Existe-t-il à Gaza des marchés « remplis de nourriture », empêchant tout risque de famine ?
Selon une vidéo, les étals de rue de Gaza sont remplis de nourriture.
Les images sont authentiques et ont été filmées au centre de l’enclave.
Pour autant, ils ne remettent pas en cause la famine que connaît la population.
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Les informations scrutées
Marchés de Gaza « Sont-ils pleins de nourriture à vendre », comme le suggère une vidéo postée sur le réseau social X ? Selon ce récit, ces produits seraient même des aides alimentaires détournées. L’objectif d’une telle publicationqui n’est pas la première du genre sur ce profil, est claire : minimiser l’ampleur de la famine à Gaza, sur laquelle alertent l’ONU et les ONG sur place.
Cette vidéo a été initialement publiée sur TikTok le 21 avril. Elle provient du compte « gazzzawya », tenu par une habitante de Gaza qui décrit sa vie quotidienne en pleine guerre. La jeune femme dit se trouver à Deir al-Balah, une ville située entre Gaza et Rafah.
Parmi ses nombreuses vidéos postées, celle de ce marché où elle déambule et explique : « Le marché est plein, le marché est plein de légumes, de nourriture et de gens, mais pensez au nombre d’entre vous qui peuvent acheter au marché, combien d’entre vous ont l’argent nécessaire pour acheter tout ce qu’ils ont au marché ? ». De plus, cette Gaza ne montre pas seulement des marchés bondés et une vie aux apparences de normalité. Elle filme aussi, comme dans cette vidéo, les conséquences des bombardements israéliens avec ses immeubles détruits à Deir al-Balah.
Un marché à Deir al-Balah
D’après nos recherches, ces images ont en réalité été tournées dans l’un des marchés de la ville de Deir al-Balah. Plusieurs détails visuels en attestent. Tout d’abord celui d’une marque, dont le nom apparaît clairement à la 26ème seconde. A côté du dessin d’une Tour Eiffel, on peut lire en arabe « Étoile de Paris », qui correspond à un magasin de cosmétiques et d’accessoires situé à Deir al-Balah, comme indiqué sur son compte Facebook. La marque a également été photographiée fin novembre par la chaîne qatarienne Al-Jazeera, qui faisait état de l’inflation sur les marchés de la ville.
Ensuite, des images prises par l’agence Associated Press (AP) le 7 avril sur un marché de la ville correspondent à celles que nous analysons. On retrouve par exemple les mêmes parasols plantés le long des étals. Une pancarte, située à droite de la première femme interrogée par AP, est identique à celle derrière Gazaouia qui est filmée. La vitrine du magasin est tout aussi similaire.
Selon toute vraisemblance, cette vidéo est récente : le compte « gazzzawya » a l’habitude de raconter son quotidien au jour le jour. Sur la base de ce principe, comment expliquer que l’on retrouve des étals pleins à craquer dans la bande de Gaza, confrontée à une famine qui s’aggrave dans les semaines à venir ?
Aide quasi nulle au nord
Toutefois, ces produits sont bien approvisionnés sur les marchés de rue. Une partie provient des quelques récoltes locales qui n’ont pas été détruites et des quelques stocks restants des commerçants. Mais aussi le détournement de l’aide alimentaire, comme le montre New York Times basé sur les histoires de trois familles à la recherche de nourriture. Unrwa (l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens), avec Libérerdit de noter « depuis plusieurs semaines, la formation de réseaux ou de groupes qui organisent le pillage de certains convois humanitaires ».
Une aide alimentaire qui, on le rappelle, arrive au compte-gouttes dans le sud de l’enclave et n’atteint quasiment jamais le nord. « Avant le début de ce dernier conflit, 500 camions transportant des fournitures commerciales et humanitaires entraient chaque jour à Gaza. Aujourd’hui, ce nombre est tombé à une moyenne de 98 camions ce mois-ci, qui sont tous entrés dans l’enclave par les routes de Rafah et Karam Abu Salem (Kerem). Shalom) points de passage »soulignait l’ONU en février.
Les Gazaouis peinent donc à se nourrir avec cette aide qui leur parvient et ne peuvent surtout pas s’offrir les produits vendus à prix d’or par les vendeurs ambulants. L’économie a également été décimée par la guerre et l’inflation a atteint des niveaux records. Par exemple, à Rafah, les oignons coûtent désormais 50 fois plus cher qu’avant la guerre, tandis qu’un sac de farine de 25 kg peut se vendre jusqu’à 324 livres (379 euros), selon l’ONG Christian Aid. La famine de la population est maintenant « utilisé comme arme de guerre », alerte un responsable de l’organisation.
Les oignons 50 fois plus chers
Sur une carte régulièrement mise à jour, la Classification Intégrée des Phases de Sécurité Alimentaire (IPC) indique que le nord de la bande de Gaza est aujourd’hui en phase 5 d’insécurité alimentaire, c’est à dire en situation de famine avec « preuve raisonnable ». Le reste de la bande de Gaza, à partir de la localité de Nuseirat, est placé en situation d’urgence 4, un niveau en dessous. Cela ne veut pas dire que la famine n’existe pas plus au sud, là où se trouve Deir al-Balah.
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En résumé, l’inflation constatée sur place concorde avec les commentaires de Gaza derrière les images du marché de Deir al-Balah. Par ailleurs, ces images ne remettent pas en cause la situation humanitaire dans la bande de Gaza, plus catastrophique au nord mais restant préoccupante au sud, où l’ensemble de la population s’est réfugiée. Selon l’IPC, la localité de Deir al-Balah, comme Khan Younis et Rafah, reste exposée au risque de famine jusqu’en juillet 2024.
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