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pourquoi le gouvernement, à travers sa gestion de la Nouvelle-Calédonie, est accusé d’avoir conduit à la crise

Les indépendantistes reprochent à Paris sa hâte d’adopter une grande réforme du corps électoral, dont l’examen à l’Assemblée a été le point de départ des violences. L’aboutissement de plusieurs années d’un dialogue de sourds.

À un peu plus de trois semaines des élections européennes, l’exécutif voit son agenda bousculé par la situation en Nouvelle-Calédonie. Mercredi, Emmanuel Macron a déclaré l’état d’urgence dans l’archipel et le gouvernement a déployé l’armée et renforcé les forces de l’ordre pour faire face aux émeutes indépendantistes qui ont débuté lundi. Vendredi, le Haut-Commissaire de la République a reconnu que le contrôle de plusieurs quartiers du territoire n’était pas « plus confiant ». Samedi 18 mai, le bilan des émeutes s’est alourdi à six morts.

Emmanuel Macron avait invité jeudi les élus calédoniens en visioconférence pour réfléchir à une sortie de crise, mais la proposition restait lettre morte. LE « Les différents acteurs ne souhaitent pas dialoguer entre eux », a déclaré l’Elysée. Un silence qui illustre la rupture du dialogue entre Paris et Nouméa, après plusieurs années de dégradation progressive.

Les violences dans l’archipel ont éclaté en marge de l’examen à l’Assemblée nationale d’un projet de réforme constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral en Nouvelle-Calédonie. À ce jour, les élections provinciales sont réservées à ceux qui étaient inscrits sur les listes électorales de ce territoire en 1998 et à leurs descendants. Résultat, un électeur français sur cinq sur le territoire est aujourd’hui exclu de ce scrutin local. L’exécutif et les élus locaux loyalistes (anti-indépendantistes) souhaitent ouvrir les élections aux habitants ne remplissant pas ces conditions mais résidant sur l’archipel depuis au moins dix ans. « Le dégel du corps électoral pour les élections provinciales est une nécessité juridique et démocratique », assure Matignon. C’est le sens de la révision constitutionnelle finalement votée par l’Assemblée, dans la nuit de mardi à mercredi, qui doit être approuvée par les parlementaires du Congrès pour être adoptée.

Toutefois, le système actuel, instauré par l’Accord de Nouméa de 1998, vise à maintenir une meilleure représentation des Kanaks, Indigènes de plus en plus minoritaire en Nouvelle-Calédonie. « Nous comprenons que les gens qui vivent ici depuis 20 ans veulent voter, mais nous devons encore discuter des conditions. » opposé Jean-Pierre Djaïwé, chef du groupe Union nationale pour l’indépendance au Congrès de Nouvelle-Calédonie, qui dénonce les réformes « unilatéral ». Un point de vue partagé par l’autre grand parti indépendantiste :

« Avant de discuter de l’électorat, il faut achever l’accord de Nouméa sur la décolonisation. »

Pierre-Chanel Tutugoro, président du groupe UC-FLNKS et nationalistes au Congrès de Nouvelle-Calédonie

sur franceinfo

Dans l’accord de Nouméa, il est en effet prévu que le statut de l’archipel soit débattu après un troisième et dernier référendum sur l’indépendance. Cela a bien eu lieu en 2021, et le « non » l’a emporté pour la troisième fois, mais les partisans du « oui » avaient appelé au boycott du vote, notamment en raison de l’épidémie de Covid-19 et de ses conséquences sur la participation.

« Pour nous, la troisième consultation n’a pas eu lieu, nous contestons les résultats »assène aujourd’hui Pierre-Chanel Tutugoro, président du groupe UC-FLNKS et nationalistes au Congrès de Nouvelle-Calédonie. « Il fallait organiser ce troisième référendum, car si on le reportait, il tomberait ensuite lors des élections présidentielle et législatives », rétorque un ancien conseiller de direction. Et puis, les parties prenantes se sont réunies en juin 2021 et ont organisé un référendum avant la fin de l’année. » Le jour des élections, l’abstention s’élève à plus de 56,1%, contre 14,3% lors du précédent scrutin, un an plus tôt. Le « oui » à l’indépendance passe de 46,7% à 3,5%.

Malgré ce boycott massif, l’exécutif prend acte des résultats et relance les discussions autour d’une réforme constitutionnelle à l’été 2022, lors d’une visite de Gérald Darmanin au « Caillou », surnom de la plus grande île de l’archipel. « Je prendrai tout mon temps pour voir comment nous pouvons construire ensemble l’avenir institutionnel de l’île », il dit alors. Mais en même temps, il semble prêt à reconnaître que le moment est venu de réviser les règles électorales. « C’est simple, l’exécutif a fait les choses à l’envers. » regrette Jean-François Merle, ancien conseiller outre-mer de Michel Rocard, qui a suivi la négociation des accords de Matignon à la fin des années 1980. « Il a jugé bon de lancer cette réforme très importante sans obtenir au préalable un accord local. Voilà le résultat : quarante années de travail qui aboutissent sur le terrain. C’est un énorme gaspillage. poursuit ce spécialiste.

