moins de dix ans, ses clients privilégient la lysine chinoise.

Les prix chinois impossibles à suivre

En manque de commandes depuis 2019-2020, le site d’Amiens s’est retrouvé en surcapacité. «  La consommation de viande est en croissance en Chine depuis plusieurs années. En 2015-2016, nous avons commencé à ressentir un impact sur le marché européen », poursuit Nicolas Martin. Si un Chinois consomme en moyenne 60 kg de viande par an (contre environ 85 kg pour un Français et 100 kg pour un Américain), la Chine représente tout de même un tiers de la consommation mondiale de viande.

«  La dépendance au soja américain pose un problème au gouvernement chinoissouligne le directeur responsable des questions de développement durable. Il décide donc de se lancer dans la production d’acides aminés, et notamment de lysine, pour avoir son autonomie protéique. Le problème est que leur consommation de viande n’a pas encore atteint le niveau espéré par les pouvoirs publics. »

Le résultat de cette politique est que la Chine produit aujourd’hui plus que ce que son marché peut absorber et exporte ses excédents vers l’Europe à des prix particulièrement bas, que Metex ne peut égaler.

«  Nous sommes confrontés à une concurrence déloyale »

La recette chinoise pour vendre moins cher ? Surtout, l’accès à un prix du sucre indexé sur son prix mondial, inférieur au coût européen. «  C’est notre matière première, c’est pourquoi nous sommes basés en Picardie, avec des betteraviers à proximité.précise Nicolas Martin. Cependant, depuis une réforme du CASQUETTE en 2018, nous n’avons plus le droit d’acheter leur sucre au prix mondial. Il faut l’acheter à un prix européen qui est bien plus élevé. »

«  Nous sommes donc confrontés à une concurrence déloyale »dénonce Karine Leclerc, FO. «  Le pire, c’est que lorsqu’un fabricant de produits alimentaires achète de la lysine chinoise, il n’y a pas de droits de douane. »ajoute son homologue du CFECCG.


Les cuves de fermentation de l’usine Metex d’Amiens sont les plus grandes d’Europe.
© Guillaume Bernard / Reporterre

L’État français, actionnaire de Metex avec 30 % via BPIFrance, est bien conscient du risque que représenterait la disparition du site. «  Si un jour la consommation chinoise de viande rattrape sa capacité de production, qu’ils n’exportent plus et que l’usine ferme, l’Europe tombera dans la pénurie. »prédit Nicolas Martin.

Une lysine plus écologique ?

Outre la question de souveraineté, l’intérêt écologique du site pose également question. Metex a également bien compris cet enjeu et tente depuis plusieurs années d’en mesurer les bénéfices dans ce domaine. «  Un kilo de lysine fabriqué par nos soins représente environ 2 kilos de CO2. En Chine, il est 10 heures », assure Nicolas Martin. Ce constat est notamment lié à l’alimentation électrique des usines chinoises par des centrales à charbon, contre 80 % de gaz et 20 % d’électricité pour Metex.

«  Il y a aussi le fait que la Chine utilise du glucose de maïs, alors que nous utilisons du sucre de betterave. Cependant, les betteraves sont beaucoup plus riches en glucose. Cela permet de réduire la taille des cultures et l’utilisation d’engrais »précise le directeur chargé des questions de développement durable.

Le reste de la production en danger

Ainsi, la situation de Metex illustre l’intérêt écologique du protectionnisme. «  Quel est l’intérêt de réduire nos émissions ? CO2 en France si c’est pour qu’un autre pays pollue cinq fois plus pour la même production ? »demande Nicolas Martin.

Pour mettre fin à ses problèmes structurels, Metex réclame, à moyen terme, une modification des règles européennes pour lutter contre le dumping chinois, et donc l’instauration de droits de douane sur la lysine importée en Europe.

D’autant que l’usine d’Amiens produit d’autres acides aminés, particulièrement utiles en pharmacie pour la fabrication de l’Aspégic. «  Si nous perdons la lysine, nous ne pourrons plus non plus les produire financièrement. »regrette Nicolas Martin.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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