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INTERVIEW – Attaques en Israël : « Politiquement, l’Iran ne semble pas vouloir une arme nucléaire pour le moment »

L’attaque iranienne contre Israël samedi soir a mis en évidence les penchants nucléaires du pays.
Depuis plusieurs années, la République islamique continue d’enrichir de l’uranium, procédé nécessaire à la construction de la bombe atomique.
Mais, comme le rappelle Héloïse Fayet, spécialiste du nucléaire iranien, pour l’instant, « l’Iran n’a pas d’armes nucléaires ».

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L’attaque sans précédent de l’Iran contre Israël

Israël espère-t-il frapper les sites du programme nucléaire iranien ? L’hypothèse est en tout cas sur la table, après l’attaque de l’Etat hébreu samedi soir, via des centaines de drones et de missiles lancés par la République islamique. Ces dernières années, Téhéran a divulgué très peu d’informations sur le projet atomique, affirmant n’avoir mis en œuvre qu’un simple programme nucléaire civil.

Mais l’attaque contre le pays en Israël ce week-end a mis en lumière les volontés iraniennes dans ce domaine. Où en est réellement l’Iran dans la construction de la bombe atomique ? Est-ce vraiment son intention ? Héloïse Fayet, chercheuse à l’IFRI (Institut français des relations internationales) et spécialiste du nucléaire iranien, livre son analyse à TF1info.

TF1info : Il y a quelques semaines, le patron de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique, l’organisme de l’ONU chargé de l’énergie nucléaire), Rafael Grossi, s’inquiétait des activités iraniennes en matière d’enrichissement de l’uranium, mais affirmait « ne pas disposer d’informations précises ».  » sur le programme nucléaire mené par le pays. Que sait-on aujourd’hui de l’avancée d’un tel projet ?

Héloïse Fayet : Une chose que nous savons déjà, c’est que l’Iran ne possède pas d’armes nucléaires. Et, politiquement, il ne semble pas vouloir en acquérir un pour le moment. Le pays dispose pourtant de toutes les capacités technologiques pour le faire : l’Iran est donc ce qu’on appelle un « État à seuil nucléaire ». Cela signifie que potentiellement, si la volonté politique est présente, elle peut rapidement, en un ou deux ans, développer une arme nucléaire fonctionnelle.

Pour l’instant, concrètement, ce que l’on sait du programme nucléaire iranien, c’est que la République islamique enrichit beaucoup d’uranium à des rythmes élevés. Pour fabriquer une arme nucléaire, vous choisissez d’utiliser du plutonium ou de l’uranium. Cette deuxième voie est souvent plus facile, quoique un peu moins efficace. Il faut une certaine quantité d’uranium enrichi à 90 % pour fabriquer une arme nucléaire. Là, ils sont à beaucoup d’enrichissement à 60%. Cela signifie que les Iraniens sont capables d’accumuler en quelques jours suffisamment de matière fissile pour fabriquer une arme nucléaire. Mais ensuite, il leur faudra encore plusieurs mois, voire années, pour le rendre fonctionnel.

Les taux d’enrichissement de l’uranium ne sont pas compatibles avec une simple activité civile

Héloïse Fayet, chercheuse spécialisée dans le nucléaire iranien

Quels sont les moyens technologiques, financiers et humains mis en œuvre par l’Iran pour mener à bien ce programme nucléaire ?

En tant que simple civil, je n’ai pas de détails précis sur les budgets alloués au programme nucléaire iranien. Ce dernier n’est officiellement qu’un programme nucléaire civil – même si les taux d’enrichissement que l’on constate aujourd’hui ne sont pas compatibles avec une simple activité civile. Mais il n’y a également aucun signe d’une militarisation du programme, qui est nécessaire pour passer de la matière fissile à une arme nucléaire fonctionnelle.

Nous ne connaissons pas les ressources humaines et financières allouées à cela. Il existe cependant plusieurs sites où l’uranium est traité et enrichi dans des centrifugeuses. Les deux plus importants sont ceux de Natanz et Fordow. (voir carte ci-dessous, ndlr). Il existe plusieurs autres sites qui contribuent au programme nucléaire, par exemple en fabriquant des pièces nécessaires aux centrifugeuses.

Les sites de Natanz et Fordow permettent l’enrichissement de l’uranium, procédé nécessaire à la création d’une arme atomique. – INFOGRAPHIE LCI

Et puis, évidemment, une partie importante du programme nucléaire potentiellement militaire, dont nous avons beaucoup parlé ces derniers jours, est le programme balistique iranien. En effet, une fois que vous avez fabriqué une ogive nucléaire militarisée, vous devez la placer sur un missile. Il s’agit alors souvent d’un missile balistique, plus efficace et plus difficile à intercepter. C’est pourquoi le programme balistique iranien est suspect, à la fois parce qu’il peut constituer des menaces conventionnelles, mais encore plus, certainement, si l’Iran dispose un jour d’une tête nucléaire.

Ces derniers mois, nous avons observé que l’Iran rendait de plus en plus difficile l’accès des inspecteurs internationaux à ses sites nucléaires. Comment interpréter ces restrictions ?

L’Iran espère toujours réussir à assouplir les sanctions qui pèsent actuellement sur son économie. Il s’agit principalement de sanctions américaines, mais aussi de sanctions européennes, même si celles-ci sont davantage liées aux liens entre la Russie et l’Iran. Le pays veut s’assurer que son économie ne soit pas complètement étouffée. Mais aussi pour éviter que les Israéliens ne se disent que cela pourrait être une bonne idée de cibler les sites nucléaires iraniens.

Avant la guerre entre Israël et le Hamas (soutenu par l’Iran, ndlr), on a vu aussi que les Iraniens avaient conclu un accord officieux avec les Etats-Unis, pour, d’une part lever un peu les sanctions, et de l’autre ralentir l’enrichissement de l’uranium. Mais le conflit au Moyen-Orient a changé la donne, car il est désormais compliqué pour les Américains de négocier avec l’Iran en termes de relations publiques.

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Voit-on aujourd’hui les conséquences du retrait américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (le JCPOA), décidé par Donald Trump en 2018 ?

C’est le péché originel ! Si Donald Trump n’avait pas quitté le JCPOA, nous n’en serions pas là. Avant son retrait, l’Iran respectait les restrictions imposées par cet accord. Mais, sous l’influence d’Israël et des pays du Golfe, Donald Trump a pris cette décision, puis a réimposé des sanctions contre l’économie iranienne. (…) C’est en effet à ce moment-là qu’on a commencé à reprendre l’enrichissement de l’uranium dans le pays.


Théodore AZOUZE

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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