Nouvelles locales

En Argentine, la thérapie de choc de Milei porte-t-elle réellement ses fruits ?

C’est une énième manifestation qui a eu lieu mardi en Argentine depuis l’élection du président ultralibéral Javier Milei en décembre dernier. Cette fois, le monde étudiant est descendu dans les rues de Buenos Aires pour défendre l’université publique face à la politique d’austérité du gouvernement. Avec plusieurs centaines de milliers d’Argentins dans les rues, cette mobilisation est l’une des plus importantes depuis le début de la présidence, alors que la population souffre de plus en plus de pauvreté. Une politique qualifiée mercredi de « inhumain, brutal et inutile »ppar l’ancien président argentin, Alberto Fernández.

Cependant, face à la situation économique délétère de la troisième économie d’Amérique latine, Javier Milei avait mis en garde contre le choc, arguant « qu’il n’y a pas de plan B » à l’austérité pour redresser les finances.

En effet, le pays a connu en 2023 sa pire crise économique depuis 2001, entre récession et inflation excessive. Selon les chiffres du Fonds monétaire international (FMI), la croissance de l’Argentine s’est contractée de 1,6% en 2023, mise à mal par une grave sécheresse alors que l’économie du pays repose essentiellement sur son secteur agricole. De son côté, l’inflation était d’environ 211% sur un an, selon l’institut officiel argentin des statistiques.

Argentine : l’économie du « faire avec » pour vivre avec une inflation de 140 %

Réduction drastique des dépenses…

Dans ce contexte, Milei n’a pas tourné autour du pot. Dès son arrivée, il a réduit de moitié les ministères, licencié 50 000 fonctionnaires, stoppé ou annulé définitivement des projets publics, supprimé les subventions liées aux transports publics et à l’énergie. « Déficit zéro non négociable » a soutenu le président qui se définit comme « anarcho-capitaliste », alors que le déficit a atteint 5,2% du PIB l’an dernier.

« Les déficits répétés sont l’un des grands problèmes du pays, qui consiste à imprimer de la monnaie pour combler les trous, et donc à créer de l’inflation », explique l’économiste Sylvain Bersinger, du cabinet Asterès.

Le gouvernement mise également sur l’augmentation des recettes :

«Le gouvernement avait prévu une augmentation d’impôts qui n’a finalement pas eu lieu. Elle compte désormais sur l’augmentation des taxes sur les importations et les exportations, d’autant que cette année, les récoltes s’annoncent meilleures », précise Adriana Meyer, responsable des risques pays chez BPI France.

Et pour l’instant, la cure d’austérité semble faire effet. Le pays a même enregistré un excédent financier de près de 275 milliards de pesos, soit 309 millions de dollars, au premier trimestre 2024. Une première depuis 2008. » Un fait historique en Argentine », commente l’économiste.  » Des excédents qui s’expliquent clairement par la réduction des dépenses « , Elle ajoute.

Dollarisation de l’Argentine : « Le pays s’attache les mains dans le dos » (Sylvain Bersinger, Asterès)

…et la dévaluation du peso

Le remède ne s’arrête pas là. Outre les dépenses publiques, le président a également dévalué le peso argentin de 54 % par rapport au dollar dès son arrivée en décembre, puis de 2 % chaque mois.  » Cela a permis de réévaluer le peso à sa juste valeur et de rassurer les investisseurs, même si pour le moment, on ne sait pas quand le gouvernement compte arrêter cette politique de dépréciation de la monnaie », constate Adriana Meyer. Parce qu’une telle dévaluation a d’abord considérablement accéléré l’inflation.

Mais les chiffres du mois de mars sont plutôt encourageants et montrent déjà un ralentissement de la hausse des prix, qui ont même atteint 11 % en mars, après une hausse de 25 % en décembre.

 » C’est un début d’année prometteur pour l’Argentine, les marchés financiers sont plutôt contents, les comptes publics sont mieux tenus et l’inflation a même ralenti. », ajoute l’économiste.

Le prix de l’austérité

Amélioration certes à court terme, mais à long terme rien n’est moins sûr. Car même si l’inflation a ralenti le mois dernier, elle a atteint en mars, sur un an, plus de 287% par rapport au même mois de l’année dernière. L’OCDE table donc sur une inflation de… 250% pour 2024 dans le pays sud-américain. De quoi pénaliser encore davantage le pouvoir d’achat des ménages alors que près de la moitié des Argentins vivent dans la pauvreté. L’inflation a ralenti mais elle est aussi liée au fait que la consommation est en chute libre, les gens ne peuvent plus rien acheter », souligne également Adriana Meyer.

Et l’austérité budgétaire n’arrange rien.  » L’Argentine avait besoin d’austérité, mais c’est encore plus brutal que ce que recommande le FMI. », estime, de son côté, Sylvain Bersinger. Avec des coupes dans les dépenses stratégiques comme en R&D ou dans les universités, « c’est le serpent qui se mord la queue », précise-t-il, car « une économie qui n’innove plus, ne génère plus de revenus ». Le FMI prévoit que le pays connaîtra cette année encore une récession de -2,8%.

