Divertissement

Kurt Cobain: la fin de la génération X

Le 5 avril 1994, à l’âge de 27 ans, le chanteur de Nirvana se suicide à son domicile de Seattle.


C’était hier. C’était aussi il y a toute une éternité. Il y a exactement trente ans, le monde apprenait le suicide de Kurt Cobain, retrouvé mort dans sa maison de Seattle avec une lettre d’adieu et un fusil Remington M11. Une génération entière passe alors à la postérité, un mouvement musical avec elle. Le grunge a-t-il été le dernier grand mouvement de jeunesse alternatif occidental ? La question mérite d’être posée aujourd’hui.

La scène de Seattle, emblématique de nos années 90

Ah, les années 90… Sombres, maladives, tourmentées, tournées vers la défonce. Une décennie sombre, mais créative et riche en icônes. Par où commencer pour les résumer ? Jeff Buckley? Radiohead ? Elliott Smith ? Brit-pop ? Du trip-hop ? La touche française ? Tupac Shakur et le clan Wu Tang ? Des clous de neuf pouces ? The Smashing Pumpkins? Métallique ? Sûrement par la scène de Seattle. Le plus marquant, celui dont absolument tout le monde se souvient, caricaturé à l’excès. Kurt Cobain était, malgré lui, le leader de cette génération à faire preuve de jeunesse comme des standards fièrement brandis au visage des « parents ».

La scène de Seattle n’était pourtant qu’une autre émanation de l’indie-rock américain, composée de groupes divers et parfois (a)variés. Nirvana, quant à lui, proposait une musique assez simple, faite de gros riffs métal comme Black Sabbath, d’énergie punkoïde empruntée à des groupes comme les Vaselines et de mélodies bien ficelées très inspirées des Pixies. On retrouve aussi chez Kurt Cobain l’attitude intransigeante de ses prédécesseurs comme Sonic Youth. Adulte adolescent, le natif d’Aberdeen se voulait aussi partisan d’une éthique underground, critiquant régulièrement ses collègues et voisins de Pearl Jam, évoluant dans un registre rock plus académique, ou ceux d’Alice In Chains, plus métallique et sombre. , dont le chanteur finira également dans le caniveau à cause d’une addiction à l’héroïne.

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Kurt Cobain se serait donc contenté d’un succès réussi, à l’instar de Replaces et Paul Westerberg. Pourtant, il a décroché le jackpot. Dès sa sortie, Nevermind explose tout au long de l’année 1991, alors que la concurrence est forte. Sachez donc qu’à quelques mois d’intervalle, des disques comme Black Album de Metallica, Use Your Illusion de Guns N’ Roses, Ten de Pearl Jam ou encore Violator de Dépêche Mode, se sont succédés à la volée, ne laissant aucun répit à un public particulièrement gâté. La différence entre Nevermind et les autres, dans une moindre mesure Ten, c’est que Kurt Cobain a incarné son époque comme aucun autre. Il matérialise l’angoisse existentielle de la génération X, ses aspirations et ses démons.

Je n’avais que cinq ans lorsque sort Nevermind, mais le disque a bercé mon enfance et mon adolescence comme celles de millions d’autres. Skateboard sous les pieds et discman rangé dans la poche du baggy, In Bloom commence. Un rock à la fois infusé de testostérone pour plaire aux ados au pic hormonal et assez introspectif pour accompagner nos humeurs. Intelligent ? Bien moins que ce qui prévalait dans les années 1980, lorsque la génération distinguée de la jeunesse moderne mariait l’élégance gothique à un nihilisme venimeux, à la fois plus enfantin et plus mature. Car, à la réflexion, et même alors, Nirvana n’était pas le meilleur groupe de son époque, ni particulièrement innovant ou intéressant. Pas particulièrement profond non plus. Il comble néanmoins un vide et répond à une attente du public, préparé par les années punk et les succès progressifs de la scène indépendante américaine, à commencer par ceux de Husker Du ou des Pixies, ajoutant à cette recette la puissance du hard rock. Dans une certaine mesure, la sauvagerie assumée de Guns’ Appetite for Destruction a également préparé le terrain à l’avènement de Nirvana et à son apparent succès commercial paradoxal.

Kurt Cobain, du désenchantement au « réveil »

Kurt Cobain était-il un « wokiste » avant l’heure ? Ouvertement féministe et progressiste, il s’est souvent opposé aux rockers machistes et mégalomanes de son époque, au star system qu’il méprisait et dont il était à contrecœur la poule aux œufs d’or. Sa mythologie s’est construite sur le refus de la mythologie rock. Point final du rock en tant que musique et mouvement de masse, il n’y a pas eu d’après grunge. Oh, il y a eu des groupes depuis, mais rien n’a été pareil et ne le sera plus jamais. Le rock, s’il conserve son urgence, a été éclipsé par le rap et ne représente plus l’épouvantail parental par excellence. Il est entré dans le rang.

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Kurt Cobain, malgré son talent évident, que son succès ne doit pas amener à surestimer, aura eu un effet profondément délétère sur toute une génération. Son défaitisme, sa négativité présentée comme une qualité, sa romantisation de la consommation d’opiacés, sont autant de points noirs qui ont enterré la « génération X », écrasée entre ses prédécesseurs baby-boomers et ses successeurs zoomers. Elle masquait aussi l’extraordinaire richesse créative des années 1990 dans le domaine pop-culturel, réduite dans l’inconscient collectif à la bande-annonce du film Singles et aux images sur papier glacé du couple Johnny Depp-Kate Moss aux origines cocaïnomanes.

Les « jeunes » ont appris qu’on pouvait s’habiller comme on voulait, sans respecter aucune convention sociale et même que renoncer à la vie était « cool » puisqu’elle n’avait rien à leur offrir. Il fallait déconstruire l’esthétique, tout comme le rock, comme le voulait le héros du grunge. Son cynisme ridiculisait tout, faisait de toute tentative de flamboyance un sujet de dérision. Nous n’en sommes toujours pas sortis.

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Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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