Et si Netanyahu gagnait son pari ? La chronique « Sans filtre » de Mémona Hintermann
Sans filtre, la chronique de Mémona Hintermann, grande reporter, ancienne membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Aujourd’hui, la chute du régime de Bachar al-Assad pourrait profiter à Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien.
La chute du régime d’Al-Assad est la meilleure nouvelle de l’année pour Israël. Et probablement même pour très longtemps. Il faut observer – avec une boussole – la géographie de cette région qui souffre de guerres depuis plus de 75 ans, pour saisir le big bang qui est en train de se produire. Sur la carte du Proche et du Moyen-Orient, deux ennemis s’affrontent : l’Iran et Israël. Deux voisins. Pas par leurs frontières terrestres mais en fait !
Grâce à un système d’alliances et à un soutien massif aux groupes armés, l’Iran s’est de facto rapproché dangereusement d’Israël comme jamais auparavant. Le pays qui a servi de couloir aux attaques était la Syrie. Corridor logistique, plateforme de ravitaillement, préparations, entraînement au combat. Par crainte d’être physiquement éliminé par un commando du Mossad, le clan Al-Assad n’a pas attaqué directement Israël, fermant les yeux sur les secrets révélés pendant plus de 20 ans tout en faisant mine d’ignorer le manège de l’Iran, parrain du Hezbollah. Le Hezbollah est libanais, la frontière syrienne est une question de quelques dizaines de kilomètres à franchir. Depuis la Syrie, l’arsenal de missiles, roquettes et autres jouets de guerre s’est dirigé vers le Liban pour… attaquer Israël. Plus de 50 milliards de dollars investis par Téhéran, selon les spécialistes du sujet.
Depuis la révolution iranienne de 1979, l’ayatollah Khomeini et ses successeurs ont une obsession qui n’a jamais été démentie : détruire l’État juif. Depuis une vingtaine d’années, cette obsession est militarisée par l’organisation d’un « axe de résistance » s’étendant du Yémen à Gaza en passant par l’Irak, puis la Syrie et le Liban. Une feuille de route montre combien les distances sont courtes sur cet échiquier géopolitique et combien est grande la vulnérabilité d’Israël malgré son potentiel militaire inégalé. Ce sont les ressorts de cet axe qui s’est rompu avec la chute d’Al-Assad. Le saccage de l’ambassade iranienne à Damas, le jour même de la prise du pouvoir par les islamistes du HTC, illustre la nouvelle donne. Deux jours auparavant, la fuite des célèbres Gardiens de la Révolution avait annoncé l’échec de la stratégie des mollahs. L’Iran se trouve aujourd’hui isolé. Depuis les massacres du 7 octobre, Benjamin Netanyahu et ses stratèges ont entrepris de démanteler, pièce par pièce, le mécanisme créé et alimenté par Téhéran. C’est ce sujet qui est au cœur du changement de pouvoir en Syrie.
L’onde de choc s’est propagée bien au-delà du changement de régime. Les Israéliens ont-ils donné un coup de pouce pour qu’Al-Assad soit contraint de prendre un vol aller simple vers Moscou ? Objectivement oui, notamment en affaiblissant son régime face aux rebelles, en éliminant un à un les dirigeants du Hezbollah accueillis en Syrie. La Russie de Poutine, qui a abandonné Assad, l’a bien compris. Et derrière le rideau des apparences, il n’est pas impossible de penser que le nouvel homme fort Ahmed Al-Charaa aurait pu s’engager auprès d’émissaires de Jérusalem à s’occuper de la Syrie plutôt que de se rendre complice des intérêts de X ou Y.
Pacte de non-agression contre les Israéliens ? Les islamistes et stratèges israéliens ont un ennemi commun : l’Iran. Hier, au centre du jeu, c’est l’Iran qui s’est retrouvé sérieusement affaibli. Le leader de la Révolution a reconnu un échec. La lucidité politique conduira-t-elle les Iraniens à faire marche arrière – en concluant un accord international sur le non-développement de leur arme nucléaire ? C’est évidemment une question cruciale.
L’autre question majeure – organiser l’avenir – dépend largement des Israéliens. Si la stratégie de guerre de leur Premier ministre s’avère gagnante, les champs de ruines autour d’Israël défient toute croyance. Pouvons-nous le laisser là ? Comment pouvons-nous empêcher la colère et la frustration de ramener des menaces existentielles ? Quelle paix durable pouvons-nous établir… quand le Hamas a déposé les armes… quand ce qui reste du Hezbollah a compris qu’il valait mieux vivre au Liban que mourir sous les bombes israéliennes ? Benjamin Netanyahu avait parié sur la chute des ennemis de son pays après les massacres du 7 octobre. Pour que son succès aille au-delà du provisoire, il doit apporter de nouvelles perspectives de paix pour émerger du nouveau schéma qui bouleverse les équilibres des pouvoirs.