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« Il faut distinguer l’Europe géographique de l’Union européenne »

Existe-t-il une définition dans les traités européens des pays pouvant être éligibles à l’adhésion à l’Union européenne (UE) ? Oui et non. Le traité de Lisbonne précise : « Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union. » (article 49). Mais il n’existe ni carte ni liste des « États européens ». En d’autres termes, les frontières maximales de l’UE ne sont définies nulle part. Ce qui paraît à la fois astucieux et inquiétant. Astucieux car il n’insulte pas l’avenir en laissant une porte ouverte à une opportunité qui aurait du sens. Inquiétant pour une partie de l’opinion publique qui a l’impression que l’UE peut s’étendre sans limites.

L’espace européen est-il réduit à l’Union européenne ? Non. Personne ne conteste que la Suisse ou la Norvège sont des pays européens. Et pourtant, ces pays n’appartiennent pas et ne s’appliquent pas ou plus à l’UE. L’Europe n’est pas seulement l’UE. Et l’UE n’a aucune légitimité pour parler au nom de « l’Europe », c’est-à-dire à la place d’un sous-continent qui comprend un certain nombre de pays qui ne sont pas membres de l’UE et ne souhaitent pas tous l’intégrer.

Passée de 6 à 28 puis 27 membres, l’UE est certes attractive mais elle peut aussi être répugnante comme en témoigne la sortie du Royaume-Uni en 2020. L’UE peut aussi laisser indifférent, et pourquoi pas ? L’UE peut même alimenter la haine et le mépris d’un pays en partie européen : la Russie de Poutine. C’est ainsi. L’UE ne peut donc en aucun cas prétendre incarner l’identité européenne… et ce n’est pas grave.

Europe géographique

Aussi, pour définir les frontières européennes, il faut au moins clarifier le sens des mots Europe et Européens. De quoi s’agit-il ? Il est important de distinguer l’Europe géographique de l’Union européenne. L’Europe géographique est une convention, discutable comme toutes les conventions.

A l’ouest de l’Eurasie, les limites de l’Europe géographique s’étendent par convention depuis les îles du Svalbard (Nord), jusqu’aux Açores (Ouest), jusqu’au détroit de Gibraltar (Sud), jusqu’au détroit du Bosphore (Sud-Est) puis jusqu’au Caucase dominé par le mont Elbrouz (5 642 m) puis retour à l’Oural (Est) dominé par le mont Narodnaïa (1 895 m.). Tout le monde comprend que le tsar Pierre le Grand a fait placer la limite conventionnelle de l’Europe géographique dans l’Oural il y a trois siècles pour prouver que la Russie est en partie un pays européen, et donc moderne.

Compte tenu de l’absence de définition dans les traités des « États européens » éligibles à l’adhésion à l’Union européenne, non seulement l’Ukraine – compte tenu de sa situation géographique – est clairement dans son droit, mais la Biélorussie et la Russie européenne pourraient également postuler. Qui peut nier que les Biélorusses et les Russes vivant à l’ouest de l’Oural sont des Européens ? Ils sont dans une certaine mesure aussi (il) légitimes de parler « au nom de l’Europe » que les Suisses (non-UE) ou les Français (UE).

Établissements

Chacun comprend donc que la notion de « frontières européennes » ne renvoie pas seulement à un espace mais à une institution. Une institution, ou des institutions ? Le Conseil de l’Europe fondé en 1949, la Communauté économique européenne (CEE) créée en 1957 puis devenue Union européenne en 1993, la Communauté politique européenne (CPE) inventée en 2022 sont autant d’institutions, donc de frontières européennes. Ils comptent des membres souvent les mêmes mais parfois différents.

Et il serait facile de compliquer les choses à volonté en évoquant l’Espace économique européen, la Convention de Schengen, la zone euro, ou encore l’OTAN, dont la quasi-totalité des membres sont issus de l’Europe géographique… mais dont le plus décisif est… en Amérique du Nord. Ces institutions ont autant le droit de parler au nom de « l’Europe » que l’UE. Autrement dit, parler de l’Europe pour désigner l’UE est un abus de langage qui ajoute à la confusion. Qui gagne à ce petit jeu ?

Quelles frontières européennes ?

Alors, comment définir les « frontières européennes » ? Si l’on considère qu’il s’agit exclusivement des frontières de l’Union européenne, alors la réponse est « simple ». A tout moment, les frontières de l’UE peuvent s’ouvrir à tout « État européen » qui en fait la demande et répond – du moins en théorie – aux exigences des traités européens du moment, notamment la reprise de l’acquis communautaire. Il est important de respecter les règles, critères et usages d’adhésion à la date en question.

Aux fameux critères de Copenhague (1993), se sont ajoutées les conditions spécifiques imposées aux Balkans occidentaux lors du sommet de Thessalonique (2003) concernant l’obligation de résoudre tout différend bilatéral avant d’adhérer, voire d’ouvrir des négociations d’adhésion. Que va-t-il se passer pour l’Ukraine ou même la Moldavie ? Dans ce processus long et complexe, la Commission européenne aide les négociateurs mais ce sont les États membres qui décident. Pour l’instant, l’adhésion ne s’acquiert qu’à l’unanimité des États membres, c’est-à-dire que chacun dispose d’un droit de veto. Encore faut-il obtenir la majorité du Parlement européen, puis la ratification de l’adhésion par chaque État membre et chaque candidat, selon les règles institutionnelles de chacun à l’époque T.

Reste à savoir quelle sera la capacité de l’UE à assimiler de nouveaux États et à respecter ses engagements au titre de l’article 42.7 du Traité.  » Dans le cas où un État membre fait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir. ».

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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