Le pouvoir politique est également confronté à des divisions sur place. « Depuis quatre ans, nous sommes en récession et le pays a perdu 8 000 personnes. Alors oui, les loyalistes mettent beaucoup de pression sur l’État pour qu’il aille de l’avant. »reconnaît Nicolas Metzdorf, député loyaliste de la majorité présidentielle, cité par Le monde. « L’exécutif s’est trop focalisé sur la question du dégel du corps électoral alors qu’il fallait avoir un équilibre et réfléchir aussi aux questions socio-économiques. Qu’est-ce que les Kanak gagnent dans cette histoire ? soupire un ancien conseiller du pouvoir.

En 2020, lorsque Jean Castex est nommé chef du gouvernement, le fil se détend. Alors que Matignon gère traditionnellement la question calédonienne, c’est Sébastien Lecornu, le ministre des Affaires étrangères entre 2020 et 2022, qui est placé en première ligne. « Jean Castex a géré directement deux référendums et a reçu les délégations à Matignon »» défend aujourd’hui l’entourage de l’ancien chef du gouvernement. « Il faut aussi rappeler qu’il a été très pris par le Covid-19 »ajoute un de ses proches.

Puis, en mai 2022, ceux d’outre-mer perdent leur plein ministère, ce qui fait bondir les élus de ces territoires. Selon nos informations, la nouvelle Première ministre, Elisabeth Borne, aurait souhaité conserver le dossier calédonien, mais celui-ci est tombé entre les mains de Gérald Darmanin, devenu ministre de l’Intérieur et de l’Outre-mer.

« Gérald Darmanin a forcément une vision très sécuritaire, très institutionnelle, et c’est une erreur de ne pas avoir un ministère des Outre-mer à part entière. »

Un ancien conseiller exécutif

sur franceinfo

Très impliqué, l’ancien élu LR s’est rendu sept fois dans l’archipel depuis 2022. Et, dans un premier temps, il est loué pour son ouverture, et organise plusieurs rencontres avec des élus calédoniens. Mais la machine se grippe à nouveau avec la nomination, en juillet 2022, de Sonia Backès (Renaissance) au Secrétariat d’État chargé de la Citoyenneté. Le président de l’assemblée de la province sud de Nouvelle-Calédonie, proche de Sébastien Lecornu, est farouchement opposé à l’indépendance. Sa nomination est considérée comme une prise de parti par le gouvernement. « Si c’est pour s’occuper de la citoyenneté calédonienne, nous sommes en difficulté, car c’est pour l’électorat ouvert », s’inquiète Daniel Goa, président du parti indépendantiste Union Calédonienne, au micro de La 1ère. « Elle devait être récompensée, explique un ancien conseiller, parce qu’elle avait appelé à voter (pour Emmanuel) Macron, et ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu de ministre (original) du Pacifique.

De son côté, Gérald Darmanin continue de suivre le dossier calédonien. En avril 2023, même si loyalistes et indépendantistes refusent de se rencontrer lors d’un meeting organisé à Paris, le ministre se félicite « discussions constructives » et de « la qualité des échanges » sur l’avenir de l’archipel. En juin, il s’était rendu en Nouvelle-Calédonie et avait assuré que les indépendantistes s’étaient mis d’accord pour discuter du dégel électoral en vue des prochaines élections provinciales, prévues avant fin 2024.

Mais l’analyse de cette dernière est tout autre : « Le gouvernement a fait pression dessus », critique Pierre-Chanel Tutugoro. « Avec (Gérald) Darmanin, le changement de méthode était de plus en plus violent. Il ne voulait pas nous entendre et nous méprisait« accuse Marie-Pierre Goyetche, porte-parole du Parti travailliste et membre du Cellule de coordination des actions sur le terrain, un groupe pointé du doigt par le ministre de l’Intérieur depuis le début des émeutes. Début avril, la nomination de Nicolas Metzdorf, le député loyaliste de Nouvelle-Calédonie au sein de la majorité, comme rapporteur du texte sur le dégel du corps électoral à l’Assemblée, a encore tendu la situation. « Une provocation, une attitude irresponsable et dangereuse pour le pays »dénonce le bureau politique de la coalition indépendantiste FLNKS. «Nous avons fait le choix de connaître le dossierdéfend le groupe Renaissance. Qui mieux que ceux qui vivent là-bas pour parler de sujets aussi précis ?

Le débat, déjà explosif, s’inscrit également dans un calendrier serré. « Les Océaniens ont besoin de temps, de consensus. C’est tout le contraire de la méthode du gouvernement.»observé sur franceinfo Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’Université de Nouvelle-Calédonie. « La hache calendaire ne marche pas avec la culture océanienne »prévient également l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, rapporteur en 2015 de la mission permanente d’information sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. L’impasse est telle que lors des auditions menées par Nicolas Metzdorf en amont de l’examen du projet de réforme, trois anciens Premiers ministres – Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls et Edouard Philippe – ont tous plaidé pour une reprise en main du dossier par Gabriel Attal, pour tenter de sortir de la crise, rapporte Le monde le 4 mai. Mais le cap ne changera pas jusqu’à ce que le texte arrive à l’Assemblée, deux semaines plus tard, et l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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