Pour tenter d’aider les Argentins, le gouvernement a quand même promis une augmentation de salaire d’au moins 30 % en début d’année. Une augmentation jugée « insuffisant » face à l’inflation, estime Adriana Meyer. D’autant que les réductions de dépenses concernent aussi les prestations sociales : par exemple, le gouvernement a payé cette année les retraites sans tenir compte de l’inflation, précise l’économiste. Dans ce contexte, outre les universités, les travailleurs du secteur des transports publics et même les organismes d’assistance sociale descendent également dans la rue.

Risque politique

 » Le risque est de créer une crise sociale et politique », commente Sylvain Bersinger, « le pays navigue entre ultralibéralisme et gauche péroniste, deux visions radicalement opposées », précise-t-il. En conséquence, il n’y a pas de continuité dans les politiques économiques menées, créant de l’instabilité et rebutant les investisseurs.

Par ailleurs, malgré de bons résultats économiques à court terme, le président se retrouve également minoritaire au Parlement, ce qui l’oblige à fonctionner par décrets et à revoir sa politique de déréglementation. D’où la fameuse loi « omnibus » avec plus de 300 provisions a été pour l’instant suspendue. Même sort pour son » Méga-décret », partiellement entrée en vigueur au début de sa présidence. Malgré tout, la popularité de Javier Milei ne faiblit toujours pas…

Les blagues canines de Milei n’amusent pas la présidence

La relation étroite entre le président argentin Javier Milei et ses chiens, ses « enfants à quatre pattes » comme il les appelle, est devenue l’objet de plaisanteries, de sarcasmes de la part des opposants, voire de questions journalistiques, qui ont le don d’irriter le public. présidence.

À deux reprises cette semaine, le porte-parole présidentiel Manuel Adorni s’est emporté lorsque les journalistes lui ont demandé, lors du point de presse quotidien, si Javier Milei avait quatre ou cinq chiens, ou  » il en a quatre et en voit cinq « , ce qui ferait de lui quelqu’un  » qui voit quelque chose qui ne correspond pas à la réalité « .

La question n’est pas innocente. Elle fait référence à l’un des chiens, « Conan », décédé en 2017, bien avant que l’économiste ultralibéral n’entre en politique. Un Conan avec qui Milei » communiqué « , comme le prétend une biographie non autorisée publiée en 2023. A  » communication » jamais confirmé par Milei, même si un médium spécialisé en « télépathie animale » a reconnu avoir apporté à Milei un «idée de travail de deuil « .

« Ce que vous suggérez me semble irrespectueux, décrivant le président comme une personne qui parle avec des choses qui n’existent pas. « C’est une question totalement irrespectueuse et cela interfère avec votre famille », a grogné jeudi le porte-parole en réponse au journaliste.

Cette question fait suite à un échange cinglant entre Milei et son prédécesseur Alberto Fernández, qui a dénoncé mercredi dans un tweet la politique d’austérité « iinhumain, brutal et inutile » par Milei. En ajoutant :  » Moi, mon chien, qui est vivant, ne me conseille pas, et les « Forces du Ciel » (une expression favorite de Milei, NDLR) ne m’envoient pas de signes « .

Milei, souvent décrit comme une personnalité excentrique, à la vie sociale secrète, hyperactif sur les réseaux sociaux, a parlé à plusieurs reprises avec émotion de ses chiens, d’énormes dogue anglais pesant 100 kg chacun, avec lesquels il a vécu seul jusqu’à la campagne présidentielle de 2023. La version officielle connue est qu’ils ont été clonés à partir du défunt « Conan ».

Milan, Murray, Robert, Lucas

Ces chiens, nommés d’après les économistes libéraux Milton (pour Friedman), Murray (pour Rothbard), Robert, Lucas (Robert Lucas), vivent dans des chenils installés dans la résidence présidentielle d’Olivos, selon Javier Milei. Il a révélé à CNN début avril que sa routine matinale consiste à passer du temps avec ces  » cinq » chiens avant d’aller travailler. Mais comme on ne les a pas vu depuis des années – la dernière photo remonte à 4-5 ans – le doute plane sur la presse argentine : y en a-t-il vraiment cinq, quatre ? Conan est-il vivant ou virtuel ?

« Si le président dit qu’il y en a cinq, il y en a cinq et point final », a déclaré lundi le porte-parole, en réponse à une question sur les chiens. « Je ne comprends pas vraiment quelle différence cela fait que le président ait quatre, cinq chiens ou 43 lapins. »

 » On dirait que c’est une blague. Mais là il y a un sujet qui est la santé mentale du président », a commenté auprès de l’AFP Juan Luis Gonzalez, l’auteur de la biographie de 2023, intitulée « El Loco » (le fou).  » Nous pouvons comprendre une grande partie de ce que fait le gouvernement à travers l’instabilité de Milei « .

Interrogé fin 2023 lors d’un talk-show sur sa relation avec ses chiens, des rumeurs de communication avec une au-delà canine, Milei haussa les épaules et sourit : « Laissons les dire ce qu’ils veulent. Tout le monde a sa propre opinion « . En attendant, les réseaux sociaux et les opposants s’en donnent à cœur joie sur les chiens et Conan.

Tout comme les étudiants, qui ont manifesté en masse mardi pour défendre l’université : « Sans science, pas de Conan ! « ,  » L’université publique existe, Conan non ! », disaient certaines pancartes dans les cortèges, où une chanson hilarante exigeait « une minute de silence pour Conan « . Quand d’autres marchaient Conan »… au bout d’une laisse vide.

(AFP)