Divertissement

« Fabrice Luchini m’a fait remarquer que je n’avais aucune stratégie »

En seulement dix ans, elle devient une star internationale. Avant de la retrouver à la rentrée en Pas de chaînes, pas de maîtrespar Simon Moutaïrou, cette actrice irrésistible et singulière, muse de Tiffany, se confie.

Cet été elle tournait Sauver les mortsUn road-movie en Arménie, deux mois de voyage à travers un pays dont les territoires ont été ravagés par la guerre. Camille Cottin vit ses films comme de petites épopées, des moments suspendus où le travail sert de point de repère. L’intensité de la réalisatrice l’emporte sur toutes autres considérations, quitte à manquer les fêtes de fin d’année et les différentes foires de ses deux enfants. « J’adore voyager et tourner à l’étranger est un voyage très différent des voyages touristiques. Rester longtemps permet de s’immerger, de rencontrer des gens grâce à la collaboration. Ce film s’attache à nous faire découvrir ce pays, à la fois à travers ses paysages et dans son contexte politique. Et c’est ce qui m’a plu », confie-t-elle, casquette vissée sur la tête, foulard autour du cou, visage radieux malgré un rhume.

L’actrice montre via son téléphone la cour du petit café de Gyumri, à deux heures au nord de la capitale, Erevan, où elle s’est assise pour cette interview. On y devine un décor presque théâtral, entre bric-à-brac soviétique et objets de récupération. Elle exprime un désir brûlant de raconter des histoires qui ont du sens à travers le cinéma, ce qui n’est pas nouveau, mais ce désir semble de plus en plus ancré. Comme en témoigne Pas de chaînes, pas de maîtresqui sortira le 18 septembre. Camille Cottin ne porte pas ce long métrage de Simon Moutaïrou sur ses épaules, comme ce fut le cas pour Toni avec sa familleelle apparaît longuement, bien que bien après le générique d’ouverture. Elle est un personnage secondaire.

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Entre dans la fissure

Sa place et son temps d’écran ne la concernent donc pas ? « Je n’ai pas réfléchi en ces termes : j’ai aimé le scénario et le message défendu par Simon aussi. Que les premiers rôles (interprétés par Ibrahima Mbaye Tchie et Anna) soient les héros de l’histoire et que tous les personnages colons soient secondaires correspondait à une volonté presque politique de la part de Simon, de sorte que la narration s’inverse et que les « marrons » (esclaves en fuite) deviennent les sujets de leur histoire. » Un père et sa fille qui décident de fuir leur condition d’esclaves pour accéder à un impossible Eden. Nous sommes à l’île Maurice, en 1759, en pleine colonisation française, qui durera jusqu’en 1810. Dans les plantations de canne à sucre, des hommes et des femmes noirs, esclaves d’un maître blanc, peinent. Malheur à ceux qui ont l’audace de vouloir s’affranchir, ils finissent torturés ou massacrés. Cottin incarne un être purement maléfique. Une mercenaire qui, avec ses deux fils, est payée pour éliminer les esclaves récalcitrants. On ne peut s’empêcher de penser à une variante française de Django UnchainedLa reconstruction grandiloquente de l’esclavage aux États-Unis par Quentin Tarantino.

Leonardo DiCaprio a joué un propriétaire de plantation cruel, capable des pires horreurs, et dans Pas de chaînes, pas de maîtresBenoît Magimel incarne un personnage tout aussi détestable. « Je suis un fan absolu de l’œuvre de Tarantino, j’adhère à sa violence qui ne me dérange pas, sauf dans ce film. Cette période était tellement abominable que j’étais mal à l’aise de la voir ainsi exposée. » Simon, le réalisateur de Pas de chaînes, pas de maîtresCamille Cottin s’est posé ce genre de questions : comment représenter la torture sans trop esthétiser la violence, comment ne pas trop en montrer ? Camille Cottin avoue avoir eu du mal à prononcer le mot « nègre » pendant le tournage : « On n’en a pas fini avec le racisme, on assiste même à un racisme de plus en plus décomplexé, d’où l’importance fondamentale de ce film. »*

L’actrice, formée à l’école d’art dramatique de Périmony, continue de questionner ce rôle de méchant (un redoutable chasseur d’esclaves qui a existé) : « J’ai lu les interviews de Sandra Hüller à propos de La zone d’intérêt. Elle explique n’avoir rien donné à son personnage, ni larmes, ni défauts. Puisque Madame La Victoire a réellement existé, je suis allée chercher la fêlure et sa folie (elle a été violée à 6 ans par un militaire, mariée de force à 14 ans), mais je n’ai rien voulu excuser, Simon voulait aussi que ces bourreaux soient perçus comme des citoyens honorables pour retranscrire l’époque.

Camille Cottin porte un costume en gabardine de laine, Dior. Boucles d’oreilles HardWear et bracelet en or jaune, Tiffany & Co.
Guy Lowndes

L’incarnation d’un chasseur d’esclaves

Ce rôle atypique dans sa filmographie prouve à quel point Camille Cottin est malléable devant la caméra. La popularité qu’elle a acquise grâce à la télévision a élargi son champ des possibles au lieu de le restreindre. Elle se souvient encore du moment où son agent, Laurent Grégoire, lui a annoncé qu’elle ferait partie de l’aventure. Dix pour centlui assurant que cette série était très chic malgré ses réticences – elle pensait qu’en tant qu’héroïne de télévision, elle ne ferait plus de films. Après avoir été la redoutable agente Andréa Martel, toujours à la limite entre flegme et nervosité, Camille Cottin s’est révélée une actrice plus inattendue.

