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En Tunisie, l’instance chargée de superviser les élections va coopérer avec la Russie

Le président Kaïs Saïed, qui devrait selon toute vraisemblance se représenter, près de Tunis, le 24 décembre 2023.

Opposants réprimés, illusion de pluralisme et plébiscite électoral : le vote qui a abouti à la réélection triomphale de Vladimir Poutine donnera-t-il le ton de la prochaine élection présidentielle en Tunisie, prévue à l’automne 2024 ?

Pour la première fois, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), chargée d’organiser le scrutin en Tunisie, a signé le 15 mars un mémorandum de coopération avec la Commission électorale centrale de la Fédération de Russie. Et c’est dans ce contexte que Farouk Bouasker , président de l’ISIE, s’est rendu à Moscou pour participer à la mission internationale d’observation de l’élection présidentielle russe.

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Cet accord électoral sans précédent entre la Tunisie et la Russie s’inscrit dans une dynamique de « Réchauffement » relations diplomatiques entre les deux pays, analyse Hamza Meddeb, chercheur au Carnegie Middle East Center. La diplomatie tunisienne, autrefois éloignée de la sphère d’influence russe, affiche depuis plusieurs mois une volonté de rapprochement, marquée notamment par la visite du ministre tunisien des Affaires étrangères, Nabil Ammar, à Moscou en septembre 2023, suivie de celle de son son homologue Sergueï Lavrov, à Tunis en décembre de la même année.

Ce rapprochement intervient au moment où les relations se sont durcies entre Tunis et ses partenaires occidentaux, suite notamment au rejet d’un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) dont Des « diktats » avait été jugé « inacceptable » par Kaïs Saïed en avril 2023, après des mois de négociations. En octobre 2023, c’est au tour de l’Union européenne de s’attirer les foudres du président tunisien qui dirigeait « dérisoire » une aide de 127 millions d’euros annoncée par Bruxelles, quelques mois seulement après la signature d’un protocole d’accord pour coopérer notamment dans la lutte contre la migration irrégulière.

Un « opportunisme stratégique »

En effet, la Russie est devenue le sixième partenaire commercial de la Tunisie en 2023, alors qu’elle était classée dix-septième en 2021, avec une augmentation significative – de l’ordre de 140% au cours des dix premiers mois de l’année 2023 – des importations de produits russes tels que le pétrole, le gaz. et les céréales, favorisées par un coût favorable en raison des sanctions imposées à Moscou.

Malgré une volonté de diversifier ses partenariats économiques, la balance commerciale de la Tunisie avec la Russie comme avec la Chine reste largement déficitaire, et les exportations restent majoritairement orientées vers les pays de l’UE, principalement les partenaires traditionnels comme la France et l’Italie.

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« La Russie n’a pas les moyens de proposer des partenariats économiques comme avec l’Europe, mais elle sait exploiter le vide et mettre une pression supplémentaire sur l’Europe en difficulté en Afrique »confirme Hamza Meddeb, qui évoque un « opportunisme stratégique » plutôt qu’un véritable repositionnement de la Tunisie.

Pour Kamel Jendoubi, premier président de l’ISIE et ancien ministre des droits de l’homme, la visite de l’actuel président du corps électoral en Russie peut aussi être interprétée comme une manière de « pour interpeller les Européens et les démocraties occidentales, pour affirmer que si on veut une référence, on peut la chercher là ».

« Criminalisation de l’opposition »

Attaché à un discours souverainiste, le président tunisien Kaïs Saïed s’était déjà prononcé en 2022 contre la présence d’observateurs étrangers en Tunisie qui viendraient  » donner des cours «  en matière électorale. « Nous n’envoyons pas de correspondance à des États comme la France et les États-Unis pour les féliciter de leurs élections transparentes. Nous n’avons pas besoin de leur authentification”a-t-il alors déclaré.

Les pays occidentaux sont régulièrement accusés dans le monde arabe d’appliquer deux poids, deux mesures en matière de droits de l’homme et de démocratie. On leur reproche notamment de ne pas condamner avec suffisamment de virulence la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza en réponse à l’attaque du Hamas du 7 octobre. Une perception largement partagée en Tunisie, et qui, selon M. Meddeb, « a donné de l’eau au moulin de Kaïs Saïed et a grandement renforcé les régimes autoritaires de la région. »

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À l’approche du scrutin présidentiel prévu à l’automne, des inquiétudes grandissent quant à la crédibilité des élections tunisiennes. Le corps électoral, composé de membres nommés par Kaïs Saïed à la suite de son coup d’Etat de juillet 2021, est au centre de vives critiques, à l’origine de plusieurs plaintes visant des opposants politiques, dont Abir Moussi, présidente du Parti. Destourian libre ou Jaouhar Ben Mbarek condamné à six mois de prison en février 2024 pour des critiques exprimées lors des élections législatives de 2022, alors même qu’il était déjà détenu dans le cadre d’une affaire d’association de malfaiteurs contre la sûreté de l’État.

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Pour Kamel Jendoubi, « Cette criminalisation de l’opposition tous azimuts répond à un double objectif : éliminer ceux qui sont considérés comme des traîtres et créer un climat de peur visant à neutraliser toute dynamique. Avec un corps électoral et une administration soumise au pouvoir exécutif, cela ressemble beaucoup aux élections russes. ».

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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