Divertissement

«J’ai vite compris que j’avais un physique particulier et que j’étais le visage d’une diversité moins représentée»

Ses talents d’actrice se densifient Borgo, brillant film carcéral de Stéphane Demoustier, où elle incarne le rôle d’une gardienne de prison accusée de complicité dans un double assassinat en Corse. Rencontre avec une femme de cinéma.

Nominé cette année aux Césars pour L’Enlèvement et attendue aux côtés d’Isabelle Huppert dans les prochains films d’André Téchiné et Patricia Mazuy, l’actrice s’impose en 2024. Plus grande que nature, elle étonne dans Borgo, de Stéphane Demoustier, très librement inspiré d’un événement réel. L’actrice incarne Mélissa, une gardienne de prison récemment arrivée en Corse, qui livre des informations sensibles à un ex-détenu et devient ainsi complice du meurtre de deux personnalités du milieu.

Madame Figaro. – Pourquoi le scénario de Borgo Vous a-t-il appelé ?
Hafsia Herzi.– J’ai admiré le cinéma de Stéphane Demoustier, dont j’ai adoré La Fille au bracelet, et j’ai vu dans ce personnage ambigu et plus adulte qu’il m’offrait un nouveau défi artistique. Je n’avais pas entendu parler de l’affaire survenue en 2017, et Stéphane m’a aussi demandé de ne pas trop en savoir : son scénario est loin de la réalité. Je me suis donc principalement appuyé sur mon partenaire dans le film qui, dans la vraie vie, est en réalité un gardien de prison à Borgo. Il a été mon guide, d’autant plus qu’il connaissait la femme qui a inspiré mon personnage.

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Comment comprenez-vous votre personnage, qui accepte d’enfreindre la loi pour aider un ex-détenu ?
Je crois simplement qu’elle veut et a besoin de faire confiance, qu’elle croit aux secondes chances et qu’elle est dupe. Face à la pression que peuvent exercer ces criminels, peut-être craint-elle aussi les conséquences d’un refus sur sa famille. Elle se sent piégée, ne peut imaginer le scénario futur et résiste difficilement à l’argent qui lui est proposé. Mais chacun interprétera son action différemment. Comme Justine Triet dans Anatomie d’une chute, Stéphane Demoustier invite le spectateur à s’interroger sans lui donner de réponse toute faite.

Il y a une quête de vérité dans le cinéma de ce réalisateur qu’on retrouve aussi dans vos films…
Même si Borgo est une fiction, il était essentiel pour Stéphane que l’environnement et les personnages sonnent vrai, que ce soit documenté. Nous avons tourné dans une prison abandonnée à Compiègne, et la plupart des détenus corses sont des non-professionnels. Quant à moi, j’ai effectué un stage en milieu carcéral que j’avais déjà sollicité pour mon film Bonne mère qui présentait des scènes de prison. Accompagné d’un sociologue, j’ai animé des ateliers avec des détenus, ce qui m’a permis d’évoquer leurs conditions de détention. Un de mes meilleurs amis était également gardien de prison.

L’autorité de votre personnage vous est-elle naturelle ?
Je suis réalisateur et, sur mes plateaux, je dois prendre les devants. J’ai aussi tourné dans les quartiers nord de Marseille, et je n’ai jamais eu de mal à y trouver une place. Pour autant, je ne suis pas tyrannique : comme mon personnage, je dois être respecté, mais j’aime travailler avec bienveillance.

J’ai essayé de proposer des personnages auxquels des Françaises d’horizons différents pourraient s’identifier.

Hafsia Herzi

Avez-vous déjà eu envie d’un nouveau départ, comme votre personnage ?
Oui, et je l’ai trouvé dans la production. Enfant, je voulais déjà réaliser, mais quand j’ai commencé à tourner, j’étais tellement heureux que j’ai mis ce rêve de côté. Et puis, j’ai compris que j’avais un physique particulier, que j’étais le visage d’une diversité alors moins représentée, et que je ne recevais pas cinquante scénarios par semaine. Il y a du progrès aujourd’hui, des cinéastes comme Stéphane ou Iris Kaltenbäck (L’Enlèvement, NDLR) ont l’intelligence de projeter des personnages et non des couleurs de peau, mais j’ai vite su qu’il me faudrait évoluer artistiquement pour rester maître de mon destin.

Considérez-vous vos choix en tant qu’artiste comme des engagements politiques ?
Très jeune, je me gardais bien de m’enfermer dans une case, de ne pas accepter les rôles clichés d’une fille de banlieue. J’avais besoin de gagner ma vie, mais je ne voulais pas véhiculer des stéréotypes que je ne soutenais pas. Quand j’ai commencé à écrire, je me suis naturellement penché sur les expériences féminines et, là aussi, j’ai essayé de proposer des personnages auxquels des Françaises d’horizons différents pouvaient s’identifier.

Judith Godrèche raconte le monde du cinéma : « Je parle mais je ne t’entends pas. » Que pensez-vous de ce silence ?
C’est réel, mais c’est un problème qui concerne toutes les sphères de la société. Cependant, plus les victimes seront écoutées, plus elles oseront parler et trouveront un chemin vers la guérison. Il faut aussi et surtout veiller à ce que ces abus ne soient plus permis. L’arrivée de coordinateurs d’intimité sur les tournages français me semble être une bonne chose pour permettre aux débutants de poser leurs limites et faciliter la communication.

J’ai vite compris qu’il me faudrait évoluer artistiquement pour rester maître de mon destin.

Hafsia Herzi

Avez-vous toujours su fixer des limites ?
Au début, parfois, pour ne pas offenser, de peur d’être catégorisé, on garde les choses pour soi, mais on apprend vite qu’on se pénalise ainsi. Dans mon cas, il s’agissait de petites choses. Avec l’expérience, j’ai appris à m’affirmer, d’autant plus que je gère et encadre des équipes.

Vous habitez Nancy, loin de Paris et de ses exigences. Est-ce une manière de se préserver ?
J’ai vécu dix ans à Paris, mais c’était compliqué : le stress, le manque d’espace, l’absence parfois de simplicité… Je suis une personne discrète, et j’avais aussi envie de vivre au calme avec ma famille, à l’écart des choses du monde. que je n’accepte qu’à dose homéopathique. En plus, j’ai besoin de calme pour écrire. Je prépare mon troisième film, une adaptation de Le petit dernier, de Fatima Daas (Ed. Black on White), sur une jeune banlieusarde musulmane et homosexuelle.

Borgo, de Stéphane Demoustier, avec Hafsia Herzi… Sortie le 17 avril.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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