Belle mais singulière, énergique mais douce, accessible mais un peu distante, dramatique mais dotée d’un vrai ressort comique, cette Française totalement bilingue (elle a vécu à Londres quand elle était jeune), comédienne parfaitement protéiforme, ne pouvait que plaire aux Américains. Outre Bruno Dumont ou Emmanuel Mouret et Christophe Honoré, la crème de la crème du cinéma d’auteur français, Todd McCarthy et Ridley Scott ont fait appel à ses bons services. Et elle a séduit… George Clooney. Ce n’est pas rien, une publicité planétaire pour une marque de café avec la suave sexagénaire, fan de Appelez mon agent !Traduction en anglais de Dix pour cent« C’est difficile de résister à George Clooney ! Sérieusement, ça me donne la liberté de choisir. »

Une recherche d’exigence

Ces deux mois de tournage dans le pays natal de Charles Aznavour pour les besoins de Sauver les mortsun long métrage au budget minimaliste, est soumis aux mêmes exigences qui l’ont conduit à figurer au générique de Pas de chaînes, pas de maîtres : accompagner une réalisatrice habitée par un sujet puissant. Pas de compromis. Pas de solution de facilité. « La réalisatrice, qui est aussi documentariste, Tamara Stepanyan, m’a touchée. Son besoin viscéral de montrer son pays, la résistance, la réalité de la guerre, du génocide, m’a emportée. L’action se déroule en 2020, pendant le conflit du Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Avec l’actrice iranienne Zar Amir Ebrahimi, nous sommes sur la route, à la recherche de la véritable identité de mon défunt mari. Ce film nous transporte dans un autre monde, une autre culture. »

Camille Cottin porte une combinaison en soie et viscose, Courrèges. Manchette Bone, en or jaune, Elsa Peretti × Tiffany & Co.
Guy Lowndes

Camille Cottin a 45 ans, un âge qui peut être synonyme d’accalmie chez une actrice. Un juste milieu qui n’est pas facile à négocier. Au contraire, elle semble en pleine maîtrise, en total épanouissement dans sa carrière, après une reconnaissance tardive. L’amie de Marion Cotillard et de Camille Chamoux abonde dans le même sens et nuance : « Fabrice Luchini m’a gentiment fait remarquer que je n’avais aucune stratégie, qu’il fallait peut-être mettre un peu d’ordre dans tout ça ! » C’est vrai et faux. On sent qu’elle veut aller partout où l’expérience sera enrichissante et nouvelle.

Un élan de liberté

Après des années frustrantes sans décrocher de casting, elle s’était presque résignée à une carrière uniquement au théâtre. La télévision est arrivée, puis enfin le dieu du cinéma, alors pourquoi se priver ? Camille Cottin a créé sa société de production avec une amie. Celle que l’on regarde à l’écran pour sa justesse et son sens du rythme provoque des expériences, les initie, va au-delà du simple divertissement. Elle s’apprête à revenir à ses premiers amours, la scène. « J’ai retrouvé il y a deux ans un texte que j’ai adoré. Il se prête magnifiquement à une forme théâtrale. Je suis heureuse de retrouver la scène et de pouvoir revivre les choses différemment, notamment sur le travail corporel. » Ce ne sera pas un texte classique. Ni une pièce de boulevard. Elle adapte avec le metteur en scène Jonathan Capdevielle le roman de la jeune auteure Katharina Volckmer, Coq Juif, pour son premier one-woman-show.

Un long monologue cru dans lequel la narratrice discute de son héritage avec son gynécologue, de ce que signifie être allemande après la Shoah, et exprime son désir de changer de sexe et de se faire greffer un pénis circoncis. Provocateur. Drôle. Risqué. Pourquoi se lancer un tel défi ? Cette lectrice de Virginie Despentes rétorque sans sourciller : « C’est un livre sur la liberté, dont j’ai adoré l’énergie et l’intelligence. Et l’humour ! Il y a peu d’intérêt pour la culpabilité des Allemands de la deuxième génération, et c’est aussi un texte profondément féministe. On a fait un travail d’adaptation, car le roman fait 200 pages, il a fallu faire des choix… » Le titre a changé. Par les temps qui courent, lire les termes « Coq Juif »Les propos de Morris sur les colonnes semblaient problématiques. « Étant donné le contexte politique actuel extrêmement sensible et douloureux, j’avais peur de offenser, car sorti de son contexte, le titre pouvait être utilisé comme un instrument. »

Nous n’en avons pas fini avec le racisme, nous assistons même à un racisme de plus en plus décomplexé

Camille Cottin

La pièce, en janvier aux Bouffes du Nord à Paris, s’intitulera donc La réuniontraduction littérale de Les nommést, le titre original en anglais. Lourd, sérieux, difficile, performance, loin de la légère et froide Andréa Martel. Loin, vraiment ? La rumeur court qu’une comédie adaptée de la série de France Télévisions serait dans les tuyaux pour un tournage en 2025. Le scénario est terminé. « On lira bientôt une première version du scénario écrit par Fanny Herrero, dont je chéris la plume. J’ai hâte de le lire. »

Pas de chaînes, pas de maîtres, de Simon Moutaïrou. Sortie le 18 septembre.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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